Contrepoints a publié le 8 août 2017 un article de Samuel Furfari intitulé « Venezuela : malédiction du pétrole ou du socialisme ? ». Sept ans plus tard, cet article est malheureusement toujours d’actualité. L’auteur l’a adapté pour prendre en compte les changements intervenus depuis, mais le même constat s’applique : la malédiction du socialisme perdure au Venezuela.
Les élections du 28 juillet rappellent le désastre économique que les politiques socialistes infligent au peuple vénézuélien. Depuis l’arrivée au pouvoir de Nicolás Maduro en 2013, le Venezuela a connu une crise économique et politique majeure qui a poussé des millions de Vénézuéliens à fuir le pays. Selon les données de l’ONU, ils sont quelque 4,9 millions à avoir fui la crise entre 2015 et 2020, fuyant la famine, la violence et la répression. Le plus grand déplacement de personnes en Amérique latine représente environ 15 % de la population du pays.
Le résultat des élections suscite de sérieux doutes. L’opposition, dirigée par María Corina Machado, conteste les données officielles, affirmant que son candidat a en réalité remporté l’élection avec une majorité significative. Ces chiffres sont même contestés par des dirigeants de la gauche latino-américaine tels que Luiz Ignacio Lula (Brésil), Gustavo Petro (Colombie) et Gabriel Boric (Chili). On observera que Jean-Luc Mélenchon, le leader de LFI, n’a pas exprimé de soutien public à Maduro après les dernières élections, ce qui contraste avec ses positions antérieures où il défendait ouvertement le chavisme et critiquait l’opposition vénézuélienne. L’UE s’est contentée d’appeler à la transparence en donnant accès aux résultats détaillés.
Pourtant, le pays a tout ce qu’il faut pour connaître la prospérité et la paix. Ses abondantes ressources en hydrocarbures auraient pu en faire la Norvège de l’Amérique latine.
Même son minuscule voisin, Trinité-et-Tobago, fait beaucoup mieux. Caracas, la capitale vénézuélienne, est devenue le modèle à ne pas suivre. Comment un pays démocratique, qui n’est pas régi par une législation religieuse désuète, en est-il arrivé à devoir rationner les produits de première nécessité et à voir ses habitants fuir par millions ?
Curieusement, c’est le pétrole qui est à l’origine de cette situation désastreuse. Avec 301 milliards de barils, soit 18 % du total mondial, le Venezuela détient les plus grandes réserves prouvées de pétrole brut au monde, loin devant l’Arabie saoudite qui en possède 267 milliards.
La plupart des réserves pétrolières prouvées du Venezuela sont situées dans le bassin du fleuve Orénoque, où 220 milliards de barils de pétrole lourd sont pratiquement inexploités. Même s’il n’est pas de première qualité, c’est du pétrole. La principale zone de production se trouve dans le bassin de Maracaibo, où près de 50 % du pétrole vénézuélien est pompé.
En 2008, la production quotidienne a culminé à 3,5 millions de barils par jour (Mb/j), mais en 2015, elle n’était plus que de 2,6 Mb/j. En 2020, elle n’était plus que de 0,4 Mb/j ! En mai 2024, elle serait passée à 0,9 Mb/j, soit moins d’un centième de la production mondiale. Pour le pays qui dispose des plus grandes réserves prouvées, il s’agit d’un échec patent. La situation du gaz naturel n’est guère meilleure. Avec 3,3 % des réserves mondiales, les septièmes du monde, il ne produit que 0,7 % de la production mondiale. Ces quelques données montrent clairement que quelque chose ne tourne pas rond dans le pays.
Jusqu’à la révolution du pétrole et du gaz de schiste aux États-Unis, ce pays était le principal client du Venezuela, mais il n’en a plus besoin, puisqu’il produit un quart du pétrole mondial et un quart du gaz naturel mondial (notons au passage que nous ne comprenons pas pourquoi Kamala Harris envisage de mettre fin à la fracturation).
Les déboires du cinquième pays le plus peuplé d’Amérique du Sud n’ont pas commencé avec Maduro, mais avec son prédécesseur, Hugo Chávez. Pour l’un comme pour l’autre, la richesse pétrolière du Venezuela devait être l’instrument qui activerait la révolution bolivarienne.
Leur objectif était d’instaurer le socialisme, non seulement au Venezuela, mais dans toute l’Amérique latine, et ensuite dans le monde entier. Avec les gigantesques réserves pétrolières de son pays, Chávez s’imagine devenir le maître du monde. Il rachète la dette de 528 millions de dollars de l’Argentine, construit des maisons à Cuba, aide Rafael Correa à réaliser une « révolution citoyenne » en Équateur, et propose la création de l’ALBA, une zone de libre-échange pour les Amériques.
Il estimait avoir un rôle à jouer dans la géopolitique de l’énergie, et donc dans la géopolitique mondiale. Le 29 juin 2005, en présence de Fidel Castro, le président Chávez propose à ses voisins des Caraïbes la création de Petrocaribe, un programme destiné à permettre à quinze pays des Caraïbes de payer 40 % de leur facture pétrolière au moyen de prêts sur vingt-cinq ans à un taux de 1 % sur une période commençant deux ans après la livraison ; l’offre de participation au programme est également faite aux municipalités de gauche du Salvador et du Nicaragua. Il avait pris le rôle de bienfaiteur des pays souffrant de la hausse des prix du pétrole.
Lors d’une visite à Paris le 9 mars 2005, Chávez déclarait que « si les États-Unis parvenaient à le tuer, les travailleurs vénézuéliens n’enverraient plus jamais une goutte de pétrole à ce pays ». Dans son discours devant l’Assemblée générale des Nations unies le 20 septembre 2006, le héros de la révolution bolivarienne a qualifié le président américain George Bush de « diable à l’odeur de soufre ». Il a offert son soutien au programme nucléaire iranien et a été vu en train de se pavaner avec le Premier ministre de la République islamique d’Iran de l’époque, Mahmoud Ahmadinejad.
Après la grève de 2002, il a licencié 18 000 cadres de la compagnie nationale Petroleos de Venezuela (PDVSA) ainsi que 85 % des ingénieurs et 90 % du personnel travaillant dans le secteur extractif. Ceux qui avaient le savoir-faire ont été remplacés par des acolytes du régime, y compris des militaires. Les revenus pétroliers ne sont pas réinjectés dans le secteur, mais dans des programmes sociaux.
Les conséquences ne se sont pas fait attendre, d’autant plus que le prix du brut est revenu à la normale grâce à l’abondance du pétrole conventionnel et du pétrole de schiste.
Face au manque de technologies modernes et à la réticence des majors occidentales en raison de l’instabilité du pays, le gouvernement s’est tourné vers les entreprises russes pour une coopération. La Russie a ainsi reconnu les résultats du référendum constitutionnel de juillet 2017, remporté par Maduro. À l’occasion de ces dernières élections, Vladimir Poutine a félicité Maduro et s’est dit prêt à travailler de manière « constructive » avec lui, soulignant l’importance des relations bilatérales entre les deux pays.
Son petit voisin Trinidad-et-Tobago (14 km de distance) est l’un des principaux producteurs de gaz naturel de la région des Caraïbes, dont la production alimente à la fois le marché local et les exportations. Environ la moitié de sa production de gaz naturel est exportée sous forme de gaz naturel liquéfié (GNL), notamment vers des États membres de l’UE tels que la France, la Belgique et l’Espagne, grâce à un plan élaboré il y a 15 ans par BP, la société espagnole Repsol et la compagnie nationale de gaz de Trinité-et-Tobago. À côté de Trinité-et-Tobago, le Venezuela est un géant, mais un géant endormi qui a perdu la course au gaz simplement parce que Caracas a rejeté l’idée de toute coopération avec des entreprises internationales autres que russes. Grâce à son attitude socialiste promarché et anti-bolivarienne, Trinité-et-Tobago est aujourd’hui le plus grand producteur de pétrole et de gaz naturel des Caraïbes.
Mais il est sur le point d’être supplanté par un nouveau venu, le Guyana. Ce pays ne figure pas encore dans les statistiques des grands groupes de recherche sur l’énergie, tant son entrée sur le marché pétrolier est récente. La Guyane dispose de réserves prouvées de plus de 11 milliards de barils de pétrole, ce qui en fait l’une des plus grandes réserves au monde par habitant. La production a débuté en 2019 grâce à ExxonMobil, ce qui a permis au pays de connaître une croissance économique fulgurante, avec une augmentation du PIB de 62 % en 2022 et une prévision de 38 % pour 2023 grâce au secteur pétrolier, qui représente 87 % des exportations du pays.
Mais Maduro ne l’entend pas ainsi et a ouvert un conflit diplomatique avec le Guyana. Il revendique la majeure partie de la région de l’Essequibo, une zone forestière qui n’intéressait personne jusqu’à ce que des entreprises américaines y découvrent des hydrocarbures. En décembre 2023, Maduro a ordonné l’annexion pure et simple de ce territoire de 159 000 km2 administré par le Guyana. Le Venezuela a mobilisé des troupes à la frontière et construit un pont pour faciliter l’accès à l’Essequibo. Face à ces tensions, les deux pays ont signé en décembre 2023 un accord par lequel ils s’engagent à ne pas recourir à la force pour régler le conflit. Ils se sont engagés à résoudre le différend conformément au droit international, tout en maintenant leurs positions divergentes.
Le Guyana souhaite poursuivre la procédure en cours devant la Cour internationale de justice, mais le Venezuela ne reconnaît pas sa compétence. Les États-Unis ont réaffirmé que la frontière actuelle doit être respectée, à moins que les parties n’en décident autrement.
Cette revendication territoriale rappelle celle des généraux argentins. En 1982, ils ont envahi les îles Falkland pour faire diversion à la crise profonde que traversait le pays sous la dictature, mais le Royaume-Uni de Margaret Thatcher a récupéré l’archipel et précipité la chute du régime militaire. Nicolas Maduro n’est pas un militaire, mais un syndicaliste routier, et son régime s’inscrit dans la continuité du régime militaire de Chávez. Espérons qu’il ne déclenchera pas une guerre inutile.
Juan Pablo Pérez Alonzo, ministre vénézuélien de l’Énergie et fondateur de l’OPEP, a qualifié le pétrole d’« excrément du diable ».
Dans son livre Hundiéndonos en el excremento del diablo, publié en 1976, il affirmait que « le pétrole apporte le gaspillage, la corruption, les dépenses inutiles et la dette… Nous allons souffrir pendant des années et des années de ces dettes ». Il n’avait pas tort, vu la corruption devenue endémique dans son pays et dans tant d’autres pays producteurs de pétrole. Certains se sont enrichis, alors que leurs populations sont restées très pauvres. À l’exception d’une poignée de pays principalement membres de l’OCDE (États-Unis, Royaume-Uni, Australie, etc.), et de quelques exceptions comme Trinité-et-Tobago, les pays producteurs de pétrole et de gaz ne sont pas de véritables démocraties, manquent de stabilité économique et sont confrontés à des troubles récurrents.
Dans le monde de l’énergie, cette triste réalité est connue sous le nom de « malédiction du pétrole ». Il est clair que le régime bolivarien subit la malédiction du pétrole, car si Maduro n’avait pas de pétrole, il ne pourrait pas rêver de réussir sa révolution socialiste.
Lors de la COP27 à Charm el-Cheikh, en Égypte, Emmanuel Macron a été surpris de s’entretenir brièvement dans un couloir avec Nicolas Maduro.
Le président français a dit au président vénézuélien : « Je serais heureux que nous puissions nous parler plus longuement, que nous puissions engager un travail bilatéral utile pour la région », car « le continent est en train de se reconstituer ».
Et pour cause, l’UE a un besoin incontournable de remplacer le pétrole et le gaz russe. Cette brève rencontre a suscité des réactions en raison du contexte politique tendu entre la France et le Venezuela (la France n’a jamais reconnu officiellement la réélection de Maduro en 2018), mais que ne ferions-nous pas pour le pétrole et le gaz naturel ? Le gouvernement français, en tant que membre du G7, a émis des doutes sur la légitimité des résultats de la dernière élection et s’est joint à d’autres pays occidentaux pour demander la publication des résultats détaillés du scrutin.
Il convient de noter que TotalEnergies n’est plus actif au Venezuela dans le cadre de ses opérations pétrolières. En juillet 2021, l’entreprise a décidé de se désengager de sa participation dans Petrocedeño S.A., dont elle détenait 30,32 %.
Dans la foulée de la rencontre (impromptue ?) entre Emmanuel Macron et Nicolas Maduro, Joe Biden a autorisé Chevron à reprendre ses activités au Venezuela pour répondre aux besoins des Européens en manque de pétrole, les États-Unis étant autosuffisants grâce au pétrole de schiste détesté en France. Le gouvernement américain a reconnu que « l’excrément du diable vénézuélien » pouvait jouer un rôle dans l’isolement de la Russie. En autorisant Chevron à reprendre ses activités, les États-Unis cherchent à exploiter les vastes réserves pétrolières du Venezuela, tout en veillant à ce que les revenus ne profitent pas directement à l’entreprise publique PDVSA, mais plutôt à des projets humanitaires, tout en faisant pression sur le régime bolivarien pour qu’il respecte les droits de l’homme et s’engage dans des réformes politiques. On ne peut pas dire qu’il ait réussi, mais après tout, le véritable objectif était d’ennuyer les Russes.
La Norvège est l’un des exemples qui échappent à la malédiction du pétrole. C’est une démocratie riche et prospère, bien qu’elle ne possède que 2,6 % des réserves de pétrole et un tiers des réserves de gaz du Venezuela, dont les revenus sont particulièrement bien gérés. Son éthique protestante rigoureuse limite la corruption et favorise la solidarité intergénérationnelle.
Le jour où son pétrole s’épuisera, les générations futures seront assurées de bénéficier de cette manne grâce au fonds mis en place par le gouvernement norvégien. Géré par Norges Bank Investment Management, ce gigantesque fonds souverain mondial vaut 1508 milliards d’euros et ne cesse de croître. En 2022, la Norvège a enregistré des recettes pétrolières et gazières record de 131 milliards d’euros. Quel contraste avec la révolution bolivarienne !
Nicolas Maduro a tout faux. Pour le bien du peuple vénézuélien, il est urgent qu’il soit démis de ses fonctions et que le pays abandonne l’illusion du socialisme, qui a échoué partout où il a été tenté, et qui échouera partout où il le sera malheureusement à nouveau. Si le pays était libre, s’il laissait aux compagnies internationales la liberté de produire tout en lui garantissant une juste rémunération des revenus grâce à des accords de partage de la production, il prendrait part à la course à la production de pétrole qui n’est pas près de s’arrêter. Car quoi qu’en pensent Ursula von der Leyen et le Parlement européen, nous ne sommes pas près de réduire la demande de pétrole, raison pour laquelle les investissements dans de nouveaux puits se poursuivent à un rythme effréné partout dans le monde… sauf au Venezuela et dans l’UE, tous deux caractérisés par des idées socialistes et, dans le cas de l’UE, également par des idées écologistes.
Le dernier ouvrage de Samuele Furfari : Énergie, mensonges d’État. La destruction organisée de la compétitivité de l’UE , éditions L’Artilleur.