Cette quatrième participation de Charnes a été certainement la plus aboutie et la plus suivie. Entre sept et huit-cents personnes se sont déplacées au cours des cinq soirées. Il faut dire que les thèmes présentés étaient variés, incitant plutôt pour quatre d’entre eux à s’interroger, le cinquième n’ayant pas d’autre but que de divertir, ce qu’il a d’ailleurs fort bien réussi.
Guillaume et les garçons à table. En ouverture, Charnes avait à l’affiche la pièce « Les garçons et Guillaume, à table » de Guillaume Gallienne. Cette première soirée s’est tenue en présence d’un important public, la performance de l’acteur Jean-François Breuer, alias Guillaume, seul en scène pendant plus d’une heure et quart, pouvant être qualifiée d’époustouflante sans grand risque de se tromper ! Guillaume, hétérosexuel, peine à faire admettre à son entourage son orientation qui ne cadre pas avec ce que l’on croit de lui. S’en est alors suivi une multitude de situations où l’humour et la tendresse sont omniprésents, où l’on a beaucoup ri de ses mésaventures et de sa passion pour sa mère qu’il mima à merveille, comme d’ailleurs les autres personnages qu’il interprète.
La Grande-Duchesse de Gerolstein. Le lendemain était au programme « La Grande-Duchesse de Gerolstein » d’Offenbach et les cent cinquante personnes n’ont pas boudé leur plaisir en compagnie de la troupe Etcetera qui, anecdote, donnait à Charnes sa dernière représentation de la pièce. Les huit musiciens, leur chef et la vingtaine de comédiens, d’un savoir-faire épatant, mis en valeur par l’emplacement choisi se prêtant admirablement à la trame de la pièce, devant le château, ont offert pendant deux heures un spectacle qui restera un des plus beaux divertissements de Théâtres de Bourbon à Marigny. Le cheminement de l’intrigue (une Grande-Duchesse d’un certain âge qui s’entiche d’un soldat provoque la jalousie de ses conseillers), des couleurs chatoyantes pour les costumes, de la gaîté, des chœurs admirables, sans oublier la musique, tantôt entraînante, tantôt plus romantique, le rendu des acteurs, ont fait de cette fantaisie d’Offenbach une délicieuse distraction, saluée par une immense ovation finale.
Jeanne d’Arc. Place ensuite à l’Histoire avec « Jeanne d’Arc », héroïne personnifiée par une Séverine Cojannot qui a gratifié l’assistance d’une prestation bouleversante de vérité. Devant la chapelle du château, pendant une heure d’un spectacle poignant du procès en hérésie, l’actrice incarne celle qui tint tête aux juges, dont les voix off donnent encore plus de violence à leurs accusations. Sans jamais se renier, bien que sachant quelle issue l’attendait, l’accusée fait front aux calomnies. Séverine Cojannot sublime cet hymne à la pureté et au courage.
L’Art d’être grand-père Pour les deux dernières soirées, c’est le grand acteur de théâtre Jean-Claude Drouot qui a monopolisé la cour d’honneur de Charnes. Evidemment, il n’a plus la pétulance de Thierry la Fronde, mais en revisitant « L’Art d’être grand-père » de Victor-Hugo, et le lendemain certains des discours du père du socialisme dans « Jaurès », l’homme aux bientôt quatre-vingt-six printemps réalise ce qui s’apparente à une prouesse. Près de deux cents spectateurs à chacune des deux représentations, avaient les yeux rivés sur lui, tant sa gestuelle et ses intonations donnaient encore plus de volume aux textes. Dans « L’Art d’être grand-père », Jean-Claude Drouot note que « l’auteur étudie deux gouffres, Dieu et l’Enfance, le Créateur flagrant et le tremblant nouveau-né, la même chose au fond… » et qu’« il devient le chantre ébahi, ébloui par le gazouillis de l’Innocence ». Pour conclure, Hugo nous invite à ne pas égarer en nous l’immense besoin d’étonnement d’un enfant.
Jaurès. Dans « Jaurès », le plus français des acteurs belges parcourt le discours de Jean Jaurès à la jeunesse d’Albi en 1903, et on ne peut que constater que rien n’a vraiment changé pour l’humanité depuis cette date, notamment « l’ivresse guerrière ». Quant à la lettre aux instituteurs et institutrices de 1888 qui a, tout au moins en partie, été lue aux élèves après l’assassinat de Samuel Paty, sa première phrase est tout un programme « Vous tenez en vos mains l’intelligence et l’âme des enfants, vous êtes responsables de la patrie » ! Au baisser de rideau, Jean-Claude Drouot, après avoir répondu amicalement à toutes celles et ceux qui ont souhaité l’approcher, s’est dit surpris par la beauté de notre département, et par l’accueil particulièrement chaleureux qu’il a reçu.