Ce mercredi 28 août marque le 80ème anniversaire de la libération de Toulon. Si la plus belle rade d’Europe est aujourd’hui ouverte sur le monde, c’est évidemment car de nombreux toulonnais ont combattu, au péril de leur vie, pour libérer la Provence de l’envahisseur allemand. Parmi eux, de nombreux rugbymen du RCT (ou passés par le club), dont Joseph Lafontan. Portrait.
Son patronyme continue de résonner tous les week-ends au Stade Mayol… Pourtant 80 années se sont écoulées depuis sa triste disparition en août 1944. Aussi valeureux et dévoué sur le terrain qu’en dehors, Joseph Lafontan est l’une des incarnations du Rugby Club Toulonnais. La fierté de tout un peuple varois.
Né au crépuscule du mois de mai 1902 à Gelos (Pyrénnés-Atlantiques), rien ne prédestinait le Béarnais d’origine à embrasser le destin qui fût le sien : celui d’un champion et d’un héros. Et pourtant… À l’âge de 24 ans, Joseph Lafontan quitte ses parents Bernard et Augustine pour rejoindre les bords de la Méditerranée. Une mutation bien sentie pour l’agent des lignes PTT (Poste, Télégraphes et Téléphones) qui va voir sa vie se transfigurer à quelques encablures du Mourillon.
Cinq années après son arrivée, le jeune homme est déjà l’une des valeurs sûres de la bande à Félix Mayol. Trapu, dur au mal et reconnaissable entre mille avec sa fameuse moustache, il s’affirme comme un des clients les plus redoutés et redoutables de l’Hexagone. Devenu membre à part entière du Rugby Club Toulonnais, Joseph Lafontan est même proche de porter le maillot frappé du coq lors d’un test-match face à l’Allemagne (24-0) en avril 1929. Sur le banc ce jour-là, le pilier droit varois est le suppléant de Jules Hauc, son coéquipier en club, mais les remplacements en cours de match n’étaient alors pas autorisés à l’époque.
Sans aucun doute, le solide droitier a du passer bien des nuits, dans son logement de la rue Chevalier Paul, a ruminé ce regret de ne jamais connaitre une seule apparition avec la sélection nationale. Mais parait-il que la vertu trouve toujours sa récompense… Deux saisons plus tard, la carrière de Joseph Lafontan va connaitre son point d’orgue et la vie du Toulonnais d’adoption ne sera plus jamais la même.
En 1931, emmené par son capitaine Marcel Baillette, le Rugby Club Toulonnais se hisse en finale du championnat de France. Sur le pelouse du Parc Lescure de Bordeaux, les quinze héros du jour s’apprêtent à livrer la bataille de leur vie pour offrir le premier Bouclier de Brennus aux habitants de la Rade. Une rencontre que Joseph Lafontan a bien failli manquer.
À la genèse du match, Lafontan est remplaçant. Cette fois, il n’est plus doublé par Jules Hauc, titulaire au poste de pilier gauche, mais par Marcel Vigneau. Alors que ce dernier était déjà en tenue, le soigneur Chabout vient lui demander de quitter son maillot et ses chaussettes pour les passer illico à Joseph Lafontan. « Qui n’a pas vu et entendu Vigneau asséner un coup de tête de désespoir dans la porte des vestiaires n’a pas idée de ce que signifie la frustration. », relatait ainsi le journal Midi Olympique à propos de ce curieux changement de dernière minute. Qu’importe, l’histoire est en marche pour le gamin de Gélos.
Au terme d’une rencontre épique et disputée, le Rugby Club Toulonnais des Delangre, Allegre ou encore Lamothe s’impose face au LOU Rugby grâce à deux réalisations de Léopold Servolle et Auguste Borreani (6-3). Toulon est champion de France pour la première fois de son Histoire ! Le lendemain, la troisième mi-temps est dantesque avec plus de 30 000 personnes venues célébrer cette victoire sur les quais de la Rade. Les joueurs Rouge & Noir et Lafontan ne le réalisent pas encore, mais ils sont désormais dans la légende du RCT grâce à cet exploit monumental qui influencera des générations de supporters.
Au sommet de son art et après avoir décroché le Graal, Joseph Lafontan part travailler à Saint-Tropez de 1932 jusqu’à, au moins, 1934. De retour à Toulon, il prend en main le RC Corse dès 1937. Avant que la guerre n’éclate…
Humaniste de la première heure, Lafontan était encarté depuis plusieurs années auprès du SFIO, l’ancêtre du Parti Socialiste avant le changement de nom en 1969. Homme d’honneur et de principes, le joueur reste militant pendant la Seconde Guerre Mondiale et rejoint même la Résistance.
Membre de l’Armée secrète (MUR) et auparavant du mouvement Combat, il fait partie du Groupe franc Libération dirigé par Jean-Pierre Marenco. Sous le pseudonyme « Augustin », en référence au prénom de sa mère, l’ancien pilier du RCT prend part à de multiples actions. Il est d’ailleurs chef du groupe de destruction des PTT et chargé de récupérations dans leur garage en mars 1944. Un héros de l’ombre qui va malheureusement connaitre un destin funeste.
Car après le débarquement des alliés en Normandie le 6 juin 1944, la Provence attend elle aussi ses sauveurs. Ainsi, l’opération « Dragoon » est programmée pour le 15 août 1944. La veille, l’ex-rugbymen est avec son groupe dans une villa du quartier de La Pivotte, à l’est de Toulon, en attendant de partir à Collobrières, dans les Maures, pour attendre les troupes débarquées. Le groupe reste en place durant toute la journée du 15.
Dans la nuit du 15 au 16 août, vers une heure du matin, Joseph Lafontan est volontaire pour aller isoler le poste électrique du carrefour de Beaulieu. Surpris par la Wehrmart en train de couper la ligne, le membre de la Résistance est fusillé immédiatement par les troupes allemandes. Mort pour la France, le joueur du RCT a offert sa vie en échange de notre liberté. Pour cela, le club au muguet, ainsi que le peuple toulonnais, varois, provençal et français restera à jamais redevable et admiratif du courage de Joseph Lafontan.
Aujourd’hui encore, la trace de Joseph Lafontan est encore présente dans le cœur de notre ville. Le quai « Joseph Lafontan, Martyr de la Résistance » a été inauguré au Port Marchand en avril 1945 et la tribune présidentielle du stade Mayol porte également son nom et son souvenir.
Comme lui, Eugène Delangre, Etienne Allegre, Jules Hauc et Emile Lamothe (déporté et mort à Dora Mittelbau en Allemagne), ses partenaires champions de France 1931, ainsi que Marcel Bodrero, Henri Laugier, Edmond Posoglio, André Mazana et d’autres, ont tous joué un rôle dans la libération de Toulon le 28 aout 1944, après huit jours d’encerclement de la ville et de batailles acharnées. Aux grands hommes, le RCT reconnaissant.