Agnès Pannier-Runacher, représentante de l’aile gauche de la Macronie, rappelle que les voix du Nouveau Front populaire (NFP) sont indispensables à l’obtention d’une majorité absolue. Récemment élue sous la bannière présidentielle, la députée du Pas-de-Calais appelle Lucie Castets, candidate de la coalition de gauche pour Matignon, à faire un pas vers l’ex-majorité présidentielle, et vice versa. Et déplore, pour l’heure, une situation dans laquelle "chaque groupe – y compris le sien – s’enferme dans ses certitudes et ses détestations mutuelles".
L’Express : Un mois est passé depuis ces élections législatives, et aucune majorité absolue ne semble se dégager. Quel bilan tirez-vous de la séquence ?
Agnès Pannier-Runacher : C’est le choix des Français, qui se sont massivement déplacés pour aller voter. Le camp présidentiel a perdu les élections législatives et européennes : il n’est donc pas en situation de gouverner. Mais personne n’a gagné. Cette configuration n’a rien de très original. Comme dans d’autres pays d’Europe, elle est marquée par une montée des extrêmes, elle-même produit des tensions géopolitiques, du dérèglement climatique et de la crise du pouvoir d’achat. Les autres nations européennes savent gérer ces situations : elles négocient des coalitions.
La présidentielle de 2027 n’entrave-t-elle pas toute possibilité de coalition ? Les partis semblent plutôt vouloir incarner l’alternance…
Un contrat de coalition n’est pas un mariage définitif, ni une alliance pour 2027. Les Français attendent que l’on avance en responsabilité, en portant des projets qui répondent à leurs préoccupations immédiates. Certains sujets ignorent les étiquettes politiques, comme n’ont cessé de me le répéter les habitants que j’ai rencontrés de porte en porte : à l’instar des services publics, de l’école ou de la santé, qui préoccupent les citoyens – qu’importe leur vote. Il faut également sortir du déni programmatique des différents blocs. A gauche, on n’entend pas la demande d’autorité, qui vient autant des électeurs de gauche que des électeurs de droite. A droite, le débat politique semble se limiter à l’immigration et à la sécurité, et la question du dérèglement climatique, une angoisse pourtant fortement partagée dans la population, est un angle mort. Au fond, aujourd’hui, les Français sont plus responsables que la classe politique.
Emmanuel Macron doit-il accepter de rencontrer Lucie Castets, la candidate à Matignon désignée par le Nouveau Front populaire ?
Cette rencontre n’aura de sens que si Lucie Castets a un projet et une équipe à proposer qui ne se feront pas immédiatement censurer. Pour l’heure, elle ne répond pas à la question posée par le chef de l’Etat : avec qui ? Pour quoi faire ? Pour combien de temps ? Elle devrait le prendre au mot et négocier. Le bras de fer n’est pas avec le président de la République, mais avec les groupes parlementaires au palais Bourbon.
Quelles relations doit entretenir l’ex-majorité avec le Nouveau Front populaire, arrivé en tête aux dernières législatives (192 députés) ?
Le NFP ne peut agir comme s’il avait obtenu une majorité absolue. Quand nous avions 250 députés, la Nupes considérait que nous n’étions pas légitimes à gouverner. Mais aujourd’hui, avec 192 députés, Lucie Castets souhaite appliquer "le programme, tout le programme, rien que le programme" ? Ça ne fonctionne pas. Le problème est que l’ensemble des groupes demeurent enfermés dans leurs postures. On ne peut avoir d’un côté le NFP qui promet une remise en cause totale de la réforme des retraites, en s’asseyant sur les 15 milliards de dépenses nouvelles que cela induirait, et de l’autre le bloc central, qui récuse tout débat, même mineur, sur cette réforme et la manière de la rendre plus juste dès lors qu’on ne dégrade pas son financement.
Emmanuel Macron semble davantage tendre la main à la droite : êtes-vous à l’aise avec ça ? Quel regard portez-vous sur le "pacte législatif d’urgence", et certaines de ses mesures en matière d’immigration et de sécurité ?
Nous sommes prêts à négocier avec des composantes de la gauche : encore faut-il que le PS, les écologistes et le PCF puissent sortir d’une alliance dans laquelle ils sont aujourd’hui otages de La France insoumise, laquelle multiplie les provocations. Les mathématiques sont têtues : on ne saurait avoir de majorité absolue sans des voix venant du NFP.
Le "pacte législatif d’urgence" de la Droite républicaine, c’est un peu comme le programme du NFP : c’est une mise de jeu initiale, et l’on s’attend à ce qu’ils fassent des compromis, comme nous devrons nous-même en faire. Il y a néanmoins des éléments de ce pacte qui ne me semblent pas conformes à la Constitution : ça fait partie des sujets problématiques. C’est le symptôme que le débat politique est devenu caricatural, à droite comme à gauche. Chaque groupe s’enferme dans ses certitudes et ses détestations mutuelles. C’est également vrai pour le bloc central. Comme lorsque certains, dans mon camp, laissaient entendre que l’on ne pourrait pas discuter avec les écologistes : cette position n’est pas sérieuse. Les Français attendent bien autre chose de nous que cette cristallisation sur des postures politiques caricaturales.
Pensez-vous, à l’instar de certains de vos collègues du bloc central, que le pays est à droite ?
La France n’est pas à droite. Je ne suis pas la seule à le penser, nombre de mes collègues me le disent aussi. Il s’agit là d’une vérité parallèle qui pollue le débat public. Elle l’est sans doute en matière d’autorité, mais en matière économique et sociale, elle est à gauche. Quand on fait du porte-à-porte dans le Pas-de-Calais, les électeurs du RN ont une forte attente d’autorité, c’est très clair ; mais ils ont également une attente de protection des services publics, de protection vis-à-vis des effets du dérèglement climatique et de protection de leur pouvoir d’achat. Et d’ailleurs, ce n’est sans doute pas un hasard si le nom qui circule actuellement à droite pour être Premier ministre est celui d’un élu qui revendique un positionnement social fort.
Que pensez-vous, d’ailleurs, de la rumeur conduisant le président des Hauts-de-France, Xavier Bertrand, à Matignon - éventualité notamment soutenue par le ministre démissionnaire de l’Intérieur Gérald Darmanin ?
Xavier Bertrand est quelqu’un d’estimable, qui a une grosse expérience politique, personne ne le remet en cause, tout comme Bernard Cazeneuve. Mais comme pour Lucie Castets, le sujet est avant tout mathématique. Avec qui, sur quel programme, et pour combien de temps ? Quand bien même les macronistes et la Droite républicaine parviendraient à se mettre d’accord avec le groupe Liot, il n’y aurait pas de majorité absolue. Et renvoyer au président de la République la responsabilité de ne pas s’être mis d’accord entre groupes parlementaires, c’est se défausser de nos responsabilités de députés. A nous de travailler sur des éléments acceptables de plateforme programmatique.
Enfin, quelles leçons tirer, à mi-chemin, de cette trêve olympique ?
Paris est une fête. La France est une fête. Ces Jeux sont un succès populaire, mais aussi d’organisation sur tous les plans : sécurité, transports publics, rayonnement international, retombées… et tant pis pour les extrêmes qui ont répété ad nauseam qu’ils allaient être un échec. Le regard enthousiaste que posent la presse et les délégations internationales sur notre modèle et nos infrastructures devraient aussi nous réveiller : la France est un grand pays qui sait faire de grandes choses, voire des choses uniques ! Voilà qui tord le cou aux déclinistes de l’extrême droite et de l’extrême gauche. Tout cela fonctionne grâce aux professionnels des services publics, aux forces de l’ordre, aux bénévoles… C’est aussi un projet transpartisan, porté par une maire socialiste, Anne Hidalgo, une présidente de région issue de la droite, Valérie Pécresse, et un gouvernement du bloc central. J’espère que nous y trouverons matière à inspiration pour les mois qui viennent !