« On n’est pas bien là ! » savourent trois amies en posant la glacière. Derrière elles, un amphithéâtre grandeur nature : une vue à 360 degrés sur le puy Mary, enrobé de légers nuages. Et sous leurs yeux, le damier noir et orange du « virage dorien », cette épingle du col du Pertus prise d’assaut par le club de rugby du RC Saint-Cernin : une inénarrable pièce de théâtre en plein Tour.
« Habemus papam ! », se marre un spectateur. De la fumée orange sort d’un épais tuyau installé sur le mirador des capos du virage, au bord de la route. Mais la trouvaille fait flop : cette cheminée ne crache pas suffisamment. Les capos garderont leurs fumigènes, même s’il est convenu qu’ils n’en craquent pas durant le passage des coureurs.
Mirador, buvette, canard gonflable géant...Ce joyeux bazar est sacrément bien organisé. Un mirador pour prendre de la hauteur, une grosse caisse pour tambouriner, des chants de supporters, un canard gonflable géant (aux lunettes de soleil) et une vraie buvette, dans l’épingle, pour rincer tout le monde. Le « règlement intérieur » du virage dorien y est affiché. Interdiction de « courir après un coureur, voire même de le toucher », de « huer, de critiquer ou encore d’insulter un coureur »… ou « d’évoquer l’affaire Festina de 1998 ».
La comédie commence. « Y a la télé ! », repère le virage. Oui, mais TV2, une chaîne norvégienne exigeant qu’on lui explique, en anglais, d’où sort ce tintamarre. « Tu speak english, toi ? », paniquent les organisateurs, qui finissent par se jeter à l’eau. « C’est la marée orange. Orange juice ! », traduisent-ils aux journalistes scandinaves n’y captant rien. Pour ce qui est des images, en revanche, ils ne semblent pas déçus… et n’oublient pas de filmer ce Dorien, coiffé d’un béret noir, qui danse avec un fumigène adroitement coincé dans le derrière.
Une cloche de vache en bandoulière« Tonton Cadum » gère la grosse caisse. Finalement, le tambourineur en chef ne monte pas sur son mirador, mais sur sa fourgonnette, une vieille Citroën. Les chants fusent. « Bardet on t’aime, Bardet on t’adore… Allez Romain, c’est toi le plus fort… » Alexandre, l’un des capos, distribue des autocollants Cantal géants qu’un jeune spectateur se colle directement sur les abdos. Un autre est venu avec une cloche de vache, une vraie, en bandoulière. C’est la folie.
« Allez Pogi ! » crie-t-on à droite de la route. « Allez Paul Gachard ! », corrige, à gauche, un jeune spectateur en arborant sa pancarte, encourageant un coureur français qui n’existe pas. Pogacar, le vrai, passe le premier, en maillot jaune, sous une pluie de confettis orange et un déluge d’applaudissements.
« Chalalalalalala… Romain Bardet ! »Les gars de Saint-Cernin sont si chauds qu’Oier Lazkano, le coureur espagnol de la Movistar, lance une ola dans le virage. C’est le feu. Mais l’Auvergnat Romain Bardet se fait désirer. « Il s’est arrêté ? Il a abandonné ? » Ça s’inquiète au bord de la chaussée. Et ça s’époumone ! « Chalalalalalala… Romain Bardet ! », répètent les Orange et Noir. Ils ne savent plus quoi chanter… alors ils enchaînent avec « Une souris verte, qui courait dans l’herbe », à l’hilarité générale.
Photo William Duran
Entre deux passages de cyclistes, Antoine le capo s’offre, en courant, un sprint glorieux au milieu de la route, pour haranguer son virage et rehausser le niveau de la marée orange. Ça n’enchante guère le gendarme, « en PLS », chargé de contenir tous ces aficionados derrière les cordes prévues le long de l’épingle. Mais même lui a droit à son chant. « Et le gendarme, il est sympa… et le gendarme, il est sympa ! » Il faut dire que l’ambiance reste bon enfant et surtout qu’aucun supporter ne tente de toucher les coureurs. Alors les capos remettent ça, cette fois avec de grands drapeaux.
Romain Bardet s’approche enfin. Son immense sourire non feint irradie de bonheur le virage dorien, qui conclut cette journée grandiose par une Marseillaise très appréciée du gendarme. Encore quelques fumis pour la route, sûrement deux bières ou trois pour vider les fûts et le col du Pertus se vide peu à peu. « Allez, bonne fin de journée ! Et merci pour le bob ! »
Romain Blanc
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