Au Danemark, la randonnée itinérante peut s’appuyer sur un maillage de « shelters », des refuges, ou précisément des abris spartiates en pleine nature mis à disposition par les communes. En accès libre, ces cabanes de bois sont souvent dotées d’un point d’eau et, climat oblige, d’un tas de bûches pour faire un feu de camp.
Cette forme d’hospitalité nordique serait-elle adaptée aux mentalités françaises ? Sans s’inspirer de ce modèle scandinave, l’association Derrière le Hublot fait le pari que nous savons être aussi un peuple respectueux des lieux publics.
Derrière le Hublot, à l’origine, est la scène conventionnée et nomade de Capdenac-Gare (Aveyron). Une scène qui déborde d’idées hors-les-murs et est sortie de sa zone de confort, le spectacle vivant, au point de construire dehors des décors en dur.
Son directeur, Fred Sancère, a pris son bâton de pèlerin pour proposer aux territoires traversés par le chemin de Compostelle d’ériger un chapelet de nids dédiés à la contemplation des ciels étoilés. Une demi-douzaine d’abris ont ouvert depuis 2016. Le promoteur de cette opération, baptisée Fenêtres sur le paysage, ne compte pas s’arrêter en si bon chemin puisqu’une demi-douzaine d’autres sont en construction ou en projet.
Les six refuges déja accessiblesPour agrandir la carte, cliquez sur ce lien
1. Haute-Loire Le Suchaillou de Constance Guisset
Le Suchaillou au col de Raffy, à Queyrières (43), a été imaginé par Constance Guisseta et bâti par des muraillers en pierres sèches volcaniques.
2. Aveyron. La chambre d’or par Abraham Poincheval
La chambre d'or imaginée par Abraham Poincheval, à Golinhac (12). Béton armé et enduit de graves locales (granite, quartz et tuff de Golinhac).
3. Aveyron. Vivre seule créé par d’Elias Guenoun
Vivre seule par Elias Guenoun, une cabane construite avec des matériaux trouvés sur place à Livinhac-le-haut (12).
4. Lot. La Citerne-lit a été imaginée par Fred Sancère
La citerne lit imaginée par Fred Sancere, est posée à Felzins (46). Fred Sancère a invité les créateurs Julien Choppin et Pierre de Mecquenem et a travaillé avec Encore heureux architectes. Cet abri a coûté moins cher que le reste de la série. L’enveloppe des projets est fixée à 65.000 euros.
5. Lot. Super-Cayrou, une création d'Encore heureux architectes
Super Cayroux à Gréaloux (46) par Encore Heureuxrend hommage aux paysages des causses du Quercy.
6. Lot. Pecten Maximus a été imaginé par Sara de Gouy
Pecten maximus, un refuge poséà Limogne-en-Quercy( 46)
Chaque refuge est une œuvre d’art, une micro-architecture unique imaginée et dessinée par un créateur.« On donne quelque chose de très beau, gratuitement », se réjouit le directeur de Derrière le hublot, pour mieux signaler qu’en huit ans, « une seule dégradation » est à déplorer. « Les gens sont respectueux, ils ne laissent pas de déchets derrière eux ».Chacune de ces micro-architectures peut abriter les rêves de deux randonneurs, pour une nuit ou pour une simple sieste, mais l’esprit des lieux n’est pas celui d’une aire de bivouac. Les commodités, comme les toilettes ou le point d’eau, ne figurent pas dans le cahier des charges. Les hébergeurs professionnels n’ont donc pas lieu de protester devant une concurrence déloyale, tandis que Fred Sancère réfute l’intention d’avoir voulu créer un joli « chemin de sculptures », pour mieux revendiquer celle d’avoir voulu faire œuvre(s) utile(s).
L’une des plus jolies idées de refuge, la citerne-lit, est à mettre au crédit du chef de projet himself, qui met à exécution des idées folles dans les petits patelins du Rouergue et du Quercy depuis trente ans. Quel meilleur emblème que ce détournement “agri-culturel” pour une opération de diffusion artistique en milieu rural ? Car ces abris curieux ne ravissent pas seulement les marcheurs, ils sont objets de curiosité pour les habitants des communes sur lesquels ils sont édifiés. Ces nouvelles « curiosités locales » deviennent le « but de balades familiales ».L’initiateur se réjouit de cette appropriation par les locaux. Même les esprits les plus chagrins peineraient à décrire ces refuges comme des bidules posés au milieu de nulle part, tant le défi lancé aux concepteurs met au premier plan l’intégration dans l’environnement.
On dit aux artistes que leur œuvre doit surgir de terre. S’écrire dans un contexte en prenant en compte un savoir-faire.
Pierres sèches, lauzes, essences locales de bois : les matériaux employés sont avant tout issus du territoire. Jamais ridicules ces édicules doivent conserver un caractère « surprenant », insiste Fred Sancère ; qui fait cogiter des architectes, designers, ou des créateurs venus des arts visuels.
L’agitateur aveyronnais, qui a construit un gros réseau professionnel sur une trentaine d’années, n’exclut pas de proposer à « un metteur en scène ou à un écrivain » de se faire bâtisseur.
Toutes les portes s’ouvrent devant ces poétiques Fenêtres sur le paysage.L’opération est soutenue par le commissariat du Massif central (et donc l’État). Les collectivités succombent en mode dominos. La région Occitanie a été rejointe par Auvergne Rhône-Alpes qui travaille justement à étendre les bienfaits de la voie de Saint-Jaques entre Le Puy-en-Velay et Genève. L'abri en pierre sèche du Suchaillou, imaginé par la designer Constance Guisset constitue un remarquable premier jalon en Haute-Loire. Chaque refuge est unique, mais hors du sentier de compstelle, ce modèle de développement artistique du territoire susciterait déjà des contrefaçons.
Constance Guisset, designer et architecte d'une cabane en pierres sèches en Haute-LoireLe Suchaillou au col de Raffy à Queryrieres« À Paris, j’habite dans une tour, j’aime les horizons dégagés et ici j’ai découvert une vue incroyable », s’émerveille Constance Guisset, qui fait elle-même partie des designers français les plus en vue.
Le col de Raffy (1.250 mètres) se trouve sur la commune de Queyrières, à une vingtaine de kilomètres à l’est du Puy-en-Velay.
Ici, le tracé du GR 65 offre un balcon sur les sucs du massif du Meygal. La rencontre de cette créatrice parisienne avec un territoire, des élus, des artisans et un tas de pierres volcanique était assez improbable. Dans son studio du XVIIIe arrondissement, Constance Guisset recherche perpétuellement la ligne parfaite, la légèreté et l’épure. Elle crée depuis une quinzaine d’années des objets industriels, du mobilier, des scénographies temporaires ou permanentes. Certaines de ses créations, comme la lampe « vertigo », sont des best sellers. L’éclectisme fait partie de sa marque de fabrique : « Nous pouvons passer d’espaces de bureau à Genève à un livre jeunesse, à une tombe, des bancs pour une église, des lunettes, ou à du mobilier pour la Philarmonie des enfants », énumère la créatrice, qui est épaulée par une dizaine de personnes.
Le Suchaillou, fruit d'une collaboration netre une designer et des muraillers La façade tout en courbes du Suchaillou, micro-architecture troglodytique, signe l’intervention de la designer. Le talus doit se végétaliser pour insérer encore davantage dans la topographie ce refuge bâti par les muraillers de l’équipe de François-Christophe Janel. La touche « contemporaine » apportée par Constance Guisset transcende l’hommage aux « chibottes », les cabanes en pierres sèches du Velay.
La coopération avec les bâtisseurs de pierre sèche a ravi la designer : « ils se sont approprié le projet. Ils ont fait les changements nécessaires et ont surmonté les défis que je leur ai imposés comme l’oculus, la lucarne ronde ». Le Suchailou est « une de mes plus belles expériences », affirme Constance Guisset, qui n’aime rien tant que réaliser des « espaces ouverts à tous ».
Julien Rapegno
