La vérité froide d’un chrono, la tangibilité évidente d’un score ou le verdict incontestable d’une ligne d’arrivée n’existent pas dans certains sports, où les athlètes doivent s’accommoder de notes, souvent subjectives, décernées par des juges. Cela amène de temps en temps à des sentiments d’injustice, mais fait également le charme de ces disciplines.
L’incompréhension de Samir Aït-Saïd fait peine à voir. Le gymnaste français pense avoir réussi une prestation aux anneaux lui permettant de décrocher sa première médaille olympique, mais la note attribuée par le jury ne le place que quatrième. "J’ai été très surpris de la note. Après, il va falloir que je fasse attention à ce que je vais dire… Beaucoup de mes concurrents sont venus me voir en me disant 'franchement, je suis désolé, je ne comprends pas'", se désole-t-il après son passage dimanche 4 août.
La problématique n’est pas nouvelle dans la gymnastique et des évolutions ont été apportées afin d’amener une plus grande objectivité. Depuis 2005, les prestations, autrefois notés sur 10, le sont sur 20 et un code de pointage très détaillé a été mis en place. La moitié des points est attribuée grâce à la valeur de difficulté des mouvements effectués et l’autre partie provient de la note d’exécution. Deux jurys distincts sont chargés d’évaluer ces aspects différents. Mais cela n’empêche pas les frustrations, car la note d’exécution est forcément liée à une part de subjectivité. Dimension artistique oblige.
"La gymnastique s’objective de plus en plus. Mais tant que les juges ne seront pas des robots, cela restera un sport de jugement, donc sujet à des litiges", avait déjà expliqué au micro de France Info le médaillé de bronze aux barres parallèles des Jeux de Londres, Hamilton Sabot.
Une donnée à prendre en compte pour les gymnastes, qui peuvent parfois demander l’avis de juges sur leur programme avant d’entrer en compétition. Histoire d’avoir quelques certitudes. Une pratique que l’on retrouve aussi en natation artistique, mais que l’équipe de France n’a pas choisi d’appliquer avec son programme libre, mardi 6 août au centre aquatique de Saint-Denis.
L’objectivité au prix de l’artistiqueLes Françaises ont proposé un ballet inédit, qu’elles n’avaient dévoilé à personne avant le jour J. "C’est une pression supplémentaire de le montrer pour la première fois. On n’a pas eu d’avis des juges sur cette chorégraphie en amont. Souvent, on aime bien en avoir pour modifier un peu. Là, c’est notre premier et dernier jet", explique la capitaine des Bleues, Ambre Esnault. L’émotion en a été décuplée lorsque les nageuses sont arrivées sur le bord du bassin avec des visages dessinés à l’arrière de leur bonnet. Pour cette prestation, réalisée au rythme de Mesdames, morceau de Grand Corps Malade qui rend hommage aux femmes, l’accent est clairement mis sur la partie artistique.
Le but est évidemment d’émouvoir le jury, mais cela n’a pas vraiment payé. "On a décidé de ne pas lâcher l’émotion et j’en suis très fier. Mais pour la médaille (elles terminent quatrièmes) il a manqué que cela soit valorisé par les juges. Quand je regarde la compétition, je pense qu’on apporte quelque chose. On a apporté de nouvelles dans la façon de bouger, dans le costume, mais j’ai l’impression que ça n’a pas trop eu d’impact", décriait mercredi 7 août l’entraîneure en chef de l’équipe de France, Julie Fabre. Une déclaration qui fait référence à un récent changement de règlement.
La natation artistique s’est en effet calquée sur le règlement de la gymnastique et du patinage, faisant beaucoup plus de place à l’aspect technique, dans l’espoir de réduire la subjectivité des classements. "On a perdu un peu la fibre artistique. Maintenant l’objectif est de mettre le plus de difficultés possibles. Les figures sont beaucoup plus longues et beaucoup plus dures. On a moins le temps pour respirer et pour mettre des parties artistiques. Ça nous manque beaucoup quand on nage", a récemment expliqué la voltigeuse auvergnate de l’équipe de France, Eve Planeix. Les nageuses françaises ont donc pris le contrepied en axant énormément leur prestation sur l’artistique. "On n’a pas fait comme tout le monde, c’était ce qu’on voulait", sourit Julie Fabre.
Dans le clan tricolore, il n’y a pas que la quatrième place de Samir Aït-Saïd qui a laissé des regrets durant ces JO. Les nouveaux sports urbains, tels que le skateboard, sont aussi régis par des notes et la médaille de bronze d’Anthony Jeanjean en BMX freestyle laisse quelques regrets.
"J’aurais dû être médaillé d’argent"Le Biterrois lui-même, après avoir accepté sa troisième place dans un premier temps, a fini par changer d’avis en revoyant les images. "Je pense que j’aurais mérité d’être à la deuxième place. Surtout dans la cohérence des notes. L’Anglais (Kieran Reilly, deuxième) fait un premier run costaud, où il mérite sa note, mais qui est en dessous de la mienne. Son deuxième run, je le trouve moins bien que son premier passage, et pourtant il améliore sa note. Il y a cette petite incohérence qui me fait penser que j’aurais dû être médaillé d’argent", a-t-il lâché sur le plateau de France 2, vendredi 2 août.
Sans moyen matériel ou technologique pour établir un classement, il y aura toujours quelques remous dans ces disciplines. Il est difficile de demander à un sportif de haut niveau d’être objectif, et encore plus à ses supporters. Les juges ne sont pas non plus exempts de cette subjectivité, propre à l’être humain. Mais sans l’obligation de séduire un juge, les athlètes ne seraient plus aussi inventifs et l’intérêt pour ces disciplines finirait certainement par s’évaporer
Martin Lhôte
