De la fin de la guerre d’Indochine, à l’affaire du Watergate, jusqu’à la nomination d’Emmanuel Macron à Bercy, redécouvrez à travers nos archives, les temps forts des étés de chaque décennie entre avancées diplomatiques, crises politiques et progrès scientifiques. Cette semaine, l’été 1974.
EPISODE 1 - Eté 54 : l’espoir Mendès France, la fin de la guerre d’Indochine, un coup d’Etat au Guatemala
Le 17 juin 1972, en pleine campagne pour l’élection présidentielle américaine, cinq hommes sont arrêtés après s’être introduits par effraction dans l’immeuble qui abrite le QG du Parti démocrate à Washington. Rapidement, Bob Woodward et Carl Bernstein, deux journalistes du Washington Post, révèlent les liens des hommes interpellés avec l’administration Nixon. Ainsi éclate le scandale du Watergate. Deux ans après le début de l’affaire, Richard Nixon empêtré dans ses mensonges et menacé de destitution, annonce sa démission le 8 août et quitte la Maison-Blanche le lendemain. Au pouvoir depuis 1969, il est à ce jour le seul président de l’histoire des Etats-Unis à avoir démissionné.
Dans un article intitulé "Le ciment américain", Pierre Salinger, ancien porte-parole de la Maison-Blanche sous Kennedy et grand reporter à L’Express entre 1973 et 1978 analyse comment le président Nixon a rompu son contrat de confiance avec les Américains et précipité sa chute.
"Depuis le début de l’affaire Watergate, j’essaie d’expliquer à mes amis européens ce qu’elle signifie pour les Américains. Sans grand succès. Apparemment, ils ne saisissent pas de quoi il s’agit. Nous ne parlons pas de la même chose. Pour comprendre la chute de Richard Nixon, il faut comprendre les Etats-Unis. Un pays relativement jeune, composé d’hommes et de femmes venus de toutes les parties du monde pour créer une nouvelle patrie fondée sur une certaine idée de la liberté. Ils ont conclu entre eux un contrat, destiné à garantir les droits de l’homme. Ce contrat, c’est la Constitution. Aussi, tout au long de leur histoire, qui a quand même deux cents ans, ils ont considéré un seul crime impardonnable : celui de violer ce contrat, car il constitue le ciment qui les unit.
C’est bien ce crime dont Richard Nixon s’est rendu coupable. Il a menti systématiquement au peuple américain. Il a utilisé le gouvernement des Etats-Unis pour pourchasser et abattre ses 'ennemis'. Il a manifesté son mépris pour le Congrès et pour les tribunaux. Le président des Etats-Unis est un homme puissant, peut-être le plus puissant de la Terre. Le peuple américain l’admire et le respecte. Il est prêt à accepter bien des choses de sa part. Il tolère, par exemple, que son président vive comme un roi. Mais pas qu’il agisse comme tel.
L’affaire Watergate a démontré de façon spectaculaire que, pour les Américains, le président des Etats-Unis ne saurait être un homme au-dessus des lois. Il doit leur être soumis, comme n’importe quel autre citoyen. Plus important encore : la démocratie américaine est un système politique fondé sur l’équilibre des pouvoirs. La justice doit être indépendante. Le Parlement doit être fort. La presse doit être vraiment libre, comme le garantit le premier amendement de la Constitution. Le seul responsable de la chute de Richard Nixon, c’est bien Richard Nixon lui-même. Il a commis une série d’actes qui devaient fatalement le mener à sa perte. Sans les institutions démocratiques de l’Amérique, il aurait pu échapper à son sort. Grâce à Dieu, elles ont fonctionné normalement. Enfin, les hommes ont joué leur rôle dans cette affaire : un sénateur courageux, un juge incorruptible et deux jeunes journalistes persévérants. Mais ce n’est pas en tant qu’individus ou en tant que prétendus "ennemis politiques" du Président qu’ils ont réussi à abattre l’homme le plus puissant de la Terre. A travers eux et à travers les institutions qu’ils représentent, c’est le peuple américain qui a eu le dernier mot. Winston Churchill a dit un jour que ’la démocratie est le pire des régimes, à l’exception de tous les autres'. L’affaire Watergate confirme ce jugement."
L’Express du 12 août 1974
Moins de deux mois après son élection à la présidence de la République, Valéry Giscard d'Estaing honore sa promesse de campagne d’abaisser l’âge de la majorité à 18 ans. Cette mesure emblématique répond au désir d’émancipation de la jeunesse mais sa mise en place à la hâte engendre des difficultés de mise en oeuvre comme l’explique Liliane Sichler.
"A 18 ans, les jeunes jouiront désormais de tous leurs droits, civils et électoraux. Mais, contrairement au pari de M. Valéry Giscard d'Estaing, ce ne sera pas vraiment une victoire pour lui. Il faut dire que le gouvernement a mal manœuvré. Le 10 juin dernier, au sortir d’un Conseil des ministres exceptionnel, M. Jean Lecanuet, garde des Sceaux, annonce la bonne nouvelle : désormais, les jeunes voteront à 18 ans et ’ils se rappelleront, insiste-t-il qu’ils le doivent à ce gouvernement'. Malheureusement, les épines cernent déjà le projet gouvernemental sous la forme fastidieuse d’une bonne centaine d’articles du Code civil à revoir. Sans parler des multiples aménagements fiscaux et sociaux à mettre en route au plus vite.
En faisant adopter dès le troisième Conseil des ministres de son septennat le projet de loi sur l’abaissement de la majorité électorale, M. Giscard d'Estaing marquait un point important. Il tenait ses promesses. Sans délai. Mais, techniquement, rien n’était prêt pour la mise en oeuvre de cette réforme. Voilà qui explique sans doute le revirement de M. Lecanuet devant le Parlement. Pour se justifier, le garde des Sceaux soulignait que ’la barrière des 21 ans est l’un des pivots de tout notre système législatif'. Mais la demi-réforme proposée était une erreur tactique. Il était clair que l’opposition sauterait sur l’occasion pour mettre le gouvernement en difficulté. Pourtant, il eût été facile de s’en tirer en proposant d’abaisser tout de suite l’âge de la majorité civile, tout en se réservant un délai de quelques mois pour publier les décrets d’application, qui demandent, en effet, une étude sérieuse."
L’Express du 1er juillet 1974
En 1970, l’annonce d’un projet d’extension d’un camp militaire situé sur le plateau du Larzac dans l’Aveyron engendre une mobilisation sans précédent autour des agriculteurs menacés d’expropriation. Après un nouveau rassemblement organisé à l’été 1974, Jean-Paul Aymon et Jacques Molénat décrivent dans L’Express cette convergence des luttes populaires contre le pouvoir autour du Larzac. Après 10 ans de protestation, François Mitterrand enterre le projet d’agrandissement du camp militaire. La lutte du Larzac est devenue un modèle pour d’autres résistances comme la longue mobilisation contre le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes.
"La messe du Larzac est finie. Les 100 000 jeunes qui avaient envahi, l’autre week-end, ce causse désertique de l’Aveyron où l’herbe à moutons se fraie un chemin parmi les éboulis de rochers, sont repartis. Après trois jours de débats, une moisson symbolique au profit du tiers monde et une chevauchée de 30 tracteurs labourant une terre récemment acquise par l’Armée. Les paysans sont restés. Les’103’poursuivent leur combat contre l’extension du camp militaire et mènent leur guérilla foncière en achetant les propriétés convoitées par l’Armée, qu’ils exploiteront collectivement.
Mais étaient-ils venus seulement pour défendre cette cause, les pèlerins de la contestation qui ont participé à la longue marche derrière les moissonneuses et les tracteurs — ces’blindés de la paix' — soulevant des nuages de poussière brune ? 'Moi, c’était pour être avec des copains, dans l’herbe, pour parler', dit Brigitte, une Bretonne de 20 ans qui a quitté sa famille pour’vivre sa vie'. Un dessinateur industriel de Sisteron explique : 'Comme beaucoup d’anciens militants, je suis déçu par l’action politique, je me sens paumé. Ici, je vais peut-être m’y retrouver.' Une dizaine de jeunes Alsaciens, qui n’appartiennent à aucun mouvement, recherchaient’la fête'. Le soleil, une guitare, une provision de vin rouge de l’Hérault suffisaient à leur bonheur. La nuque appuyée au sac à dos, ils admiraient le ciel étoilé et sifflaient toutes les filles qui passaient. Paul, militant de Révolution, a quitté le vendredi soir le bureau parisien où ïl travaille. 'Tout de suite, dans l’autocar, raconte-t-il, c’était un autre monde. Quinze employés de banque ont commencé à chanter. De’La Jeune Garde’à Gilles Servat. On n’a pas cessé de parler pendant quinze heures.
De l’armée, des syndicats, de l’auto-gestion, de la gauche réformiste. Pourquoi le Larzac ? Parce que c’est une convergence de luttes populaires contre le pouvoir. La disparité même du rassemblement provoque les débats. Les débats… Ils naissaient spontanément sur le causse. On s’interpellait d’une tente à l’autre ou pendant le pique-nique. Autour de la centaine de stands faits de planches posées sur des bottes de paille, se tenait en permanence une étrange foire de la contestation. Le Comité antimilitariste côtoyait les Occitans, les écologistes, les partisans de l’avortement libre, les Témoins de Jéhovah, les disciples de Lanza del Vasto, les associations de travailleurs immigrés, le comité Chili, les objecteurs de conscience et la mosaïque bigarrée des mouvements gauchistes. Prenant leurs distances par rapport à leurs invités, les paysans du Larzac s’étaient réservé un enclos et expliquaient avec patience le sens de leur lutte. Parler, 'communiquer', c’était le dénominateur commun de jeunes qui ne se ressemblaient pas tous, mais avaient en commun la conviction d’une solidarité entre les habitants de la planète et s’identifiaient aux plus défavorisés. Le résultat : une boulimie de’prises de parole'. La Sorbonne de Mai 1968 avait pris la clef des champs dans une ambiance de kermesse."
L’Express du 26 août 1974
"Mieux vaut une guerre qui se termine par la chute d’une dictature que le cas plus fréquent où elle se termine par la chute d’une démocratie" affirme Jean-François Revel dans l’édito qui accompagne le reportage de Jacques Derogy et Roger-Xavier Lantéri à Athènes après la retraite des colonels au pouvoir depuis le putsch de 1967. Les premiers soulèvements étudiants contre le régime sont apparus en 1973 mais après plusieurs mois de répression violente, c’est finalement la crise de Chypre et l’intervention turque qui précipitent la fin du régime.
"Cela s’appelle l’espoir. Une rumeur, d’abord, qu’on colporte mardi, à l’heure de la sieste, dans les faubourgs d’Athènes. Les dictateurs militaires, depuis le matin, conversent avec les personnages politiques de l’ancien régime, au Palais du Gouvernement. Et soudain, à 19 heures, les radios qui beuglaient dans la rue des marches guerrières prennent l’accent dramatique des actualités d’autrefois : 'Les militaires ont décidé de remettre le gouvernement aux civils.' Toutes les poitrines explosent en même temps. […] La foule court, embrasse les militaires, qui se dégagent, tandis qu’alentour jaillit le vieux cri : 'L’Armée avec nous.' Un slogan est lancé, repris, répété, et des milliers de bouches scandent en chœur : 'Le fascisme meurt ce soir.' Sans ministre, sans ordre, sans armes, les policiers, bras écartés, paumes ouvertes, contiennent doucement les manifestants, dont beaucoup brandissent des portraits de Mgr Makarios. Elle est décontenancée, cette police. Hier encore, elle orchestrait devant l’ambassade de Grande-Bretagne une opération menée par une trentaine de braillards aux cheveux longs et une section de jeunes aux nuques rasées nés, semble-t-il, la même année, comme des soldats du même contingent. […]
Pourquoi l’ambassade de Grande-Bretagne ? Parce que Londres poussait Washington à éliminer les putschistes qui s’étaient emparés du pouvoir à Chypre, une semaine plus tôt. Les Américains, après le coup de Nicosie, s’étaient montrés satisfaits. La loi du plus fort est un des fondements de la politique. Ils n’avaient pas prévu que les Turcs, tirant profit de la situation, débarqueraient des troupes sur l’île à l’aube du samedi 20 juillet. Depuis 1967, les Etats-Unis s’étaient accommodés des colonels. Mais, si le pouvoir rend fou, les militaires sont particulièrement prédisposés. A n’avoir en face de leurs chars que des civils aux mains nues, ils perdent la mesure du possible, jusqu’au jour où ils se heurtent à d’autres hommes d’armes."
L’Express du 29 juillet 1974
La semaine prochaine, retrouvez l'été 84 en archives.