Parce qu’il n’y a pas que le néo-réalisme et les romans d’Andrea Camilleri, et parce que la littérature est en Italie moins centralisée qu’en France, plusieurs auteurs et autrices contemporain·es ont signé des œuvres ces dernières années qui sont d’excellentes portes d’entrée pour qui veut aborder le grand sud de la Péninsule et ses îles.
Par exemple dans Anna, sorti en 2015 en Italie et l’année suivante en France chez Grasset, Niccolò Ammaniti imaginait qu’en 2020 en Sicile une mystérieuse épidémie tuait tous les adultes, laissant les enfants désemparés. Une étrange prémonition d’avant Covid-19, mais là n’est pas le plus important : vers la fin des années 1990, l’auteur de Je n’ai pas peur (Grasset 2002) a participé au mouvement des Cannibales, groupe de jeunes auteur·ices qui s’étaient donné pour mission de travailler la thématique de la violence sous toutes ses formes. On peut mesurer ici l’importance de leur travail. Ammaniti a su utiliser les codes du roman de genre pour les arranger à sa façon très personnelle. Dès les premières pages, sa Sicile est étonnamment réelle, dans les parfums, la chaleur, la beauté saisissante des paysages et la sensation d’isolement, car loin du continent les enfants semblent oubliés du monde. Anna et son petit frère traversent l’île de Castellammare à Messine en passant par le centre historique de Palerme, où tout est abandonné. On retiendra la vision de l’autoroute déserte surplombant la mer, les stations balnéaires vides et l’histoire récente de l’île, que l’auteur fait apparaître entre les lignes.
Sorti il y a près de quinze ans, Le temps suspendu est le dernier texte de Valeria Parrella à avoir été traduit en français – malheureusement. Autrice napolitaine très engagée politiquement et féministe, Parrella signe ici un roman ultra-contemporain, drôle et tragique, centré sur un personnage principal, Maria, 43 ans, prof d’italien pour migrant·es. Maria célibataire accouche d’une grande prématurée et durant deux mois elle ignore si sa fille va survivre. Ce roman inattendu est un dialogue que la jeune femme installe avec son bébé, alors que Naples autour d’elle continue de vivre et qu’elle ne peut s’en extraire. Parrella possède le don de saisir des scènes sur le vif, de créer des personnages, de suggérer sans larmoyer, et surtout de montrer Naples comme on l’a rarement lu. Sous sa plume c’est une modernité typiquement méditerranéenne qui surgit, Parrella dans ce roman met en scène ce grand port antique comme une ville hyper actuelle, cosmopolite, en avance sur l’intérieur des terres de par sa position géographique même. Le fait est que la romancière s’est saisie du sujet des migrant·es en Méditerranée bien avant qu’il ne fasse la une des journaux.
Marcello Foïs est né dans le nord de la Sardaigne, à Nuoro, et c’est en général là-bas qu’il situe l’action de ses romans. Auteur de polars, ses livres se déroulent soit à la fin du XIXème siècle, juste après l’unification italienne alors que l’île est le lieu de profondes transformations, soit cent ans plus tard, à la fin du XXème, et Fois excelle à décortiquer les maux qui encore aujourd’hui étreignent sa ville natale et les alentours, la région rurale de la Barbagia : l’affairisme, la mafia, la violence, les tourments politiques.
D’une grande efficacité narrative, La Lumière parfaite, élève ses thèmes de prédilection au rang de tragédie grecque. Soit un triangle amoureux, Cristian et Domenico, jeunes hommes qui ont grandi ensemble, et Maddalena. Une lutte sans merci oppose les deux garçons sur fond de rivalités familiales, non-dits ancestraux, richesses acquises à la va-vite avec l’explosion du tourisme, et le choc des valeurs libérales face à celles, ancestrales, des locaux. Fois sait parler de tout cela sans angélisme et sans sombrer dans les clichés. Chez lui, comme chez Ammaniti et Parrella, c’est une peinture d’un territoire qui est proposée, avec ses enjeux et ses difficultés, loin des attractions touristiques.
Anna de Niccolò Ammaniti. Traduit de l’italien par Myriem Bouzaher (Le livre de poche, 2021), 336 p., 8,70 €.
Le temps suspendu de Valeria Parrella. Traduit de l’italien par Dominique Vittoz (Seuil, 2010), 156 p., 16,70 €.
La Lumière parfaite, de Marcello Fois. Traduit de l’italien par Jean-Paul Manganaro (Seuil, 2017). 384 p., 23 €.