Gwenaëlle Questel, Enseignant-chercheur en droit privé, Université Bretagne Sud (UBS)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
En juin 2017 à Medellín (Colombie), le journaliste Manuel Bermúdez, l’acteur Víctor Prada et l’éducateur sportif Alejandro Rodríguez ont formalisé leur relation en signant un accord qui en fait un régime patrimonial spécial sous forme de « trieja » (« trouple » en français), un néologisme créé pour l’occasion à partir du mot espagnol « pareja », qui signifie « couple ». Cette union légale entre trois personnes fût la première du genre en Colombie.
En France, le « trouple », terme que l’on peut définir comme la relation amoureuse ou l’arrangement familial impliquant trois personnes, connaît une médiatisation croissante et fait maintenant presque partie du langage courant. Le terme reste pourtant inconnu du vocabulaire législatif.
Dans le droit français, l’union légale est limitée à deux personnes, limite qui se retrouve dans la plupart des pays mais qui n’est pas universelle et qui fait l’objet de revendications de la part de certaines associations LGBT.
Plus largement, les mécanismes juridiques actuels permettent-ils de traduire en droit les unions d’aujourd’hui ?
Un pacte amoureuxL’amour souffre parfois d’une vision sociale étriquée. Arthur Rimbaud l’écrivait déjà en 1873 : « L’amour est à réinventer, on le sait ».
Le mot « couple », étymologiquement « j’attache avec », désigne d’abord un lien, une attache qui relie deux êtres. Le couple peut alors être défini comme la réunion voulue de deux personnes. Difficile d’aller plus loin dans la définition puisque le couple c’est d’abord un vécu qui recouvre des modes d’expression et des réalités qui n’ont cessé de se diversifier.
Le sens affectif, déjà présent en latin, révèle que le couple est un pacte amoureux. C’est la volonté de construire à deux, de bâtir quelque chose que l’on pense solide, suffisamment solide pour résister aux aléas et aux inévitables bouleversements à venir et plus largement à l’usure du temps.
Le droit ne définit pas la notion de couple en tant que telle. Historiquement, il s’y intéresse surtout parce que le couple est d’abord envisagé comme le préalable de la famille au travers de l’institution du mariage.
En 1804, lors de la création du code civil, seule l’existence du couple marié hétérosexuel est consacrée en droit. Ce couple forme un tout sous l’autorité du mari et la vie de couple ne se conçoit qu’à travers le mariage, socle de la famille, et idéalement indissoluble.
Jusqu’au milieu des années 1960, la famille est marquée par la stabilité et la durée. Puis, progressivement, le mariage va cesser d’être exclusif, un autre idéal se dessine et, avec lui, l’idée que le mariage lui-même pourrait être pensé autrement : plus égalitaire et moins perpétuel.
Depuis 1994, la loi décrit l’assistance médicale à la procréation comme la « réponse à la demande parentale d’un couple » à qui était alors imposée une vie commune depuis au moins deux ans. Cette exigence de stabilité et de continuité de la relation n’a pas été reprise par les nouveaux textes relatifs à la PMA, à présent plus largement ouverte.
L’évolution contemporaine du coupleÀ partir du début des années 1970, le couple change progressivement et prend une fonction, à la fois de premier ordre et subjective : offrir l’affection nécessaire à l’épanouissement personnel de l’individu. Les attentes vis-à-vis du mariage évoluent aussi. Idéalement, le couple serait le règne de l’amour et de l’épanouissement mutuel. Le lien matrimonial trouve avant tout sa force dans le sentiment amoureux réciproque.
L’idéal conjugal n’est plus le même et il n’y a d’ailleurs plus forcément un seul idéal (le mariage) mais plusieurs. En témoigne le fait que la conjugalité (et c’est en ce sens que nous l’employons) ne désigne plus seulement le lien conjugal de l’époux et de l’épouse mais toutes les formes de couple, entre personnes de sexe différent ou de même sexe.
Il reste que cet idéal conjugal ou ces idéaux conjugaux s’appuient sur la recherche du bonheur. On attend de l’union beaucoup plus qu’autrefois et l’intensité de cette exigence est un des facteurs de précarité du couple : comment supporter l’échec et même les turbulences rencontrées par ce qui paraît un refuge et un appui essentiel dans la construction de soi ?
Ces attentes parlent donc aussi de la fin de l’union : le droit au bonheur s’oppose à la perpétuité. Le pacte amoureux, qu’il soit assorti ou non d’un contrat juridique doit pouvoir être rompu si le sentiment ne le légitime plus. Le couple est alors fondé sur un engagement conditionnel et correspond plus à un lien vécu qu’à un lien indissoluble.
L’émergence d’un pluralisme juridique des couplesL’amour, en tant que phénomène personnel, relève du « non-droit » (expression employée par le juriste français Jean Carbonnier pour désigner ce qui échappe au droit, ce que le droit n’a pas vocation à régir). Pour autant, le droit n’y reste pas totalement étranger en ce qu’il est à la base du lien conjugal susceptible de devenir lien juridique.
En effet, le droit s’intéresse forcément au couple quand est recherchée une reconnaissance juridique : lorsqu’on veut traduire le couple en droit c’est-à-dire lorsque le lien affectif se double d’un lien juridique. À ce sujet, la loi du 15 novembre 1999 relative au pacte civil de solidarité (Pacs) a mis en place une diversité des offres de couples. Le code civil propose donc à présent trois formes juridiques de couples : le mariage, le Pacs et le concubinage.
L’émergence de ce pluralisme juridique fait écho à un pluralisme que l’on peut qualifier d’empirique et fait de vécus multiples du fait de la diversité grandissante des relations de couple et des relations familiales. L’augmentation du nombre de couples vivant chacun chez soi en est un bon exemple.
Une telle émergence emporte avec elle la perte de l’exclusivité du mariage qui n’est devenu qu’une forme d’union parmi d’autres et plus facilement rompue qu’autrefois.
Les évolutions juridiques successives en matière d’union et les efforts d’adaptations du droit au fait social se sont opérés de plusieurs manières. Tout d’abord, le changement est venu de la création d’un nouveau statut juridique, le Pacs, qui suit la même trame que celui du mariage même s’il est moins abouti et parfois qualifié d’embryonnaire.
Le Pacs peut être vu comme un « mini-mariage », même si la logique patrimoniale est ici inversée par rapport à celle du mariage : il n’y a pas de masse commune de biens, sauf volonté contraire. Ainsi, on s’engage moins que pour le mariage sauf si on en décide autrement. Ensuite, cette évolution s’est traduite par l’ouverture de l’institution matrimoniale à de nouvelles personnes avec l’ouverture du mariage aux couples de même sexe et, par là même, la possibilité pour ces couples d’accéder à l’adoption d’enfants.
La période récente révèle également une convergence entre les formes juridiques de couples qui sont devenues de moins en moins différentes. C’est notamment la conclusion du Pacs qui se fait à présent, comme le mariage, devant l’officier d’état civil ou encore les époux qui, d’un commun accord, peuvent désormais, sous certaines conditions, dissoudre leur mariage sans recourir à un juge à l’image des partenaires pacsés qui peuvent rompre le pacte à tout moment sous réserve de respecter certaines formalités.
L’évolution du pluralisme juridique des couplesOn assiste enfin à l’émergence d’un droit commun qui transcende les différentes formes de couples. C’est notamment le cas en matière de violences conjugales qui sont incriminées de la même manière, quel que soit le mode d’union ou encore de l’adoption, à présent ouverte à tous les couples.
Une proposition de loi récemment enregistrée à l’Assemblée nationale vise à étendre le droit à la pension de réversion aux partenaires d’un Pacs d’une durée minimale de cinq ans, jusque là réservé au conjoint survivant. Si cette proposition est adoptée, cela sera franchir un pas de plus dans le rapprochement avec le mariage.
L’ensemble semble donc manquer de cohérence même s’il est incontestablement fondé sur des principes communs tels que l’égalité et le respect entre les membres du couple. Néanmoins, cette manière de procéder par étapes a sans doute l’avantage de permettre que les évolutions soient mieux assimilées au sein de la société. Pour preuve, la différence entre les réactions suscitées par l’ouverture du mariage pour tous en 2013 et l’ouverture de l’adoption aux couples non mariés et sans condition d’altérité sexuelle en 2022.
En 2013, la reconnaissance par la loi du mariage homosexuel a rencontré une vive opposition, bruyamment manifestée par une partie de la population alors que la loi de février 2022 réformant l’adoption n’a quant à elle que peu suscité de débats et d’oppositions. Ainsi, en matière d’union, faire évoluer les règles de droit « à petit pas » semble être une manière d’appréhender les mutations contemporaines du couple de manière progressive et durable.
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