Il ne boit pas d’alcool, la cigarette lui est inconnue, et pourtant c’est bien l’ivresse qui l’habite à l’état naturel. A 61 ans, Lassaâd Metoui, calligraphe originaire de Gabès, en Tunisie, qui vit à Nantes, n’en finit pas de dialoguer avec l’encre tel un moine tout entier tourné vers sa religion : pour lui, celle de "la pensée, de la création, de la contemplation". On pourrait y adjoindre l’éloge de la lenteur, que l’artiste cultive depuis toujours.
Après la rétrospective événement de 2018 à l’Institut du monde arabe, Le Pinceau ivre, le voici de retour avec Ivresse de l’encre, cette fois sur sa terre d’adoption nantaise, où Bertrand Guillet, directeur du château des ducs de Bretagne, lui a donné carte blanche. Comme à son habitude, Lassaâd Metoui a pris le temps de construire un projet entièrement nouveau et en accord avec les lieux : au total, six années de travail, dont quatre consacrées à la réflexion et deux, à la réalisation proprement dite. Plus de 50 œuvres calligraphiques inédites sont ainsi accrochées sur les murs de l’ancienne forteresse royale, découpées en une vingtaine de sections qui sont autant d’invitations au voyage et à la méditation.
Depuis ses débuts en Europe, dans les années 1980, Lassaâd Metoui incarne le trait d’union entre une tradition séculaire et un art contemporain expressif. Dans l’oasis de son enfance, entre désert et mer, il découvre "la magie du roseau capable d’engendrer les splendeurs du trait, des courbes et des formes". Tandis que ses copains se passionnent pour le ballon rond, lui s’adonne à la calligraphie dès l’âge de 6 ans, une formation exigeante qu’il a poursuivi, jeune adulte, aux Beaux-Arts de Gabès, à Toulouse, à Bruxelles puis à l’Ecole du Louvre. Ses sources d’inspiration puisent à la fois dans la peinture occidentale (Matisse, Klee, Soulages) et dans l’art extrême-oriental, notamment japonais. A l’arrière-plan de ses expositions, il convoque souvent un philosophe pour guider ses recherches et appuyer son propos. Ivresse de l’encre n’y déroge pas en se faisant l’écho de la pensée de Kitaro Nishida, le fondateur de l’école de Kyoto, qui, au cours de la première moitié du XXᵉ siècle, se distingua en associant la métaphysique occidentale à la spiritualité orientale. S’inspirant des concepts du maître nippon, Lassaâd Metoui a couché sur ses carnets les mots-clés dans leur langue originelle et tracé de multiples esquisses préparatoires avant de les décliner en toiles.
C’est donc tout un cheminement philosophique qui préside au parcours nantais, dans lequel le plasticien a introduit trois éléments inédits dans son corpus : un nouveau noir qui absorbe la lumière à 100 %, mais aussi une matière offrant le même reflet qu’un miroir, en clin d’œil aux tableaux du primitif flamand Jan van Eyck, et enfin le format rond, auquel l’abstraction calligraphique a très rarement recours. De quoi explorer plus loin ce rapport entre motif et mots, dessin et verbe. D’ailleurs, à l’instar des liens qui unissaient Matisse et Aragon, Lassaâd Metoui a lui aussi "son" écrivain : David Foenkinos, inconditionnel de celui qu’il appelle "l’athlète de l’esthétique". L’éloge de la lenteur, encore, quand, dixit l’auteur de La Vie heureuse, "à l’heure où nous étouffons de frénésie, il est si appréciable de considérer la création comme un espace où le temps prend le temps de s’offrir à nous sans artifice".