Quels sont les liens entre le cinéma de Pasolini et la peinture ? C’est à cette question que l’exposition Pasolini en clair-obscur, à la Villa Sauber de Monaco, entend répondre, en confrontant des images de ses plus célèbres films avec des tableaux, afin de révéler les phénomènes de circulation et de pollinisation entre ces deux arts.
Dans sa première partie, l’exposition retrace les années formatrices de Pier Paolo Pasolini à Bologne, où il suit les cours de l’éminent historien de l’art Roberto Longhi – dont l’influence marquera profondément son approche picturale. Grâce à lui, Pasolini découvre les artistes de la Renaissance italienne et leurs sujets religieux. Les références à la peinture classique imprègnent ses films, suivant trois démarches distinctes que l’exposition se fait fort de démontrer à travers des extraits, des toiles, des dessins, des installations et des photographies.
Dès ses premiers films tournés dans un noir et blanc très contrasté (Mamma Roma et Accattone), ces références se manifestent d’une manière évidente : pour illustrer ses récits d’une jeunesse à la dérive, le cinéaste puise dans les figures masculines peintes en clair-obscur (d’où le titre de l’exposition) par Le Caravage. Comme le montre habilement la Villa Sauber, où les toiles sont mises en comparaison avec des séquences de films : Le Petit Bacchus malade (1593) avec le héros d’Accattone par exemple, ou encore Jeune Garçon portant une corbeille de fruits (1593) avec Ettore, le protagoniste de Mamma Roma. On peut également citer une référence dans ce film à La Lamentation sur le Christ mort (1470-1474) d’Andrea Mantegna, lorsque Ettore est attaché à son lit de mort comme un condamné.
Une autre façon pour Pasolini d’introduire des références picturales est d’intégrer directement les toiles dans le décor. Dans Salò ou les 120 Journées de Sodome par exemple, des œuvres cubistes et futuristes sont suspendues aux murs, entourant des personnages qui semblent indifférents à leur présence.
Enfin, dans son court métrage La Ricotta, le cinéaste pousse cette approche encore plus loin en reconstituant littéralement la Descente de croix du Christ sous forme de tableaux vivants. En contraste avec le noir et blanc du film, les reconstitutions de deux peintures maniéristes de Rosso Fiorentino (Déposition de croix, 1521) et Pontormo (La Déposition, 1528) sont filmées en Technicolor, avec l’intention de les rendre aussi spectaculaires que possible.
Si les références picturales renvoient quasi systématiquement à la période classique, l’exposition met aussi en lumière l’intérêt ambivalent de Pasolini pour le contemporain. Tout en considérant certains artistes comme opportunistes et mondains, il trouve en Francis Bacon une figure révoltée à laquelle il s’identifie. L’Irlandais est ainsi évoqué à plusieurs reprises dans Théorème, notamment à travers un catalogue de ses œuvres qui suscite une révélation artistique chez le personnage de Pietro.
En enrichissant l’ambition totalisante de l’œuvre de Pasolini, la peinture se conjugue avec l’écriture et le cinéma pour former un triptyque destiné à illustrer les travers du monde capitaliste, qui écrase les corps humains.
Pasolini en clair-obscur, à la Villa Sauber, Nouveau Musée national de Monaco, jusqu’au 29 septembre.