Le climat est rude, les mœurs tout autant. Et plus encore l’intolérance religieuse depuis que Louis XIV a cru bon, dans l’intérêt supposé de son âme et de son royaume, de révoquer l’édit de Nantes qui, quatre-vingts ans plus tôt, a accordé aux protestants la liberté de culte et quelques places de sûreté. La chasse aux huguenots, aux parpaillots est donc ouverte. C’est le temps des dragonnades. Bains de sang, tortures, viols sont au programme de cette rédemption forcée. Dans l’âpre contrée des Cévennes, l’incertain marquis de Souvré y excelle tout particulièrement. Bâtard frustré, il pense que la barbarie sanctifiée à laquelle il se livre avec froideur lui vaudra les lettres de noblesse qui lui font défaut. Le pire est que, en effet, ce sera le cas ! Face à lui et à ce déferlement de massacres se trouvent deux hommes de bien, Pierre d’Aumelas, aristocrate désargenté, et son frère de lait, Balthazar Herrero, alias Balthus, médecin éclairé – magnifique fraternité qui, en l’occurrence, vaut bien celle du sang. Ils se rendent à Versailles pour plaider la cause des populations martyres auprès du roi.
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Dire cela du livre de Jean-Paul Brighelli, c’est à peu près n’en rien dire. Car, chose assez rare par les temps littéraires qui sont les nôtres, Soleil noir est un vrai roman. Un roman qui raconte une histoire, une histoire charpentée, avec un début, un milieu, une fin, menée qui plus est avec un art consommé. Celui qu’exige la grande et belle tradition du roman français de cape et d’épée. On se pèle de froid à certaines pages, on s’échauffe autant lors de duels que dans des alcôves, on se révolte devant le crime béni des hordes fanatiques, on frise la nausée devant la bassesse des manœuvres de cour de Souvré. « La France du Grand Règne, la France classique de Racine et de Madame de Sévigné, écrit l’auteur, était un pays où il ne faisait pas bon vivre, un pays d’une dureté extrême. » Deux fléaux se disputent ce monde-là : la misère et la faim pour le plus grand nombre, la goutte et la mangeaille ad nauseam pour les autres. Ainsi ce prélat fort gras dispensé de faire carême, mais bloqué à Lodève. « Jeûner à Lodève, c’eût été jeûner deux fois », ironise Brighelli, bretteur de mots comme son héros l’est d’épée. Sa plume nous fait aussi voyager, d’un harem d’Alger aux murs parfumés de jasmin, de rose et de vanille, à la Bastille, où, entre ses murs d’un remugle moins plaisant, Pierre d’Aumelas a le désagrément de séjourner un temps.
Enfin, le rendez-vous qui attend les deux amis à Versailles s’avère d’une royale importance, d’une royale urgence : la célébrissime fistule qui menace la vie du Grand Roi. Ce duel-là sera gagné par Balthus, rompu aux médecines d’ici et du Levant, et préparé à la délicate opération par quelques répétitions sur des prisonniers du Châtelet. Son ami Pierre d’Aumelas aura lui aussi son duel, au jeu et en amour ; car l’amour a bien sûr son mot à dire dans cette foisonnante aventure.
Jean-Paul Brighelli, Soleil noir, L’Archipel, 2024.
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