A 72 ans, Jacques Audiard choisit un registre, la comédie musicale, qui a de nouveau le vent en poupe avant les sorties également très attendues de "L'Amour Ouf" de Gilles Lellouche et de "Joker: Folie à deux" en octobre. Mais son "Emilia Perez", qu'Audiard lui-même qualifie de "film transgenre", ne ressemble à rien d'autre.
Tourné en espagnol, mêlant avec élégance thriller sombre dans l'ultraviolente société mexicaine et scènes chorégraphiées au son du reggaeton, de la musique mexicaine et même d'un classique de la chanson française, ce film inclassable a remporté le Prix du Jury au dernier Festival de Cannes.
Il a aussi valu un prix d'interprétation collectif historique à ses actrices, dont les stars américaines Zoe Saldaña et Selena Gomez ainsi que l'actrice principale transgenre Karla Sofía Gascón.
Première femme transgenre à recevoir ce prix à Cannes, elle l'a dédié à "toutes les personnes trans qui souffrent".
Cartel de la drogue
Au début du film, elle est Manitas, le richissime chef d'un puissant cartel de la drogue mexicain.
Il veut changer radicalement de vie: quitter le milieu criminel et devenir une femme, son aspiration profonde. Même si cela signifie disparaître aux yeux de son épouse et de ses enfants.
Un rôle en or pour l'actrice espagnole de 52 ans venue des telenovelas. Karla Sofía Gascón a changé de genre à 46 ans, avec déjà une carrière établie, une épouse et un enfant. Pour ce film, elle a tenu à incarner à la fois Manitas et Emilia, avant et après la transition.
Pour exécuter son plan, le baron de la drogue fait enlever une avocate, Rita, abonnée à la défense des petits truands et autres maris violents, des dossiers qui "lui laissent un goût de merde dans la bouche". Elle devra l'aider à mener à bien son projet, de Bangkok à Tel Aviv, et deviendra sa plus proche collaboratrice. Rita est jouée par Zoé Saldaña, reine des blockbusters comme "Avatar", "Les Gardiens de la Galaxie" ou "Avengers".
Un plus petit rôle est confié à une star de la pop et idole des réseaux sociaux, Selena Gomez, qui joue Jessica, la femme de Manitas. Elle compte pas moins de 427 millions d'abonnés sur les réseaux sociaux et a déjà une vingtaine de rôles au cinéma à son actif.
"Changer les âmes"
Comme si un défi ne suffisait pas, Jacques Audiard a aussi voulu mettre la musique au centre de ce film, qui parle d'émancipation, de pauvreté et de violence des rapports sociaux, dans la tradition de grands classiques de la comédie musicale comme "West Side Story".
Une collaboration avec Tom Waits a un temps été évoquée, avant le Canadien Gonzales. Audiard finira par choisir Camille, ovni de la chanson française, qui avait rencontré le succès au début des années 2000 avec son album "Le fil".
Résultat: des chorégraphies clipesques et des chansons qui parlent de "changer les corps pour changer les âmes et la société", des "hommes, des femmes et de tous ceux entre les deux". Les décors et les costumes sont impeccables dans ce film financé entre autres par Saint Laurent Productions.
"Emilia Perez" pose un nouveau jalon dans la filmographie très éclectique d'Audiard, qui va du film de prison ("Un prophète") au mélodrame ("De rouille et d'os"), en passant par le western tourné avec des stars hollywoodiennes ("Les frères Sisters") ou l'inclassable "Dheepan", avec un casting sri-lankais inconnu du public. Ce dernier lui vaudra la Palme d'or.
En prise avec leur époque, ses films offrent une place de plus en plus importante aux personnages féminins, comme dans "Les Olympiades", chronique de la jeunesse parisienne présentée il y a trois ans à Cannes. Et dans cet "Emilia Pérez", évidemment.