Près de 50 millions d’électeurs anglais, gallois, écossais et nord-irlandais sont appelés aux urnes ce jeudi. Leur mission ? Choisir, dans chacune des 650 circonscriptions du Royaume-Uni, celui ou celle qui les représentera à Chambre des communes.
Il n’y aura pas de session de rattrapage : à la différence de leurs homologues français, les députés britanniques sont désignés au scrutin uninominal à un seul tour (“first past the post” en langue de Shakespeare). Le candidat qui recueille le plus de voix aujourd’hui est donc assuré de devenir membre du Parlement pour un mandat de cinq ans, sauf dissolution.
1. Un triomphe déjà assuré ?Cela fait des mois que les sondages donnent un avantage abyssal de 20 points ou plus au Labour Party. De quoi, a priori, éteindre tout suspense. « Si l’on en croit les dernières projections, les travaillistes remporteraient 450 à 470 sièges. Ils établiraient alors un score bien supérieur au précédent raz-de-marée de mai 1997, date de l’accession au pouvoir de Tony Blair après 18 ans de domination des conservateurs », observe Marc Lenormand, maître de conférences en civilisation britannique à l’université de Montpellier 3.
Le cru 2024 des "General elections" risque d’être inversement inédit pour les Tories, partis pour établir leur plus faible performance depuis la création du parti, en… 1834. Il faudrait pour cela qu’ils fassent moins bien que les 141 maigres sièges obtenus en 1906.
« Dans le scénario le plus défavorable, ils pourraient même passer sous la barre des 100 députés. »
Marc Lenormand
Et ce n’est sûrement pas le soutien (très) tardif apporté par Boris Johnson à Rishi Sunak, ce mercredi, veille du scrutin, qui suffira à changer la donne.
2. Comment en est-on arrivé là ?À la tête du Royaume-Uni sans discontinuer depuis 2010, les Tories sont aujourd’hui face à un champ de ruines. « Tout au long des années 2010, ils ont d’abord réussi à tirer profit des nombreuses crises – sociale, politique, économique – qui ont frappé le pays, reprend l’universitaire. Pendant que le camp travailliste se fracturait, eux prospéraient. Cela a été frappant notamment sur des sujets comme l’Europe (le référendum validant le Brexit s’est tenu en 2016, NDLR) ou l’indépendance de l’Écosse. »
L’irruption du Covid-19 a marqué selon Marc Lenormand un « renversement de tendance » brutal. « Une nouvelle séquence s’est alors ouverte, qui a remis au cœur du débat la question sociale, la santé et les services publics. Autant de thèmes sur lesquels les Tories sont traditionnellement moins forts. »
Les innombrables errements de Boris Johnson dans sa gestion de la crise épidémique, ajoutés au scandale du « Partygate », ces fêtes organisées à Downing Street et dans plusieurs ministères en plein confinement, ont provoqué un « décrochage dans l’opinion ». Décrochage qui s’est encore accéléré lors du passage aussi bref – 44 jours – que calamiteux de Liz Truss à la tête du gouvernement, en septembre-octobre 2022.
« Elle est arrivée avec un programme extrêmement radical de libéralisme accru. Ses annonces de baisses d’impôts massives mais non budgétées, non financées, ont provoqué une crise de confiance sans précédent auprès des investisseurs et des marchés. En quelques semaines, elle a dilapidé l’image de “bons gestionnaires” longtemps associée aux conservateurs. Le parti ne s’en est toujours pas relevé », juge notre spécialiste.
Aux affaires depuis l’automne 2022, le multimillionnaire Rishi Sunak n’est pas parvenu à sortir son camp du gouffre dans lequel il est tombé.
3. Qui est Keir Starmer ?Sauf cataclysme, le leader des travaillistes s’apprête donc à poser ses valises au 10, Downing Street. Cet éminent juriste, d’abord avocat spécialisé dans la défense des droits de l’Homme puis procureur général, est entré tardivement en politique : sa première victoire aux législatives date de 2015, il y a tout juste neuf ans.
« Il s’est rapidement imposé comme la principale voix modérée et pro-européenne face au très gauchiste Jeremy Corbyn, alors à la tête du parti. ».
Marc Lenormand
Starmer succède à Corbyn en avril 2020. Il va alors procéder à un « double recentrage » : programmatique, d’abord, en abandonnant les mesures les plus radicales portées par son prédécesseur, à commencer par les nationalisations massives, et en réinvestissant des thématiques (sécurité, défense) chères à l’électorat conservateur traditionnel ; organisationnel, ensuite, en évinçant progressivement les figures les plus à gauche du “shadow cabinet” (le cabinet fantôme britannique, dirigé par le chef de l’opposition) afin d’y placer des tenants de l’aile modérée, comme lui.
Souvent décrit comme « sérieux », voire « austère », et « peu charismatique », Keir Starmer a déjà prévenu qu’il arriverait au pouvoir « sans baguette magique ». « Son avance était telle qu’il n’a pas eu besoin de faire des promesses extravagantes, contrairement à la majorité conservatrice sortante, qui s’est paradoxalement retrouvée dès le début de la campagne dans le rôle du challenger », observe l’universitaire montpelliérain.
Keir Starmer lors d'un meeting de campagne, le 13 juin 2024. Photo AFP
4. Une poussée de l’extrême droite ?L’autre enjeu majeur du scrutin se situe tout à l’opposé de l’échiquier politique. Nigel Farage, tête de pont de Reform UK et chantre du Brexit, convoite de nouveau un siège de député dans l’Essex. Ce serait une première pour lui, après sept tentatives infructueuses. « Son élection reste encore très hypothétique », nuance Marc Lenormand.
Mais avant même de connaître le verdict des urnes, le leader anti-Europe et anti-immigration est renforcé : son parti, crédité d’environ 16 % de voix dans les derniers sondages, présente plus de 600 candidats et s’est imposé comme un concurrent sérieux des Tories. « Farage place ses pions, analyse le maître de conférences. Même s’il n’est pas élu cette fois, il a réussi à affaiblir le camp conservateur, dans une logique assumée de destruction. La prochaine étape, pour lui, serait de prendre la tête du parti en s’appuyant sur l’aile droite des Tories ». Et de parvenir ainsi à une « union des droites » qui n’est pas sans rappeler quelques épisodes récents survenus de notre côté de la Manche…