Cet été, Contrepoints vous propose une série d’entretiens sur le libéralisme avec plusieurs de nos auteurs et des invités spéciaux. Johan Rivalland est professeur de marketing et d’économie et contributeur régulier pour Contrepoints.
Comment définissez-vous le libéralisme ?
Il existe de nombreuses définitions du libéralisme, et surtout d’ouvrages approfondis écrits au cours des siècles passés, et aujourd’hui encore, par de grands auteurs. Qui permettent de l’appréhender dans toutes ses dimensions et sa complexité.
Définir le libéralisme n’est pas très facile. Si je dois essayer de le définir rapidement en quelques mots simples et spontanément, je dirais qu’il s’agit avant tout d’une philosophie. Mais pas d’une philosophie abstraite, au contraire bien vivante, concrète et pratique, qui met au centre de ses réflexions la place dévolue aux êtres humains en société, leurs rapports, leurs interactions, leur dimension personnelle et intime également en tant qu’individus.
Il s’agit de définir le périmètre de leurs actions, de leurs libertés, fondées à la fois sur leurs droits mais aussi leurs devoirs. Car nul ne peut agir sans se préoccuper des conséquences de ses actions sur les autres, et en particulier sur leurs libertés.
Lorsque je pense à liberté, je pense avant tout aux libertés fondamentales, qui pourraient sembler aller de soi. Mais si nous observons attentivement le monde et son histoire, on perçoit très rapidement qu’il n’en est rien. Même la liberté d’expression, qui fait partie de mes sujets de préoccupations fondamentaux, n’est pas respectée de manière si évidente, y compris dans un pays comme le nôtre où l’on pourrait croire naïvement que ce fût le cas. Elle est fréquemment remise en cause, bien souvent de manière insidieuse.
Qui dit libertés, dit aussi recours au droit. Un droit qui est là essentiellement pour protéger l’individu et ses libertés fondamentales, auxquelles je faisais référence. Mais pas un droit articulé autour d’une infinité de lois et autres textes tellement nombreux qu’ils finissent par perdre de leur clarté, et entrent parfois en contradiction les uns avec les autres.
Il est important également de préciser que le libéralisme ne peut en aucun cas être assimilé à l’égoïsme, dans le sens péjoratif qu’on lui connaît. Il s’agit au contraire de faire confiance aux individus, pour qu’à travers leurs initiatives personnelles, mais aussi très souvent leurs interactions, ils fassent appel à des modes de coopération leur permettant de vivre en bonne harmonie et de parvenir à trouver des sources d’épanouissement à la fois personnel et collectif.
Le libéralisme ne va pas non plus sans des valeurs fondamentales telles que le respect des autres, la tolérance, le refus de la violence. Tout le contraire de ce que certains idéologues qui entendent caricaturer le libéralisme lui accolent volontairement comme défauts majeurs qui lui sont pourtant parfaitement étrangers.
J’avais dit que je m’en tiendrais à quelques mots, mais je m’aperçois que ma réponse commence à être un peu longue alors que j’ai encore plein d’idées. Il me paraît néanmoins essentiel d’ajouter – très rapidement – que la dimension économique est également inséparable de ces quelques éléments essentiels que je viens d’énoncer auparavant. Car c’est aussi la santé économique d’une région ou d’un pays qui conditionnent le bien-être des individus qui y résident et leur offre le cadre propice à ce bien-être, ce bonheur, et cette coexistence harmonieuse que l’on peut leur souhaiter de trouver.
C’est en permettant la propriété privée, en faisant appel au sens des responsabilités et en faisant confiance aux individus dans leurs prises d’initiatives spontanées, leur créativité, leur désir d’innover, sans leur opposer de restrictions trop nombreuses et excessivement contraignantes, que l’on pose un cadre propice au développement des échanges. Aux notions abstraites et parfois perverses comme le progressisme, on préférera laisser les individus libres d’agir de manière concrète et de coopérer librement dans un sens bénéfique au plus grand nombre. Sans oublier et laisser de côté pour autant ceux qui disposent du moins de ressources et éprouvent le plus de difficultés. Contrairement à certaines légendes…
En résumé, il s’agit tout simplement de faire confiance aux individus, à l’intérieur d’un cadre qui respecte les droits et les devoirs fondamentaux de chacun, pour assurer au mieux le bien-être de tous, plutôt que de faire appel à une entité supérieure, qu’il s’agisse d’une élite autoproclamée ou d’un pouvoir autoritaire, dictatorial voire totalitaire, qui prétendrait savoir mieux que quiconque ce qui est bon pour ses sujets. Avec toutes les dérives que l’on ne connaît que trop.
Vous considérez-vous libéral, et pourquoi ?
Ma réponse à la question précédente étant un peu longue, je me contenterai donc ici de dire que je me considère libéral pour toutes les raisons évoquées ci-dessus. J’aspire à ce que les individus soient le plus libres et épanouis possible, tout en se montrant aptes à vivre en bonne intelligence et en bonne harmonie avec les autres, selon les modalités qui plaisent à chacun du moment qu’il se montre respectueux des autres et de leurs idées même très différentes, qu’il soit tolérant, pacifique, disposé à respecter des règles de juste conduite.
Les libertés fondamentales ne me semblent pas toujours respectées. Les principes solides de la philosophie libérale me semblent les mieux à même de pouvoir y veiller.
Sur le plan économique, j’assiste comme tout le monde aux décisions souvent désastreuses issues de la prétention des politiques à savoir mieux que les acteurs économiques eux-mêmes – ménages ou entreprises – ce qui est bon pour eux, efficient et efficace. Surtout, j’adhère complètement aux analyses de l’école des choix publics, qui montrent en quoi les intérêts des politiques, mus par l’élection ou la réélection, qui seules peuvent leur permettre de gouverner, les amènent très souvent à prendre des décisions coûteuses économiquement et socialement, du fait de leur compromission aux impératifs politiques, même s’ils savent que ces orientations ne sont pas forcément viables et réellement pertinentes. S’éloignant ainsi, hélas, des finalités qu’ils étaient censés poursuivre.
Plus on fera confiance aux entreprises et aux individus, plus on évitera de restreindre le cadre de leurs actions, les empêchant de poursuivre leurs desseins. Sans pour autant que le libéralisme prétende aboutir à un monde parfait où tout irait parfaitement bien, il n’a pas cette prétention.
Quels sont vos auteurs libéraux de référence ?
Ils sont trop nombreux pour que je puisse tous les présenter (et il m’en reste encore beaucoup à découvrir). Je renvoie à mes nombreuses recensions d’ouvrages dans ce journal.
Je peux tout de même, pour l’anecdote, dire que c’est en découvrant un premier ouvrage de Jean-François Revel, puis d’autres, que j’ai commencé à m’imprégner de certaines idées fortes. Sans que je lui accole (et tant mieux, car je n’aime pas les étiquettes et la pensée figée) le mot « libéral » (je ne crois pas l’avoir vu d’ailleurs le revendiquer lui-même, et tant mieux là aussi d’une certaine manière).
Puis, le hasard a fait que quelqu’un m’a mis entre les mains un exemplaire de La Nouvelle lettre, éditée chaque semaine par l’ALEPS (dont je souligne au passage que le sigle est très bien vu et va parfaitement dans le sens de ce que j’exprimais plus haut : l’Association pour la liberté économique et le progrès social, sigle mettant bien en lumière à la fois l’idée que la bonne santé économique doit permettre le progrès en termes de bien-être, et que le libéralisme n’est nullement étranger à la dimension sociale, qui est bien au contraire considérée par les libéraux comme fondamentale). Lettre qui m’a apporté, depuis une trentaine d’années que je la lis, sous la direction de Jacques Garello notamment, des clefs essentielles de lecture de l’actualité et du monde en général et a, à ce titre, constitué pour moi une source importante de compréhension de la philosophie libérale.
Pour le reste, ceux qui aiment la lecture savent que celle-ci peut conduire à des découvertes permanentes assimilables aux multiples ramifications d’un arbre qui ne cesse de s’étendre : plus on lit, plus on trouve de références qui vous introduisent à leur tour d’autres références et ainsi de suite, jusqu’à ne jamais réussir à suivre l’infinité des possibles au regard du misérable temps dont nous disposons.
C’est ainsi que j’ai lu (et présenté à travers mes recensions ici-même) des auteurs aussi divers que (dans le désordre et sans hiérarchie ou jugement de valeur) Turgot, Vincent de Gournay, Adam Smith, Alexis de Tocqueville, Frédéric Bastiat, Friedrich Von Hayek, Milton Friedman, Ayn Rand, Raymond Aron, Pascal Salin, Philippe Némo, Alain Laurent, Florin Aftalion, Jean Fourastié, Jean-Pierre Chamoux, Mario Vargas Llosa, Johan Norberg, Olivier Babeau, Jean-Marc Daniel, etc. (ils sont trop nombreux pour que je les cite tous, je ne m’en tiens qu’aux quelques-uns qui me viennent spontanément à l’esprit). Tous m’ont apporté quelque chose et m’ont permis d’approfondir ma connaissance des principes du libéralisme, me renforçant dans mes convictions et me permettant d’accéder aux grilles de lecture du monde et de l’actualité que j’ai fait miennes aujourd’hui, sans me montrer non plus affirmatif au point de prétendre détenir de quelconques vérités.
Pourquoi le libéralisme est-il si mal compris en France ?
Là aussi, je renvoie à ce que j’ai pu écrire dans ces colonnes, notamment à travers la série toujours en cours (même si je l’ai un peu délaissée depuis un moment), Ce que le libéralisme n’est pas. J’y évoque un certain nombre de malentendus, entretenus à la fois par le bruit ambiant, la méconnaissance, la mauvaise foi, la manipulation, ou plus simplement le désintérêt.
La puissance publique a occupé, au fil du temps, une telle place dans notre société française et dans notre quotidien que chacun vit aux mamelles de l’État ou en attend tout. Au moindre obstacle, à la moindre difficulté, à la moindre angoisse, une grande partie des Français a pris l’habitude et le réflexe de penser État. Que fait l’État ? Comment se fait-il que je souffre de tel ou tel mal, de tel ou tel manque, que tel ou tel problème que je rencontre ne trouve pas immédiatement sa solution… que fait l’État ?
Et les politiques ont donné l’habitude aux électeurs de leur laisser croire qu’ils pouvaient à tout moment injecter un argent magique qui n’existe pas, un peu comme s’il sortait (généreusement) de leur propre poche. Un vrai problème, devenu central ! La situation de chaos politique actuel n’en est que le résultat.
Sans oublier le rôle néfaste que jouent les démagogues de toutes obédiences, au premier rang desquels des politiques, des stars, mais aussi des « intellectuels », à l’instar de ce que Raymond Boudon analysait dans son ouvrage « Pourquoi les intellectuels n’aiment pas le libéralisme ? ».
Pour ne rien arranger, le terme lui-même a été largement perverti, au point que le président Macron soit toujours qualifié de libéral par un certain nombre de commentateurs, ce qui est bien évidemment parfaitement antithétique. Il suffit de se référer à son action, son recours assez systématique au financement public de ses actions, à la dérive inédite de la dette dont il est responsable, ou à sa volonté d’interventionnisme dans presque tous les domaines. Il n’en va pas mieux de l’autre côté de l’Atlantique, où le terme liberals désigne tout autre chose que ce que l’on appelle ici libéraux ou libéralisme.
Pour autant, je n’adhère pas à l’idée de certains de remplacer le terme libéraux par libertariens ou autre attribut parfois proposé. « Libertarien », s’il peut correspondre à un certain courant de pensée, me semble encore plus connoté, susceptible d’effrayer, et sonne assez mal à l’oreille. Il y a, au contraire, à gagner à mon sens à chercher à parvenir à faire comprendre peu à peu (il faudra du temps, beaucoup de temps, peu importe) ce qu’est le libéralisme. L’idée de « liberté » n’est-elle pas belle, attrayante, séduisante, à même de faire rêver ? Je pense qu’il faut pouvoir l’assumer. Et donc l’expliquer, l’expliquer, l’expliquer. Sans se décourager.
Quels seraient les bienfaits de réformes libérales en France ?
Des réformes libérales permettraient d’apporter la bouffée d’air dont l’économie et la société française ont besoin pour respirer. Désengager progressivement (mais assez vite quand même) des pans entiers de notre vie de la mainmise prépondérante de l’État, en faisant davantage confiance à la société civile et aux individus, permettrait d’insuffler un vent de liberté et de dynamisme propice à la création, aux initiatives, au sens des responsabilités.
Nous y gagnerions rapidement, et chacun découvrirait et apprendrait à mener sa vie, ses actions, ses initiatives différemment, sans s’en remettre forcément à une entité abstraite ou supérieure dont il attend trop et dont il est trop souvent déçu, et à l’égard de laquelle – pour tout dire – il est très souvent ingrat et sans mémoire (celui qui reçoit a très souvent une fâcheuse tendance à minorer ce qu’il reçoit ou à l’oublier très rapidement, et au contraire à exagérer ce qui lui est moins favorable. Ce qui entraîne un biais tel qu’il n’est pas si productif pour des gouvernants de distribuer l’argent que nous n’avons pas, dans la mesure où l’impact en est vite minoré, dilué, puis rapidement effacé. Ce qui suscite les surenchères permanentes en temps d’élection…).
Des réformes libérales permettraient également de nous désendetter progressivement et de réduire la sphère inouïe de l’État omniprésent et présumé omnipotent. Ce qui aurait un impact, progressivement sur tout le reste de l’économie (pour ceux qui en connaissent un peu les mécanismes complexes et en chaîne) et à plus long terme sur notre pouvoir d’achat (cette fois-ci pas de manière temporaire et artificielle, en attendant la facture induite).
Mais voilà… Penser État est tellement incrusté dans nos cerveaux, en France particulièrement, qu’il serait bien difficile de faire admettre ces réformes. Il y aurait beaucoup d’opposition (souvent hargneuse, pour ne pas dire violente) et les fruits de ces réformes ne se verraient pas immédiatement. Or, l’un des problèmes de la politique est que ce que l’un fait, l’autre le défait… Combien de gouvernements partiellement vertueux, ayant redressé par exemple les finances de l’État, ont vu le gouvernement suivant profiter de la manne ou de l’aisance plus ou moins retrouvée pour de nouveau vider les caisses ? C’est un vrai problème. Il faudrait donc une forte détermination, beaucoup de patience et surtout de pédagogie pour pouvoir faire évoluer les esprits et espérer réussir.
Deux réformes libérales prioritaires à mettre en place ?
Il y a trop de domaines dans lesquels des réformes seraient nécessaires que je suis bien embarrassé pour répondre. Et je ne suis pas candidat à une élection (rire)…
Tout à fait spontanément, et sans trop réfléchir, je pense instantanément à nos finances publiques terriblement dégradées. Il s’agirait donc de s’attaquer en priorité, mais avec le plus d’habileté et de pédagogie possible, à une réduction des périmètres d’intervention de l’État, et ce ministère par ministère (à l’exception sans doute de l’Armée, la Police et la Justice, fonctions régaliennes très mal assurées aujourd’hui, leur dégradation étant proportionnelle aux velléités des gouvernements successifs d’étendre sans fin d’année en année depuis plusieurs décennies les prérogatives de l’État partout ailleurs, y compris dans des tas de domaines qui n’avaient aucune raison objective d’être de son ressort). En parallèle, il conviendrait de réduire immédiatement et assez substantiellement les impôts, à la fois des ménages et des entreprises (à commencer par les impôts de production, à supprimer). Ce n’est pas très précis, même si j’ai des idées bien plus détaillées en tête, mais mes réponses sont déjà suffisamment longues pour que je ne les détaille pas davantage.
Je penserais également à ce qui préoccupe beaucoup d’entrepreneurs, d’agriculteurs ou de citoyens dans la vie économique ou de tous les jours, et qui est réclamé à cor et à cris par beaucoup d’entre eux car cela pénalise leur activité au quotidien, et pèse lourdement dans leur efficacité : réduire drastiquement la paperasserie, le nombre de formulaires et de démarches administratives de toutes sortes qui grèvent l’activité et paralysent les initiatives. Beaucoup de politiques le promettent, mais beaucoup trop de léthargie règne en la matière. Nombreux sont pourtant ceux qui tirent depuis longtemps le signal d’alarme et disent que cela handicape profondément leur activité. Il faudrait réintroduire beaucoup plus de souplesse en la matière.
Comme prévu, je reste un peu frustré par ma réponse, car il y aurait tant de domaines où des réformes seraient nécessaires, comme je le disais, qu’il est bien difficile de savoir par où commencer. Et surtout, je vous ai proposé deux réformes, dont une économique et l’autre plutôt juridique ou administrative liée également à l’économie. J’aurais aimé y ajouter des mesures en lien avec les libertés fondamentales (j’évoquais par exemple plus haut la liberté d’expression) ou l’éducation – qui me tient particulièrement à cœur et est à la base de tout – mais je vais respecter la règle du jeu – ou de l’entretien – et donc je vais m’arrêter là… Bonne journée à vous.