Le Chambon-sur-Lignon, petite commune au cœur du Vivarais-Lignon, territoire protestant à cheval entre Haute-Loire et Ardèche, est devenue au fil des siècles une terre d’accueil de tous les persécutés.
C’est ici, dans cette commune hautement symbolique, déclarée Juste parmi les nations depuis 1990 comme les localités voisines, que le président de la République Jacques Chirac (*) est venu pour un déplacement officiel qui fait date dans l’histoire du Plateau.
Il y a tout juste 20 ansLe 8 juillet 2004, il y a tout juste 20 ans, le chef de l’État a prononcé un retentissant discours « sur la lutte et la vigilance contre le racisme et l’antisémitisme ». Les mots avaient été bien choisis, le discours était ciblé et Jacques Chirac voulait se poser en rassembleur, alors que des relents d’antisémitisme se faisaient sentir sur le territoire national.
Devant l’ancienne gare du Chambon - Mazet, pour entendre le récit d’un ancien réfugié juif caché au Chambon. De gauche à droite : Gérard Roche, Jean Proriol, Laurent Wauquiez (fraîchement élu député quatre jours plus tôt), Francis Valla, Adrien Gouteyron, Jacques Barrot, Jacques Chirac et Simone Veil.
Deux décennies plus tard, les habitants du Plateau, toujours aussi discrets sur ce glorieux passé de terre d’accueil, n’ont pas oublié la venue de Jacques Chirac, vécue comme un honneur et une reconnaissance nationale. Terre de refuge des protestants, le plateau a accueilli plusieurs milliers de juifs, notamment des enfants, dès le début des années 1940 et jusqu’à la Libération. Le sens de la visite de Chirac a toujours autant de valeur aujourd’hui.
« Un discours d’une puissance extraordinaire »« Son discours était extrêmement bien écrit et a véritablement marqué. Il a cherché à montrer que quand des éléments heurtent la conscience, se révolter est nécessaire. Ce discours a eu un impact très fort. Il a une puissance extraordinaire », analyse aujourd’hui le maire du Chambon-sur-Lignon, Jean-Michel Eyraud.
Avant de prendre la parole, le chef de l’État était passé en gare du Chambon. Un ancien réfugié juif, Joseph Atlas, avait évoqué son parcours, ses années au Chambon où, enfant, il avait été accueilli. Un récit qui souleva une vive émotion chez Simone Veil qui accompagnait, ce jour-là, Jacques Chirac.Le Chambon, « une pertinence indispensable »
photo d'archives Lionel CiochettoLe regard de Simone Veil après le témoignage bouleversant de Joseph Atlas, résume à lui seul l’instant. En gare du Chambon, devant le président de la République et tous les élus locaux, Joseph Atlas raconte son parcours, ses années au Chambon… Impossible pour l’ancienne ministre de ne pas replonger dans sa propre histoire.
"Des exemples du meilleur dont nous sommes capables"Au lendemain de la venue du chef de l’Etat, le réalisateur franco-américain Pierre Sauvage, né de parents réfugiés au Chambon pendant la guerre, analysera en détail le sens et le poids de cette visite dans les colonnes du Figaro.
« Si face à la montée des intolérances, de l’antisémitisme, du menaçant repli communautaire, c’est au Chambon-sur-Lignon que le président a choisi d’appeler les Français solennellement à un sursaut devant le danger actuel, c’est bien évidemment que l’exemple du Chambon lui a paru d’une pertinence aiguë, peut-être même indispensable. Il nous faut assurément des exemples du meilleur dont nous sommes capables, individuellement et collectivement. La population du Chambon et d’une bonne partie du plateau environnant a assurément donné cet exemple. »
Le « Parcours de la Mémoire » est toujours d’actualitéMis en place cette même année 2004, le « Parcours de la Mémoire » est toujours d’actualité dans les rues du Chambon. Même si depuis l’inauguration du « Lieu de mémoire » en juin 2013, c’est surtout au sein de ce site mémoriel que l’on témoigne de l’histoire du Plateau, depuis la persécution des protestants jusqu’à l’occupation allemande.
Photo d'archives Lionel CiochettoPour écouter son discours, lui serrer la main ou simplement être là, des milliers de personnes étaient venues le jeudi 8 juillet 2004 au Chambon, pour Jacques Chirac. Dans les rues du village, le chef de l’État se livre à son exercice favori : le bain de foule ! Tout au long de son parcours, il serre des mains, prend la pose pour la photo, salue les gens aux fenêtres et vérifie son immense « capital sympathie ».
Au milieu de son discours, Jacques Chirac avait lancé un appel à la population nationale. « Face au risque de l’indifférence et de la passivité du quotidien, j’appelle solennellement chaque Française et chaque Français à la vigilance. Devant le danger, je les appelle au sursaut. Devant la montée des intolérances, du racisme, de l’antisémitisme, du refus des différences, je leur demande de se souvenir d’un passé encore proche. Je leur dis de rester fidèles aux leçons de l’Histoire ».
Le mieux placé pour tout expliquer au président de la République ? Gérard Bollon, alors adjoint au maire. L’historien du Plateau replace l’histoire locale dans son contexte. Le 8 juillet 2004, c’est lui qui a guidé le chef de l’État sur le « Parcours de la Mémoire ».
Des paroles qui trouvent un nouvel échoDes paroles qui ont un sens. Alors, pour le maire chambonnais d’aujourd’hui, ce n’est pas un hasard si ces mots prononcés par Jacques Chirac il y a 20 ans, trouvent un nouvel écho.
« Nous assistons à une montée de quelque chose que l’on n’avait pas imaginé revoir, qui essaye de s’habiller mais qui ne peut pas cacher ce qui reste d’abominable », lâche Jean-Michel Eyraud, en prenant le temps de peser chaque mot. « Je n’ai jamais été encarté à un parti. Mais je suis contre tous les extrémismes », rappelle-t-il, le ton grave.
(*) Outre le discours du 8 juillet 2004 au Chambon, en tant que président de la République, Jacques Chirac était venu deux jours en Haute-Loire, les jeudi 11 et vendredi 12 mars 1999. Il était passé à Yssingeaux (sur le marché), au Puy-en-Velay et à Brioude.
Lionel Ciochetto
Le discours de Jacques Chirac au Chambon-sur-Lignon a eu un fort retentissement. Morceaux choisis.
« Nous sommes ici dans un lieu chargé d’histoire et d’émotion. Ici, dans l’épreuve, s’est affirmée l’âme de la nation. Ici, s’est avancée et s’est incarnée la conscience de notre pays. Le Chambon-sur-Lignon est un lieu de mémoire. Un lieu de résistance. […] Ils ont fait le choix des principes humanistes qui rassemblent notre communauté nationale et fondent notre communauté de destin. Des principes qui font la France. L’histoire des communes du Plateau épouse celle du combat pour la liberté de conscience et pour la tolérance. […] Guidés par des pasteurs et des enseignants admirables, villageois et paysans du Plateau, habitants du Chambon et des localités voisines, refuseront l’infamie du régime de Vichy. […] Quand d’autres commettaient l’irréparable, ici, des milliers de juifs, dont beaucoup d’enfants poursuivis par la menace d’extermination des nazis, trouvèrent hospitalité et refuge. Dans l’anonymat, la discrétion, dans le simple élan de la main tendue, de la fraternité et de l’humanité partagées, refusant la loi de la haine, le Plateau, Juste parmi les nations, a grandi la France. »