Dimanche 7 juillet, au soir du second tour. Les résultats tombent au compte-goutte ; cette élue divers droite, elle, a l’assurance de retrouver son siège au Palais Bourbon. Son smartphone ne cesse de vibrer - traditionnels messages de félicitations - quand le numéro de Yaël Braun-Pivet s’affiche sur l’écran. "Bravo pour ta réélection ! À nous de construire une grande coalition républicaine qui permette de répondre aux attentes des Français et de veiller à ce que notre Assemblée fonctionne au mieux. Pour cela on aura besoin de chacun d'entre nous, tu peux compter sur moi. Je t'embrasse."
La destinataire lève un sourcil. Cette si soudaine proximité affichée par la présidente sortante de l’Assemblée nationale, alors qu’elle ne la connaît que vaguement, ne partage pas la même étiquette et s’est même (très) souvent opposée à la politique du gouvernement dans la précédente législature… "Un peu cryptique ce SMS, quand même", ricane-t-elle. Pas dupe pour un sou ! "Elle joue sa réélection au perchoir et essaye de rallier chez Renaissance, analyse-t-elle. On a tous été inondés de textos par Yaël Braun-Pivet." Message reçu 5 sur 5.
Au Palais Bourbon, la saison des amours a commencé. Après la rude bataille des législatives, une autre offensive est à l'œuvre depuis le lendemain du second tour. Une lutte hégémonique, où chaque écurie tente de garnir ses rangs de nouvelles têtes, en vue de la constitution des groupes parlementaires, à déclarer au plus tard le 18 juillet. Ici, l’amour n’a que faire des hiérarchies. Des députés, primo-élus et inconnus du grand public, se retrouvent alors courtisés par la fine fleur des principaux partis politiques. Comme ce député sans étiquette qui, au lendemain de son élection, s’est vu contacter par Olivier Faure, premier secrétaire du Parti socialiste. "Rejoins-nous, il faut qu’on passe devant La France insoumise, pour devenir le pivot de la future majorité de gauche élargie", lui a-t-il affirmé. "On n’est plus qu’à un siège, tu peux arrêter Trump, le réchauffement climatique et garantir la paix dans le monde", caricature l’intéressé devant tant d’égards. L’amour, le vrai, peut aussi ne durer qu’une seule semaine : "En gros, on m’a fait comprendre qu’il fallait être les plus nombreux à gauche pour le 18 juillet, mais qu’après je pouvais faire ce que je voulais", poursuit-il. On déchante : serait-ce un concubinage de circonstances ?
Ou simplement de la drague. "C’est Tinder ici ou quoi ?", s’étrangle une parlementaire, un peu surprise par les méthodes employées. Il faut dire que le processus est bien huilé. "Les groupes repèrent leur cible, puis l’approchent via le membre identifié comme vous connaissant personnellement", explique l'élue. Un SMS de félicitations, un coup de téléphone ou un café ; une conversation informelle dans les travées de l’Assemblée nationale. Parfois un rendez-vous organisé avec le chef à plume du groupe parlementaire. Il arrive même que les courtisans mettent les petits plats dans les grands. Comme cette élue ultramarine qui, pendant l’entre-deux-tours, a été invitée à Beauvau par le ministre Gérald Darmanin en personne, pour la convaincre de le rejoindre pour son retour dans l’Hémicycle. Ou ce député du centre de la France, accueilli en grande trombe à l’aéroport par des conseillers ministériels avec qui il avait brièvement discuté. "Vu les promesses qu’ils font à chacun, on a l’impression que les négociateurs ont 200 postes de questeurs à promettre", ironise un parlementaire. Un jeu de poker-menteur, finalement.
Comment gérer de telles sollicitations, lorsque l’on est un nouvel entrant au Palais Bourbon ? La conduite à tenir relève d’un art subtil, à en croire le bréviaire de certaines ouailles expérimentées. Règle n°1 : en politique, on ne dit jamais non ! "On ne peut pas fermer des portes à l’avance, précise un courtisé. On pose des conditions…inatteignables", sourit-il. Ainsi, des députés résolument anti-LFI classés divers-gauche et divers centre ont-ils conditionné leur rattachement au Parti socialiste à une rupture claire de la maison rose avec les mélenchonistes. Règle n°2 : attention au melon ! "Si vous tombez dans le piège de l’ego, vous êtes cuit !, avertit une députée du groupe Liot. Vous êtes juste un numéro ; le jeu des courtisans, c’est de nous faire croire qu’on n’est pas qu’une addition."
Règle n°3 : avoir une bonne mémoire… Elle a fait défaut, paraît-il, à ce député du Centre Val-de-Loire qui, dès son arrivée à l’Assemblée, s’est retrouvé acculé, au même moment, par les deux groupes parlementaires avec lesquels il s’était plus ou moins engagé… Et surtout, règle numéro 4 : prendre du plaisir ! "Rien de mieux que lorsqu’ils sont sur le toboggan des négociations. Il faut observer jusqu’où ils peuvent aller, c’est génial : même Renaissance m’a proposé la liberté de vote", ricane un parlementaire divers droite.