Le 14 juillet 2019, Julian Alaphilippe avait le maillot jaune du Tour sur les épaules. À 7 km de l’arrivée, il aperçoit Romain Combaud, un copain des années jeunes à l’US Florentaine (Cher), également devenu cycliste professionnel. Le leader de la Grande Boucle se décale du peloton et vient lui taper dans la main. « Du Julian, résumait le coureur du Team DSM. Quel que soit son maillot, il reste lui-même. »
« Le plus grand coureur français de notre époque »Cet été en jaune a aussi marqué Axel Zingle, l’un des Français les plus prometteurs : « Ils m’ont fait rêver cet été-là avec Thibault Pinot. Je n’étais pas encore sur route, ce sont un peu eux qui m’ont donné envie d’y passer à 100 %.»
Le Berricho-Auvergnat a un statut un peu particulier dans le cyclisme : « C’est un peu une idole du peloton », estime le Suisse Silvan Dillier, plus d’une dizaine d’années pros au compteur.
Pour les plus jeunes, il y a le côté “vu à la télé”. « Pour notre génération, c’est le plus grand coureur français de l’époque où l’on a commencé à suivre le vélo, raconte Axel Laurance, le champion du monde espoirs en titre. Son palmarès est juste exceptionnel, tout le monde voudrait avoir le même. » Deux titres mondiaux, Milan-San Remo, trois Flèche wallonne, des étapes sur tous les Grands Tours, dont six sur la Grande Boucle…
« L'un des meilleurs coéquipiers que je n'ai jamais eus »Et le phénomène va au-delà. En 2021, le Danois Michael Morkov, alors meilleur poisson-pilote du monde, nous confiait après avoir vu le maillot arc-en-ciel prendre des risques pour aider leur sprinteur Mark Cavendish : « Il a beaucoup de bons résultats lui-même, mais il n’hésite pas à venir aider dans de dangereux sprints massifs. Il veut se sacrifier pour permettre à ses équipiers d’avoir leur propre chance. Il est l’un des meilleurs coéquipiers que je n’ai jamais eus. »
Ce sens du collectif est indéniable. Son manager chez Soudal-Quick Step, Patrick Lefevere, l’un des rares à avoir eu des mots durs envers Julian Alaphilippe – le Belge a dit cet hiver qu’il « devait s’entraîner plus dur », qu’il y avait « trop de fêtes et trop d’alcool » et qu’il n’était pas à la hauteur du contrat de 2,3 millions d’euros signé en 2021 – nous expliquait, en 2022, que ses équipiers se mettaient facilement à son service « parce qu’il est gentil et gracieux. Il dira toujours merci à ceux qui l’aident et il n’oublie jamais ce que les autres font pour lui. »
« On a rigolé comme des baleines »L’excellente réputation de “Loulou” dans le peloton vient aussi de son caractère. Thomas Voeckler, le sélectionneur de ses deux titres mondiaux, a rencontré pour la première fois Julian Alaphilippe à la veille du Grand Prix de Québec 2016 : « On s’était retrouvé ensemble un peu hasard sur le circuit, on avait roulé un peu tous les deux. On ne se connaissait pas et je me souviens que l’on avait rigolé comme des baleines. »
Cette bonhomie ne vaut pas que pour les grands noms du peloton. « Il n’hésite jamais à venir saluer les p’tits jeunes, apprécie Axel Zingle. Ce n’est pas le genre à nous prendre de haut. Au contraire, il s’intéresse et il aime bien apprendre à connaître les nouveaux arrivants. » « Comme tout le monde le dit, c’est un super mec, super serviable, opine Axel Laurance. Je trouve que tout ce que l’on dit sur lui est vrai. »
Le coureur, facilement reconnaissable à son bouc et à son tempérament d’attaquant, debout sur les pédales et sourire aux lèvres, force aussi l’admiration pour sa capacité de travail. Au soir de son premier titre mondial, c’était ce que voulait retenir son cousin et entraîneur, Franck Alaphilippe : « Je retiendrai sa volonté, sa force mentale. C’est vraiment ce qui lui permet d’avancer dans le cyclisme et dans son métier. C’est quelqu’un de généreux dans l’effort, avec un mental que je qualifierais de presque supérieur à la norme. »
Cet adversaire s'est sacrifié pour qu'il gagneAprès deux années de doutes, toutes ces qualités lui ont permis de retrouver le chemin d’un succès de prestige, en mai, sur le Giro. Sur une étape accidentée, Mirco Maestri a roulé toute la journée avec lui. Sans hésiter, malgré le fait qu’avec Alaphilippe, ni lui, ni son équipe n’avaient de chance de victoire. La raison ? « Sagan et Alaphilippe ont toujours été mes idoles et avoir fait ça avec Julian… », confiait l’Italien, radieux, après l’arrivée. Trois jours plus tard, Alaphilippe est revenu le voir pour lui offrir un cadeau : son maillot… emballé dans une boîte à pizza. Et ces simples mots : « Je voulais le garder en souvenir après ma grande victoire, mais je suis heureux de te le donner. Il est pour toi. »
Ludovic Aurégan (avec Antonin Bisson)