Après l’heure des "clarifications", celle de la "reconfiguration". En début de semaine, les cinq Insoumis répudiés ont pris la plume dans une lettre commune adressée ce mardi 9 juillet aux patrons sortants des groupes communiste et écologiste. "Comme vous le savez, la rupture entre nous et La France insoumise est consommée. Nous ne siégerons pas dans le groupe ’insoumis'", écrivent François Ruffin et Clémentine Autain, ainsi que les députés LFI sortants non réinvestis Danielle Simonnet, Alexis Corbière et Hendrik Davi.
Ainsi, ces nouveaux électrons libres appellent-ils à la création d’un "groupe nouveau", associant écologistes, communistes ainsi que les membres de Générations.s, ce parti fondé par Benoît Hamon au lendemain de la présidentielle de 2017, parvenu à faire élire six parlementaires dimanche soir à l’issue du second tour des législatives anticipées.
Car cinq députés ne suffisent pas à former un groupe parlementaire : il faut être a minima 15. Un seuil important, car les laissés-pour-compte - les "non-inscrits", selon la nomenclature du 33 Quai d’Orsay - voient leur poids politique réduit comme peau de chagrin dans l’hémicycle. Isolement, moyens financiers chiches et temps de parole limité… Une soirée de juin 2018, Jean Lassalle alors député, n’avait-il pas tempêté contre ce statut qu’il assimilait à celui de "sous-députés" ?
Excessif ? Peut-être. Reste que l’appartenance à un groupe parlementaire offre un certain nombre d’avantages. A commencer par le nerf de la guerre : les deniers. La chambre basse met à disposition des groupes parlementaires une enveloppe de quelque 10 millions d’euros, alloués en tenant compte des effectifs de chacun. Une dotation qui leur permet d’assurer nombre de dépenses, comme les location de permanences, les frais de publicité, ou encore l'impression de diverses publications.
A travers leur président, les groupes peuvent aussi participer à l’organisation des débats. Mais aussi demander un scrutin public ou encore une suspension de séance.
La représentation proportionnelle leur permet en outre de placer des pions au sein des commissions permanentes - en fonction du nombre de sièges obtenus à l'issue du scrutin. Avec de possibles bonus à la clef pour ceux qui se réclament de l’opposition. La possibilité, par exemple, d’arracher la tête de la très convoitée présidence de la commission des Finances ou bien un des trois sièges de la questure, fonction honorifique qui consiste à gérer toutes les questions administratives et financières de l’Assemblée. Au début de la XVIe législature par exemple, les groupes d’opposition détenaient 10 fonctions sur 22 (quatre des six vice-présidences, un des trois postes de questeur et cinq des 12 postes de secrétaire).
Mais le résultat de ces élections législatives anticipées ne permet pas de tracer une frontière claire entre majorité et opposition, avec 193 députés du Nouveau Front populaire (NFP), 165 de la coalition présidentielle, et 143 du Rassemblement national (RN). A moins qu’une coalition parvienne à émerger d’ici le 20 juillet, date de la répartition de ces fonctions stratégiques. Autre difficulté toutefois, la composition interne des groupes, dont l’architecture risque d’être fortement modifiée d’ici au vote.
Les insoumis seront ainsi amputés des cinq frondeurs, autoproclamés "insurgés". Au Parti socialiste, où Boris Vallaud a été réélu président de groupe peu après 15 heures ce mercredi, plusieurs voix s’élèvent en faveur d’une intégration de l’aile gauche de la Macronie. Dans le sillage de la première magistrate de Nantes Johanna Rolland, Carole Delga a tendu la main mercredi matin "à une partie de Renaissance", à condition qu’ils acceptent de soutenir "un programme de gauche".
Un appel du pied qui pourrait en séduire plus dans le camp présidentiel. Elue pour la première fois députée dans le Pas-de-Calais, la ministre déléguée à l’Agriculture, Agnès Pannier-Runacher, a d’ores et déjà dit qu’elle s’opposerait à la réforme de l’assurance-chômage. Une "liberté" qu’elle se gargarise d’avoir "gagnée avec cette élection". Incarnation à l’Assemblée de l'aile gauche du Macronisme, Sacha Houlié travaille quant à lui sur la création d’un nouveau groupe "social démocrate".
Cet enfant du parti à la rose, qui a fait sa conversion au "en même temps" en 2017, fait payer au président de la République le prix fort d’une décision de dissoudre qu’il juge "absurde", en claquant la porte de Renaissance ce mercredi.
Et tout porte à croire qu’il pourrait faire des émules. Notamment parmi ceux dont les aspirations diffèrent de celles de certains ténors de la majorité. Car Gérald Darmanin, qui s’apprête à troquer la place Beauvau pour l’Assemblée, plaide pour une alliance avec Les Républicains. Même son de cloche du côté de la ministre chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes, Aurore Bergé, dont les premiers pas en politiques se sont faits dans les permanences de l’UMP. S’acoquiner avec leurs voisins de droite ? Ligne rouge pour les élus et ministres issus de la gauche qui annoncent d’ores et déjà une sécession prochaine en cas d’accord avec la rue de Vaugirard, où les violons ne sont pas forcément mieux accordés.
Désormais député de Haute-Loire, Laurent Wauquiez a pris ce mercredi après-midi les rênes d’un groupe "dont les élus auront à choisir entre trois camps. D’aucuns pourraient-ils in fine rejoindre "A droite !", le groupe d’Eric Ciotti, ce président exclu de son parti pour avoir signé un pacte faustien avec le RN ? Préféreront-ils l’indépendance des LR, chère à Laurent Wauquiez qui rebaptisé le groupe "Droite républicaine" ? Ou se résigneront-ils au raccrochage à la locomotive macroniste prôné par Xavier Bertrand et Bruno Retailleau pour contrer l’arrivée de la gauche à Matignon ? Le même patron des sénateurs Républicains pour qui la marque LR est tombée en désuétude. A l’image, semble-t-il, des rapports de forces et des composantes qui avaient jusqu’à présent façonné le paysage politique français.