Si l’été est souvent une période creuse en termes de nouvelles sorties au cinéma, c’est l’occasion idéale de se tourner vers le passé et de (re)découvrir des chefs-d’œuvre, dans de bonnes conditions et au frais : dans les salles obscures !
Considéré comme l’un des chefs-d’œuvre emblématiques de la fin de l’ère du cinéma muet, Napoléon s’impose incontestablement comme la ressortie incontournable de cet été. La restauration de la Cinémathèque, longue de seize années de labeur acharné pour reconstituer, restaurer et reconstruire une version de plus de sept heures, prolonge la démesure du film. Les adjectifs sont bien en peine pour exprimer son gigantisme. Abel Gance aspire à un “surcinéma” qui transcende les limites esthétiques du médium.
Cette adaptation de la nouvelle de Maupassant dégage une sensation de liberté en parfaite harmonie avec l’air du temps. Grâce aux congés payés, une famille de citadin·es fuit Paris pour se poser vers Bezons au bord de l’eau. Renoir célèbre avec bonheur l’éveil des sens et le premier amour dans ce cadre idyllique. Mais très vite, la joie s’estompe et les sentiments s’assombrissent par les barrières des classes sociales. Le regret amoureux et le manque physique sont alors empreints de douleur pour Henriette condamnée à épouser Anatole.
La transposition moderne de l’œuvre de Flaubert dans la vallée du Douro permet au cinéaste de ne pas narrer directement l’histoire de la véritable Emma Bovary, mais plutôt celle d’une femme contemporaine, Ema Cardeano Paiva. Bien qu’elle lise le roman de Flaubert et rejette le surnom de Bovaryette, Ema n’est pas moins prémunie contre le bovarysme. C’est que Val Abraham propose une interprétation alternative, révélant qu’il existe plusieurs façons de se réincarner en Emma tout en cultivant l’illusion d’y échapper.
Avec La Fille du puisatier, Marcel Pagnol signe un de ses plus beaux films dans lequel il réunit une fois de plus deux monstres sacrés, Raimu et Fernandel. L’intrigue suit Patricia, la fille du puisatier Pascal Amoretti, qui tombe enceinte, hors mariage du jeune Jacques Mazel, un homme de bonne famille, avant que ce dernier ne parte pour le front. Le film dépeint avec finesse la fracture sociale qui divise les familles Mazel et Amoretti. L’attitude archaïque du père Amoretti le pousse d’abord à rejeter sa fille. Tout au long du récit, il se débattra contre la rigidité des normes morales héritées, cherchant à se réconcilier avec sa fille et à accueillir le nouveau-né dans une quête poignante de rédemption et d’acceptation.
Quarante ans après sa sortie initiale, l’une des œuvres cinématographiques les plus emblématiques de Shinji Sōmai fait un retour remarqué dans les salles françaises cet été, conservant intacte sa puissance évocatrice. Bien loin de la légèreté envoûtante du film The Breakfast Club, auquel il est souvent comparé, Typhoon Club se distingue par une vision résolument nihiliste. L’annonce d’un typhon imminent, qui contraint un groupe de collégie·nes à demeurer confiné·es dans l’enceinte de leur établissement scolaire, agit comme le catalyseur des angoisses latentes au sein de cette communauté. Un des personnages métamorphosé en un monstre silencieux incarne cette jeunesse japonaise consciente de son inéluctable formatage. Dans son approche syncrétique, le film marie habilement différentes influences pour offrir une réflexion poignante sur la société japonaise de l’après-guerre.
Comme il nous l’indique en introduction, le maître du suspense n’a pas eu recours à son imagination pour ce récit, mais s’est inspiré pour la première fois d’une histoire vraie. Le faux coupable c’est Manny, interprété par Henry Fonda. Accusé à tort d’un hold-up, il va lutter tout au long du film et avec l’aide de sa femme (Vera Miles) pour prouver son innocence. Plus Manny cherche à prouver son innocence, plus il est rongé par un sentiment de culpabilité, renforcé par sa foi catholique. Hitchcock accentue de manière presque hallucinatoire le point de vue de Manny, créant un contraste saisissant entre le réalisme brut des détails concrets et les illusions vertigineuses de la réalité. Si le film n’est pas le plus riche en symboles ni le plus visuellement extravagant d’Hitchcock, il exprime de manière plus directe la sévérité de sa vision de la religion.
François Truffaut prend le contrepied de Jules et Jim en adaptant un autre roman d’Henri-Pierre Roché. S’il s’agit de nouveau d’un triangle amoureux, cette fois, ce sont deux femmes qui se disputent l’amour d’un homme. Les personnages peinent à s’aimer en raison de leurs propres inhibitions psychologiques et internes. Le marivaudage, loin de s’épanouir, est freiné par ces barrières internes qui limitent leur expression. Le romantisme fiévreux du film figure le mal-être de François Truffaut à la suite de sa rupture douloureuse avec Catherine Deneuve au moment du tournage.
L’Innocent est tiré d’un roman de Gabriele d’Annunzio, et se distingue par son esthétique dépouillée, loin de la grandiloquence qui caractérise habituellement le style viscontien. D’une facture plus classique et ramassée, le film dépeint la lente désagrégation d’un couple de la bourgeoisie romaine, symbolisant en filigrane la décadence de l’Italie de la fin du XIXe siècle. Le dandy Tullio, qui trompe sa femme sans vergogne, se fond parfaitement dans cette galerie de personnages viscontiens livrés à eux-mêmes, perdus dans un monde qu’ils ne parviennent plus à saisir et qui, inexorablement, les conduira à leur perte.
Le chef-d’œuvre d’Akira Kurosawa, réapparu sur les écrans dans son montage original, transcende le genre du western nippon pour offrir une réflexion pénétrante sur la société féodale. Dès sa scène de combat filmée au ralenti dans une ambiance de silence solennel, Kurosawa s’écarte des conventions du film d’action pour adopter un ton contemplatif. L’affrontement entre samouraïs et pillards ne se dévoile qu’en fin de récit. Le film privilégie une exploration minutieuse de la vie quotidienne des personnages à travers une série de scènes réalistes. Kurosawa expose les inégalités de classe, mettant en lumière l’aliénation des paysan·nes enraciné·es dans leur terre et la dégénérescence morale de la caste guerrière.
Le premier long métrage de Jacques Rozier, Adieu Philippine, renferme les motifs principaux de sa courte filmographie. Le cinéaste nous convie ici à une échappée estivale au cœur d’un Club Méditerranée en Corse. Il met en scène Michel qui veut profiter de ses dernières semaines de liberté aux côtés de Juliette et Liliane, plus attachées à lui qu’il ne veut le croire, avant d’être convoqué pour la guerre d’Algérie. La dilatation du temps à l’œuvre exalte les gestes fugitifs du quotidien et nous procure cette sensation de grâce et de fragilité de l’instant.