Samedi 24 août, fin du quart de finale du tournoi de 50.000 $ d’Arequipa (Pérou) opposant la Péruvienne Dana Guzman à la Française Alice Tubello. Victoire de la joueuse locale après un match en trois sets très accrochés, poignée de main, rentrée aux vestiaires…
Et là… c’est un tourbillon qui emporte la joueuse de 23 ans, licenciée à l’AS Montferrand (Puy-de-Dôme) : l’attendent déjà sur son portable plusieurs centaines de messages haineux de parieurs et cyberharceleurs, avant qu’elle ne découvre une usurpation d’identité via la création d’un compte Facebook faisant croire que son père serait un pédophile.
« Mon combat actuel, c’est d’arrêter la haine tout court »« Ça a été tellement violent et tellement gratuit, infondé, insensé que ma façon de réagir, ça a été de le dénoncer publiquement, explique Alice Tubello. Parce que je n’ai pas d’auteurs, pas de physiques à mettre en face… La seule marge de manœuvre que j’avais, c’était de partager avec les gens. »
Votre prise de position a déclenché un véritable tourbillon médiatique…
Je ne m’y attendais pas du tout. Ça a énormément pris et ça a été énormément relayé. Dans un second temps, j’espère que ça s’apaisera. Mais je pense que c’est vraiment une cause qui est juste et j’ai l’impression d’être un peu le cas extrême qui a fait déborder tout. Donc, je trouve bien que ça ait libéré la parole de certains et qu’on puisse faire évoluer ce gros système qui est défaillant à l’heure actuelle. C’est malheureux que ça tombe sur moi, mais si ça permet de faire avancer les choses, alors je veux bien prendre un peu de mon temps pour le dédier à ça.
On peut reprendre les faits ?
ll y a deux temps. Je sors du match, 3 minutes après, je me pose pour écrire un message à mon kiné et tout d’un coup, mon téléphone ne fait que sonner pendant que j’écris et j’ai très rapidement 308 notifications de message. Là, j’ai su qu’il y avait quelque chose de différent que d’habitude…
Vous venez de dire « d’habitude ». C’est terrible parce que ça veut dire que c’est monnaie courante ?
Oui. Malheureusement, après chaque match, que ce soit victoire ou défaite d’ailleurs, je reçois 10, 20 et allez, jusqu’à 40 messages si c’est une grosse défaite, complètement inattendue… Après, là, il y a deux choses, les commentaires haineux que je dénonce, mais ce qui m’a fait complètement dégoupiller (sic), c’est Facebook et l’attaque sur ma famille par rapport à laquelle les dégâts sont colossaux, notamment pour mon papa. C’est deux choses un peu distinctes et mon combat actuel, c’est d’arrêter la haine tout court. Car je n’ai pas envie que ça arrive à d’autres joueurs et joueuses qui arrivent sur le circuit. Il faut arrêter avant qu’il y ait un vrai drame.
Avez-vous déjà reçu du soutien de la part de joueurs, joueuses ?
Il y a eu du soutien immédiat, même si je l’ai découvert tardivement, le lendemain, quand je me suis levée, du fait du décalage horaire avec la France, où tout le monde dormait quand ça m’est arrivé. Il y avait beaucoup de messages de la communauté, joueurs et joueuses. J’ai pas mal discuté avec Jules Marie (*) et ensuite, les médias se sont emparés de ça.
Et les instances ?
Comme j’étais au Pérou, c’était un peu compliqué, mais hier (mardi), j’ai pu parler avec l’ITF (International Tennis Federation), avec PGPA, l’association de joueurs professionnels de Djokovic, j’ai reçu un énorme soutien de la FFT aussi, qui va m’accompagner dans mes démarches et ma façon de communiquer aussi. Ça nous aide un peu, moi et ma famille, à faire face à ça.
Où en êtes-vous de vos démarches officielles ?
Je vais porter plainte dans la semaine, mon papa aussi. Et on verra comment ça aboutit, si ça aboutit…
Le dépôt de plainte, seul levier d’action ?
C’est le dépôt de plainte, dans un premier temps contre X. On verra ensuite si on arrive à remonter la trace de quelqu’un.
Vous avez eu des informations sur les progrès de ces recherches souvent décrites comme “peine perdue” ?
On sait qu’on peut remonter à des adresses IP, à ce genre de choses. On espère que ce cas un peu extrême va permettre de pouvoir mener des actions concrètes en justice et qu’elles se traduisent par des résultats. Je vais tout tenter avec mes avocats. Il faut quelqu’un pour lancer un changement, si jamais je peux apporter une micro-pierre à l’édifice… Car la violence est tellement extrême qu’au fond de moi, j’ai la rage pour aller au bout de ce combat. Après, évidemment, plus on est nombreux, plus on a de poids et plus on peut essayer d’amorcer un changement. Jules (Marie) m’a suggéré un hashtag (#BalanceTonHater). L’idée, c’est de fédérer un peu tous les joueurs et joueuses, on a essayé de le faire au travers de ce moyen, ça a été repris, ça commence à arriver, on verra où ça mène.
Quelle place occupe le tennis, le jeu, pour vous au milieu de tout ça, en ce moment ?
Tout ça impacte énormément, oui, ça bouleverse toute une famille.
"Moi, quand j’étais enfant, j’ai pris une raquette par pur plaisir et je souhaite garder ça, je ne veux pas leur donner raison et que ça m’affecte à tort."
Là, comme je rentre du Pérou, j’ai une semaine de récupération, mais la semaine prochaine, je serai sur mon dernier tournoi sur terre, à Saint-Palais (50.000 $). Je vais le faire, parce que c’est mon choix et que je veux être performante malgré ça. Et après, je vais commencer ma transition pour passer sur dur et préparer l’Open d’Australie. Ma priorité, c’est le terrain et ça le restera, malgré tout. Donc, oui, je vais continuer ma carrière, évidemment. J’arrive aux portes des Grands chelems. Les Grands chelems, c’est l’aboutissement, avant tout, d’un rêve de gosse.
(*) Le joueur français a été victime d’un canular d’un internaute qui lui a fait croire qu’il allait entrer en qualifications de l’US Open. Épreuve où Carole Garcia a, elle aussi, subi des menaces et insultes en ligne, après son élimination mardi au 1er tour.
Interview Jean-Philippe Béal