Un monde déstabilisé : c’est le thème des Rencontres Albert Londres, qui ont débuté hier au palais des Congrès. Le programme riche, auquel contribuent plus d’une quinzaine d’experts et journalistes terrain, se propose d’analyser les alliances et rivalités entre « l’Occident collectif » et le « Sud global ».Une introduction magistrale du professeur Bertrand Badie, invité d’honneur de cette 15e édition, a d’abord incité la salle comble à revoir complètement sa vision des relations internationales, dans lesquelles « les enjeux sociaux deviennent plus déterminants pour l’humanité que les enjeux de stratégie politique ».
Bertrand Badie, invité d'honneur des Rencontres Albert Londres, à Vichy : "Ce dont on a besoin, c’est de solidarité internationale."
La fin d’un équilibreIl a surtout identifié un point de bascule, à partir duquel les cartes géopolitiques ont été complètement rebattues : la fin de la guerre froide, et donc des jeux de puissance ne se jouant plus entre Est et Ouest mais désormais entre Nord et Sud. Mais pour Vincent Capdepuy, enseignant, géohistorien et cartographe, il faudrait plutôt catégoriser les pays ayant été colonisés, et ceux ayant colonisé. Car les anciens colonisés, considérés jusqu’ici comme grands perdants de la mondialisation, ont beau être radicalement différents économiquement, politiquement, culturellement… Ils ont tous un point commun : leur ressentiment envers l’Occident.
Le Sud global n’a pas d’organisation, de structure. Il s’agit de quelque chose de flou, animé en partie par un sentiment d’humiliation partagé.
« Les relations sont en train d’être définies entre anciens colons et colonisés » précisait Vincent Capdepuy. Et si l’Occident a du mal à envisager ces relations sous un jour nouveau, en faisant preuve, pour Bertrand Badie, d’un repli sur soi, le « Sud global » étonne par sa capacité à dialoguer, avec fluidité, tour à tour, avec d’autres pays, par opportunité. « Avec la dépolarisation, suite à la chute du mur, le Sud a compris qu’apparaissaient de nouvelles aubaines pour augmenter ses profits, explique Bertrand Badie. Une “union libre” diplomatique, à laquelle s’oppose le “mariage traditionnel” dans lequel s’enferment les pays du Nord. »
Une place de leader qui fait des envieux« En Inde, ils parlent de multi-alignement, notait Vincent Capdepuy. Le Sud global n’a pas d’organisation, de structure. Il s’agit de quelque chose de flou, animé en partie par un sentiment d’humiliation partagé. » La Chine et la Gambie, citées en exemple, n’ont en effet rien à voir, « mais peuvent se dire : on en a bavé, comme vous. »La salle du Palais des congrès était comble pour ce premier jour des Rencontres Albert Londres.
Dans cette multipolarité, revendiquée par les pays du Sud, les motivations sont nombreuses. « Tous les pays du Sud global n’ont pas les mêmes intérêts, précisait Vincent Capdepuy. Russie, Chine, Inde… Ils sont plusieurs à essayer de tirer parti de ce ressentiment commun. Et Poutine a d’ailleurs bien compris les bénéfices qu’il pouvait récolter. »
On pourrait en effet s’étonner qu’un ancien pays du bloc Nord s’inclue volontairement dans le Sud global. « Mais la tentative de la Russie de s’opposer aux pays industrialisés date du siècle dernier, complétait le géohistorien. Ses liens avec les pays du Sud ne sont pas nouveaux. Rappelons qu’une kalachnikov orne le drapeau du Mozambique. »
Texte Sandrine Gras
Photos François-Xavier Gutton
Les Rencontres Albert Londres se poursuivent samedi 24 et dimanche 25 août au Palais des congrès. Programme complet et billetterie sur ce lien.