En travaillant sur l’exposition que le musée de la bataille de Gergovie consacre aux Gergoviotes depuis le 21 octobre, Marion Dacko et Arnaud Pocris avaient bien conscience que cette histoire singulière était loin d’être écrite.
Mais les deux commissaires scientifiques, ingénieure en archéologie à la Maison des Sciences de l’homme de Clermont-Ferrand pour l’une, directeur culturel du musée pour l’autre, étaient loin d’imaginer que leurs recherches les conduiraient jusqu’à l’écriture d’un livre.
"Dès qu’on a commencé à communiquer sur l’expo, des descendants des Gergoviotes se sont manifestés. On a reçu des lettres, des témoignages écrits, des carnets de fouilles, des photos… et on en reçoit toujours."
marion dacko
Des dizaines et des dizaines de document qui éclairent davantage la vie des étudiants sur le plateau de Gergovie, entre l’été 1940 et le printemps 1943.
Les Gergoviotes étaient alors une soixantaine, inscrits à l’université de Strasbourg repliée à Clermont-Ferrand, à se retrouver régulièrement sur le site, officiellement pour des fouilles archéologiques. Ils y ont construit une maison de près de 300 m2, dont il subsiste un soubassement en basalte, et se sont engagés, pour la plupart, dans des mouvements de résistance. Ce qui justifie la visite de la police française le 30 août 1942, dont les historiens ont pris connaissance en recoupant les archives reçues depuis un an. Ce jour-là, deux étudiants ont sauté par la fenêtre et sont allés se cacher dans les puits en cours de fouille.
Les Gergoviotes se sont relayés sur le plateau durant trois étés (1941, 1942, 1943), jusqu’à ce que leur activité dans la Résistance les éloigne de Gergovie. "Ils étaient de plus en plus surveillés par la police française, donc ils ne pouvaient plus prendre part aux fouilles." Ainsi s’est achevé "le premier chantier universitaire de France".Les fouilles du « Quartier des Artisans » le 8 août 1942. Archives Musée Bargoin – Clermont Auvergne Métropole – colorisation Lucien Andrieu
Marion Dacko et Arnaud Pocris sont déjà en contact avec sept familles, qui continuent d’enrichir leur fonds documentaire. En particulier en images. La maison des étudiants archéologues était équipée d’un laboratoire photo où ils pouvaient tout développer en petit format. Malgré l’absence d’eau et d’électricité.
Grâce à ces tirages, il est devenu possible d’identifier beaucoup de ces étudiants. Et ceux qui leur rendaient visite. Plusieurs documents attestent par exemple la présence du doyen de la faculté des lettres de Strasbourg, Gabriel Maugain.
Plus remarquable encore, "on a deux photos de Jean Cavaillès en train de boire le café avec les Gergoviotes", souligne Arnaud Pocris. Du philosophe résistant, fondateur du mouvement Libération Sud à Clermont-Ferrand en 1940, il n’existait à ce jour que quatre clichés connus en France.
Qui était Jean Cavaillès, fondateur du mouvement Libération Sud à Clermont-Ferrand en 1940 et fusillé le 5 avril 1944 ?
Ces photos figureront bien sûr dans le livre à paraître en septembre. Mais que faire des archives qui continuent d’arriver ? Comment exploiter les découvertes des archéologues, ces débris de démolition de la maison des étudiants, "qui ont été apportés sur le chantier et nous ont énormément appris sur leur lieu de vie", constate Marion Dacko.
L'exposition consacrée aux Gergoviotes sort du musée pour mettre en lumière la maison construite par les étudiants et dont il ne subsiste que le soubassement. Photo Richard Brunel.
Le livre ne sera donc qu’une étape. « Après l’expo, il y aura un autre projet, annoncent les deux historiens. Maintenant qu’on connaît mieux les actions de ces étudiants, on ne peut plus se permettre de traiter ce site comme on le traitait auparavant. »
L’exposition Les Gergoviotes, des étudiants en résistance est prolongée jusqu’au 5 janvier 2025, au musée archéologique de la bataille de Gergovie.
Isabelle Vachias