Quatre jours d’un show avec toute la démesure habituelle, avec en vedette américaine, Kamala Harris. L’ancienne procureur générale de Californie, a, selon Dominique Simonnet, journaliste spécialiste des États-Unis, marqué des points dans l’antre des Chicago Bulls, mais doit se préparer à la riposte républicaine.La convention démocrate de Chicago a-t-elle confirmé, voire amplifié la Kamalamania ?
C’est une convention réussie qui a démontré la capacité de Kamala Harris à se fondre très vite dans le rôle de la candidate. Toutes les conventions sont une grande fête avec ballons rouges, petites phrases mais celle-ci confirme tout de même l’élan retrouvé du parti démocrate après l’abandon de Joe Biden. Le slogan, qui ressort d’ailleurs, est “forward”. On va de l’avant avec une Amérique renouvelée, moderne. Celui qui regarde en arrière vers le passé, c’est Donald Trump, disent les démocrates. Et tous les ténors ont été sur cette ligne.Les derniers doutes qu’il pouvait y avoir sur la capacité de Kamala Harris à unifier le parti ont-ils été levés ?
Le parti a effectivement montré son unité. Alexandria Ocasio-Cortez, surnommée AOC, et Bernie Sanders, les grands représentants de l’aile gauche, sont rentrés dans le rang et ont soutenu sans aucune ambiguité Kamala Harris. On a vu défiler les deux Obama, dont on connaît le poids auprès des Américains. Cela a été la démonstration d’un parti uni, rajeuni et prêt à conserver le pouvoir.
Quels sont, pour vous, les moments marquants de cette convention ?
Le moment plus marquant a bien sûr été le discours d’acceptation de l’investiture en clôture. Kamala Harris est une bonne oratrice. Elle joue bien avec les foules, sait soulever l’enthousiasme. On la sent à l’aise, qu’elle prend presque plaisir dans cet exercice. Ce n’est pas une surprise puisqu’on l’avait déjà vue se libérer lors de précédents meetings.Kamala Harris a-t-elle fait taire ceux qui la trouvaient transparente dans son rôle de vice-présidente ?
Certains observateurs ont beaucoup trop sous-estimé Kamala Harris. Elle était dans l’ombre de Joe Biden tout simplement parce qu’elle assumait son rôle de vice-présidente. Ce qui est plus inattendu en revanche, c’est sa luminosité. Cette capacité à se montrer à la fois ferme mais aussi d’afficher un visage sympathique et affable. Cette impression a été renforcée par le discours très apprécié de son mari, Doug Emhoff. Mais aussi par la présence de son colistier Tim Walz qui, lui aussi, attire une forme de sympathie.L’ambiance de cette convention tranche avec celle qui règne dans les meetings de Trump…
Montrer un contraste avec Trump était effectivement l’un des objectifs de cette convention. Là aussi, c’est réussi à tous les niveaux, dans tous les discours, où il a été rabaché : “nous sommes l’Amérique du futur et Trump celle du passé”. “Nous sommes pour tous les Américains, Trump ne pense qu’à lui”. “Nous sommes dynamiques, Trump n’est que dans la hargne et le ressentiment”. Obama a d’ailleurs eu des mots très durs envers l’ancien président l’accusant d’avoir un comportement infantile.Sur le fond, que retenez-vous de son discours d’investiture ?
Il y a d’abord la défense des valeurs fondamentales des États-Unis. Vu de France, cela peut paraître un peu général et philosophique, voir loin des préoccupations des gens, mais ça ne l’est pas outre-Atlantique. C’est très important pour les démocrates comme les républicains même s’ils ne l’associent pas aux mêmes choses. Quand Donald Trump défend la liberté d’entreprendre, le port d’armes ou l’élargissement des pouvoirs présidentiels, Kamala Harris défend, en premier lieu, la liberté des plus modestes d’avoir un toit et de vivre décemment.
Cette thématique semble même au cœur de sa campagne…
Oui, elle cible les classes les plus modestes. Aux États-Unis, comme c’est d’ailleurs le cas dans de nombreuses démocraties dont la France, ces populations, on pense souvent à la “Rust belt” (Wisconsin, Michigan, Pennsylvanie) ont souffert de la mondialisation à travers la désindustrialisation. Ce sont des gens qui ne voient pas les effets des bons chiffres économiques annoncés par Joe Biden sur la création d’emplois, la hausse des salaires ou la maîtrise de l’inflation. Cet électorat-là est en souffrance et s’est tourné vers Donald Trump, comme il se tourne vers l’extrême droite en Europe. Tout l’enjeu pour Kamala Harris et les démocrates est de reprendre cet électorat, État par État, en les convaincant que les mesures proposées vont réellement améliorer leur vie. Le choix de Tim Walz, comme vice-président, va dans ce sens car il a toujours œuvré par des mesures sociales en faveur des plus démunis.
L’espoir a-t-il changé de camp ?
Il y a incontestablement une dynamique en faveur de Kamala Harris. Les choses se sont retournées dans les médias et dans l’intérêt des gens pour cette campagne. 70 % des Américains ne voulaient pas d’une revanche Biden-Trump. Reste à savoir maintenant comment le camp républicain va réagir. La campagne débute vraiment. Le débat du 10 septembre sera très important. Beaucoup d’électeurs américains vont découvrir à cette occasion Kamala Harris. Et nous allons voir comment elle se comportera face à Donald Trump. Mais aujourd’hui, les cartes sont rebattues. Le fait que la campagne soit très courte est plutôt un avantage pour la candidate démocrate. Elle peut bénéficier de cet élan et tout simplement de l’attrait de la nouveauté.
Propos recueillis par Dominique Diogon
Photo AFP