«Labourage et pâturage sont les deux mamelles dont la France est alimentée » assurait Sully. Sur le massif du Mézenc, oublions le labourage, gardons les pâtures. Le groupement foncier agricole du Mézenc fêtera bientôt ses cinquante ans. Sa naissance, en 1975, de part et d’autre du Lignon à cheval sur les communes de Saint-Front et de Chaudeyrolles, illustre la volonté des « gens d’en haut » de garder leurs terres, évitant qu’elles ne soient cédées et morcelées. Il fallait empêcher que les riches prairies naturelles dont la qualité était reconnue bien avant le règne du Fin gras (leur meilleur thuriféraire) ne connaissent l’inflation des prix. Ou qu’elles profitent uniquement à des privés en quête de prime à l’herbe qui leur ferait défaut en plaine.D’aucuns avancent du reste tout à trac qu’ils ne voient jamais d’un bon œil arriver « les voleurs de foin » sans pied à terre sur le plateau.
Le groupement foncier confronté au problème des successions
Le GFA avait été créé pour une durée de 45 ans. En 2020 ses membres ont choisi de repartir pour 40 ans. Ils sont 47 à adhérer au groupement. Avec eux les estives du Mézenc ont de beaux jours devant elle. En altitude, la vie est devenue difficile pour les hommes même si les hivers sont de plus en plus cléments. Des fermes ont disparu mais pourtant l’exode rural n’a pas sonné le glas de l’agriculture.Patrick Morel administrateur du groupement en rappelle les origines : « À l’époque, la ferme du Plot était en vente à Saint-Front. Les agriculteurs du secteur n’ont pas voulu voir démanteler le domaine de 100 hectares ». Non loin de là, une autre ferme a cessé comme au Plot son activité. Or les parcelles ont connu une autre destinée : elles ont été boisées.GFA. Philippe Delabre président aux côtés de Patrick Morel administrateur. Philippe Delabre maire de Saint-Front confirme : « Pierre Chazallon mon prédécesseur et Gérard Roche conseiller général avaient lancé l’idée de sauver les estives ». Par la suite, les élus auront eu bien du mal à regrouper du foncier pour installer des exploitants. Le premier président du GFA, Gérard Roche allait par la suite céder son fauteuil à Philippe Delabre. Ce dernier a racheté la part de l’ancien président du conseil départemental, et Patrick Morel celle de son beau-père ancien receveur des postes à Saint-Front. La terre du Mézenc vous colle aux semelles et pour longtemps !Le GFA s’est étendu dans les années 1980 après le rachat de la ferme des Imberts de Chaudeyrolles passant ainsi à près de 200 hectares. À environ 1.400 mètres d’altitude, l’air est bon et l’herbe appétente pour les bovins allaitants qui coulent des jours heureux dans ces vastes étendues, au pied de la Croix de Peccata.
Il y a le ciel, la terre, les ruisseaux…Le fonctionnement du GFA reste inchangé depuis cinq décennies. Il repose sur des parts sociales (221 à ce jour) correspondant à près d’un hectare. Des parts qui peuvent changer de main lors des assemblées générales du groupement foncier, chaque année en juin. Comme on se transmettrait un témoin sans arrêter la course du temps.Les détenteurs possèdent d’une à huit parts pour la plupart. Le plus gros porteur, Groupama, en possède 60. « Pour un bon fonctionnement du GFA, il faut qu’il y ait des agriculteurs et des non-agriculteurs. Celui qui souhaite mettre des bêtes en estive doit posséder au moins une part », précise Patrick Morel.Si jusqu’à ces dernières années les cessions de part étaient assez faciles, ce n’est plus franchement le cas. La faute aux frais de notaires plus importants, selon l’administrateur. À ceux-ci s’ajoutent des frais de greffe du tribunal de commerce et de SAFER. L’acquéreur doit acquitter environ 1.200 euros de frais au total en plus du montant de la part sociale (1.700 euros). « Mieux vaut acheter plusieurs parts quand c’est possible, les frais sont les mêmes », conseille Patrick Morel.
La rentrée très attendue de Laurent Wauquiez au mont Mézenc, ce dimanche
Les propriétaires perçoivent des dividendes annuels relativement modestes : une cinquantaine d’euros la part. Le GFA perçoit quant à lui un fermage du groupement pastoral, autrement dit le GFA loue la totalité des terres au groupement pastoral. Les membres de ce dernier s’acquittent d’une contribution en fonction du nombre de bêtes présentes sur l’estive.La gestion du GFA est devenue plus complexe ces dernières années. Les mouvements de parts sont traités comme nous le disions en assemblée générale (extraordinaire). Les années ont passé et le groupement se retrouve désormais confronté aux successions de plus en plus nombreuses. Or, suite à un décès, les descendants oublient bien souvent la ou les parts sociales entraînant des problèmes de comptabilité.L’organisation des estives du Mézenc reste perfectible, mais continue de servir malgré tout l’activité d’élevage et d’entretenir le paysage. Donnant l’image d’une montagne préservée. Même si cela ne saurait être pour l’éternité.Il y a le ciel, la terre, les ruisseaux (servant à l’abreuvement des animaux), se frayant un chemin au milieu des trois parcs constituant l’estive. Le parc des Seuils du Plot, celui de Mézenchon, et des Imberts. Il y a le vent, la pluie. Il y a ces vastes étendues d’herbe. À l’infini. Et le Mézenc pour fermer l’horizon.Il y a un homme. Forcément, l’imagination vagabonde. Il nous revient naturellement en mémoire Jean Giono : « Il marchera de son pas tranquille et derrière lui, tous vous serez. Alors, le maître ce sera lui ». Thibaud Devidal, éleveur de vaches Aubrac à Chaudeyrolles est devenu le gardien des estives en prenant la présidence du groupement pastoral qui, avec le GFA, est donc le deuxième et incontournable acteur.Exploitation. D’anciens piquets, comme autant de traces de l’occupation de ces hautes terres par des transhumants. Quand les épis d’épilobe partout s’épanouissent et colorent de rose la montagne, l’éleveur sait par expérience que les feux de l’été commencent à pâlir. Avec les jours déclinants, tout doucement arrivera la fin de la transhumance. Au 1er novembre, au plus tard, les animaux devront être partis. Thibaud Devidal possède une vingtaine de bêtes à l’estive. « Si je ne venais pas ici, je serais coincé, je manquerais de pâturages. L’estive fait partie intégrante de mon exploitation », explique l’éleveur dont une partie des génisses est élevée pour le Fin gras.Une part donne droit à trois bêtes. Au total, il y en a entre 200 et 250 chaque année. Quatorze éleveurs en ont monté cette saison. Uniquement des génisses, d’un an minimum. Des normes sanitaires sont imposées pour pouvoir mélanger les animaux. Chaque parc est surveillé par un agriculteur ou un ancien agriculteur comme Bernard Devidal, l’oncle de Thibaud qui fait régulièrement le tour de « son » domaine pour s’assurer de la bonne santé des vaches et les faire tourner, à l’intérieur du parc.Le principe initial de réserver les terres à des exploitants du cru n’est plus forcément respecté. Des membres du groupement pastoral viennent d’un peu partout : Saint-Hostien, Sainte-Sigolène, Saint-Agrève…
Cette année, les bêtes ont de quoi mangerCette saison les animaux auront profité sans doute jusqu’au bout d’un pâturage suffisant, comme les exploitants du Mézenc ne manqueront pas de fourrage. En quantité, pas forcément en qualité. « Chez nous on a encore eu cette chance, quand il pleuvait beaucoup, le temps de faner n’était pas venu » admet Thibaud Devidal. L’an dernier déjà, les éleveurs avaient pu constituer des stocks. En fonction de l’herbe, d’une arrière-saison plus ou moins fraîche, les animaux sont rentrés plus ou moins tôt. De même, la date de la montée à l’estive est fixée en fonction de l’avancée de la pousse, en principe début juin. Le président du groupement pastoral ajoute : « On cale le nombre de bêtes pour que l’herbe soit profitée au maximum ».
Le groupement pastoral a bénéficié de subventions pour s’équiper de matériel de contention moderne, lequel est venu remplacer les clôtures en bois. Ces dernières sont restées, dressant leurs piquets polis et grisâtres vers le ciel, comme autant de traces de l’occupation de ces hautes terres par les premières générations de transhumants.
Philippe Suc