L’une de ses causes repose, depuis les années 1980, sur la pénétration des discours d’extrême droite dans l’espace politique et médiatique, explique Éric Fassin, sociologue et professeur au sein du département de science politique de l’Université Paris 8. Par exemple, parler du "problème de l’immigration" au lieu d’évoquer "les problèmes liés à l’immigration" participe à construire de fausses évidences qui se diffusent, ensuite, dans la société.
Le discours public "façonne les représentations avec lesquelles nous pensons le monde", rappelle-t-il, chacun ne pouvant saisir que des fragments de la réalité sociale, au travers de la lecture des journaux, en regardant des émissions... Or, "la bataille des représentations constitue la bataille politique par excellence."
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Les évolutions de l’intolérance envers les minorités, documentées par les rapports de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme, en témoignent. En 2013, pointe le sociologue, on constate par exemple un pic d’intolérance à l’égard des populations roms. Celui-ci est corrélé, temporellement, aux propos tenus par le ministre de l’Intérieur Manuel Valls, qui appelait à reconduire les Roms en Roumanie.
Un sentiment d'impunitéPlus récemment, la perspective de l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite a stimulé l’explosion des discours racistes dans les interactions sociales quotidiennes, ajoute Éric Fassin : "Ceux qui se disaient qu’un jour leurs idées accéderaient au pouvoir ont alors pensé qu’elles le seraient dès le lendemain. Ils ont anticipé sur la victoire", aiguillés par un sentiment d’impunité.
Le sociologue établit un rapport entre ce qui s’est joué ces dernières années et ces dernières semaines. Il revient sur cette formule communément utilisée : “Oser dire tout haut ce que les gens pensent tout bas”. "Tout haut, c’est par exemple à la télévision, où l’on peut dire des horreurs. Éric Zemmour a été condamné en 2019 pour provocation à la haine religieuse. Dans la foulée, il a été embauché par CNews." Ces discours ne sont donc pas réprimés : ils sont même encouragés."
Ce n'est pas l'expression d'une misère socialeMais qu’est-ce qui motive celles et ceux qui s’expriment de façon ouvertement raciste, xénophobe ? Pour Éric Fassin, l’une des clés se trouve dans la manifestation d’une forme de ressentiment à l’encontre de deux catégories de "privilégiés". D’abord, leurs préjugés se portent contre la figure fantasmée de l’"assisté", chômeur ou immigré, qui touche de l’argent sans rien faire. Et puis, d’autre part, contre "les bien-pensants", observe Éric Fassin, "ceux qui ont plus de diplômes, un capital culturel plus élevé. Le ressentiment explique la virulence de ce discours."
Ces personnes "ne sont pas forcément pauvres, leur racisme n’est donc pas l’expression d’une misère sociale", décrit le sociologue. "Ces gens estiment qu’ils n’ont pas ce qu’ils mériteraient d’avoir, ce qui explique qu’on les retrouve dans toutes les classes sociales. Or, vouloir des privilèges pour soi et les siens, c’est le contraire d’une logique d’égalité pour tout le monde. C’est pourquoi, à mon sens, c’est une grave erreur de la gauche d’être tentée par la compassion.
Aussi, conclut-il, il ne faut pas "refuser d’entendre leur vérité" en minimisant leur idéologie. "Ceux qui ont envie d’exprimer publiquement des propos racistes, antisémites, homophobes, transphobes, ne sont pas des victimes. Loin de subir, ces gens choisissent activement de rabaisser et d’humilier."
Alice Forges