Les hôteliers montent au créneau contre Airbnb. Soutenus par l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (Umih), le premier syndicat de la profession, qui a déjà déposé plainte en 2018 contre Airbnb, 26 patrons d’hôtels ont déposé, en juin dernier, une assignation au tribunal de commerce de Lisieux (Calvados) à l’encontre de la plate-forme de location entre particuliers. Ils réclament 9,2 millions d'euros de dédommagement. Le procès se tient ce vendredi 6 septembre devant le tribunal de commerce de Lisieux (Calvados).
Un procès à haut enjeu pour l'industrie hôtelièreDepuis plusieurs années, la tension monte entre les professionnels de l'hôtellerie traditionnelle et les plateformes de location de courte durée. Airbnb, en particulier, est dans le collimateur des professionnels, qui lui reprochent de ne pas respecter les règles auxquelles eux-mêmes sont contraints. "Ce qui s'est passé, c'est que le marché des meublés de tourisme a explosé grâce à Airbnb, une plateforme californienne qui fait des marges de 25%, alors que nous, les hôteliers, faisons entre 5% et 10%. Ils ont des moyens gigantesques et défiscalisent en ayant leur siège européen en Irlande", explique Vincent Lanthony, l'un des 26 hôteliers ayant porté plainte, installé à Clermont-Ferrand et Vichy (Auvergne).
Des logements professionnels déguisés en locations de particuliersSi Airbnb a toujours assuré que ses hôtes sont principalement des particuliers louant leur résidence pour arrondir leurs fins de mois, Vincent Lanthony juge la réalité bien différente : "Aujourd'hui, d'après nos données, 70% des annonces Airbnb sont des professionnels. Il y a des investisseurs qui achètent des appartements, voire des immeubles entiers, pour en faire un business, souvent basé à l'étranger pour défiscaliser".
Des pratiques qui selon lui créent une distorsion de la concurrence, les hôteliers étant soumis à des régulations strictes en matière de sécurité, d'accessibilité ou de fiscalité, contrairement à la plateforme. "Nous devons respecter des normes de sécurité incendie, d'accès handicapé, et nous sommes contrôlés régulièrement. Eux, ils n'ont pas ces obligations, ils peuvent vendre leur produit beaucoup moins cher".
Un impact direct sur le terrainÀ Vichy et Clermont-Ferrand, où Vincent Lanthony possède deux établissements, l'impact est tangible, surtout "en moyenne gamme. J’ai identifié à Clermont une vingtaine de boîtes à clés Airbnb. Cet été, à Vichy, une petite dizaine de clients sont venus chez moi en désespoir de cause, car ils étaient tombés via la plateforme sur des logements insalubres." L'homme dénonce également la prolifération des conciergeries dédiées aux locations Airbnb, un signe selon lui que ces activités ne sont plus de simples compléments de revenus pour des particuliers.
L'une des principales accusations des hôteliers concerne la taxe de séjour, que la plateforme ne collecte et ne reverse pas correctement. "Nous, on doit la déclarer et la payer tous les mois ou au trimestre ; eux, ils ne le font que tous les six mois. Eux ont mis deux ans pour créer un logiciel transmettant l'information via des fichiers parfois inexploitables par la commune !", critique l'hôtelier. Pour lui, la communication d'Airbnb sur les millions versés aux communes est trompeuse : "Ils parviennent à communiquer sur le fait qu'ils versent des millions aux communes, mais qui vérifie ces chiffres ? Nous, nous sommes contraints par toutes sortes de régulations, mais pas eux."
Un procès pour rétablir l'équitéLe procès du 6 septembre n’est pas la première bataille juridique entre Airbnb et les hôteliers. Dans une décision du 16 avril 2024, le tribunal judiciaire de La Rochelle a condamné Airbnb à verser 1 385 000 euros à la Communauté de communes (CdC) insulaire pour des manquements liés à la collecte de la taxe de séjour en 2022. Décision assortie de l’exécution provisoire.
Un enjeu national pour l'industrie touristiqueLe choix de Lisieux pour ce procès n'est pas anodin. "Nous aurions pu déposer 26 procédures séparées, mais cela aurait été trop complexe. Regrouper toutes les plaintes à Lisieux était une solution pratique, surtout pour notre avocat qui est basé à Paris et nous avons beaucoup de plaignants autour de Lisieux", explique Vincent Lanthony.
L’Alsacienne Véronique Siegel, présidente de l’Umih hôtellerie, s’est également jointe à cette action en justice pour mettre fin à une situation jugée intenable. "On est démunis face à l’explosion du phénomène, avoue l’hôtelière strasbourgeoise. On alerte depuis 2012 les pouvoirs publics. Partout dans le monde, on cherche à réglementer pour limiter les effets pervers. S’il y a eu des avancées sur le sujet, on est encore en situation de concurrence déloyale qui a des conséquences partout sur le territoire ; les coins ruraux comme les centres urbains sont concernés. On arrive à un point de non-retour."
Airbnb se défend - Airbnb a réagi, ce jeudi 5 septembre 2024, par voie de communiqué. "Cette assignation s’inscrit dans une longue série d’actions infructueuses intentées ces dernières années par des lobbies hôteliers à l’encontre de Français souhaitant louer leur logement sur notre plateforme. Airbnb permet chaque année à des centaines de milliers de familles françaises qui souhaitent visiter le pays de séjourner au sein d’une alternative abordable à l'hôtel. La loi française autorise les Français à louer leur logement en courte durée, et Airbnb se conforme à ses obligations, telles que le partage de données sur l’activité des hôtes avec les autorités, ou la collecte et le reversement de la taxe de séjour. Tandis que ce lobby hôtelier s’évertue à défendre des arguments contraires aux droits français et européen, Airbnb a permis à de nombreuses familles de gagner environ 3 800 euros en médiane, et aux communes de percevoir 187 millions d'euros de taxe de séjour, sur la seule année 2023. Nous envisageons par ailleurs toutes les options, y compris judiciaires, pour protéger ces droits."
Nicolas Faucon