Ce mardi soir, à 18 heures, heure limite pour les dépôts de candidatures en vue du second tour des législatives, nous serons fixés. Majorité et union de gauche se retrouvent face à un dilemne, dans plus de 300 circonscriptions en situation potentielle de triangulaire, voire de quadrangulaire. Le Rassemblement national, allié au LR Eric Ciotti, est arrivé en tête dans 296 circonscriptions sur 577. Mais depuis dimanche soir, circonscrription par circonscription, le front républicain s’organise tant bien que mal
Le nombre de triangulaires et quadrangulaires se transformant en duels augmente d’heure en heure avec 190 désistements comptabilisés par Le Monde mardi matin. 123 de ces candidats qui jouent la carte du front républicain sont issus de la gauche et 64 du camp présidentiel ; 121 triangulaires sont toujours prévues, selon Le Monde.
Tous les cas de figure subsistent. Des représentants de l’ex-majorité, à l’image de la ministre déléguée chargée des Collectivités Dominique Faure, refusent de se retirer, estimant avoir davantage de réserves de voix que la gauche pour battre le RN.
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L’appel au sursaut, au « front républicain » ne fait plus vibrer les Français. « L’idée du vote de barrage, du tout sauf l’extrême droite, qui a parfaitement fonctionné en avril 2002, n’existe plus », constate Gaël Sliman, fondateur et directeur de l’institut de sondage Odoxa.
33 % de votes pour le Rassemblement national au premier tour, ça ne veut pas dire que les deux-tiers des électeurs sont prêts à tout pour l’empêcher d’accéder au pouvoir.
Pas pour le RN, mais de moins en moins contreAvant le premier tour, l’institut Odoxa a quantifié cette humeur : « Dans nos sondages, il y avait 28 % des sondés qui souhaitaient la victoire du RN à ces législatives, 43 % qui nous disaient “Je ne veux surtout pas que le RN gagne” ; mais on avait 29 % de gens qui nous disaient : “Je ne veux pas que le RN gagne mais je ne ferai rien pour m’y opposer” ».
On est dans un schéma où les Français voyaient arriver cette victoire du RN, pour la plupart d’entre eux sans grande satisfaction, sans le souhaiter, mais en disant : “cette fois-ci, ne me demandez pas d’agir pour l’empêcher”
La victoire du RN assurée mais pas l’accession au pouvoirCe qui ne veut pas dire que les désistements et consignes de votes décidés au niveau des partis ne peuvent plus avoir d’effet sur l’issue du scrutin.Avec 311 triangulaires et quadrangulaires possibles, la dynamique du premier tour peut être bousculée sous l’effet des reports de voix au second. Bousculer ne veut pas dire empêcher la victoire du RN, qui devrait remporter dimanche de « 260 à 300 sièges » selon les projections d’Odoxa.
Au milieu se trouve la jauge de la majorité absolue (289 sièges) et donc de l’accession « automatique » au pouvoir, qui serait concrétisée par le choix de Jordan Bardella comme Premier ministre, dans le respect des institutions de la Ve République.
Désistements : la gauche et la droite « non ciottiste » sont très clairesDes comptes peuvent déjà être faits avec l’appel de la gauche à faire barrage au RN par tous les bulletins possibles. Les « LR-canal historique » ont également été très clairs en ne donnant aucune consigne à leurs électeurs. Cela va bénéficier au Rassemblement national, note Gaël Sliman : « En cas de second tour gauche-RN : on a la moitié des électeurs de droite qui vont voter RN, 20 % pour la gauche et les autres vont s’abstenir. C’est sans doute ce qui va se passer dimanche. Notamment dans le sud et le sud-est de la France, où il y a davantage de porosité LR/RN ».
Le coup de frein au triomphe du Rassemblement national ne peut donc venir que de la gauche et du centre, en considérant qu’« un électeur sur deux tient compte des consignes de vote de son parti », décompte Gaël Sliman.
Emmanuel Macron a clarifié sa positionD’ores et déjà, l’aile droite des macronistes (Édouard Philippe, Aurore Bergé, Bruno Le Maire, Catherine Vautrin, Christophe Béchu…) reste campée sur la ligne « Ni RN, ni LFI ». La coalition macroniste se disloque donc à nouveau, et peut-être pour la dernière fois, face à l’obstacle, puisque les représentants de son aile gauche se sont prononcés pour un « désistement inconditionnel » en faveur des candidats susceptibles de battre le RN. Le Premier ministre Gabriel Attal, chef de campagne, penchait dès dimanche dans ce sens.Très attendue, la clarification d’Emmanuel Macron est intervenue hier, en milieu de journée : « Il ne faut pas se tromper. C’est l’extrême droite qui est en passe d’accéder aux plus hautes fonctions, personne d’autre […] Pas une voix ne doit aller à l’extrême droite. Il faut se souvenir qu’en 2017 et 2022, en face, à gauche, tout le monde a porté ce message. Sans cela, votre serviteur et vous ne serions pas là », a lancé le chef de l’État à ses ministres, selon une source citée par l’AFP.
Appel au vote républicain sans conviction.Un mot d’ordre « un peu clair » pourrait avoir un impact dans les circonscriptions où « le RN et ses alliés sont en tête mais avec une avance réduite de 4 ou 5 points. Un désistement peut être suffisant pour les empêcher de gagner », estime Gaël Sliman.
Ca peut faire perdre 5, 10 ou 15 sièges au RN et les faire repasser en dessous du seuil de la majorité absolue
Il reste que pour motiver les troupes, le message républicain et citoyen délivré par les macronistes est « pauvre », constate l’analyste : « Dans la campagne du premier tour, ils ont renvoyé LFI et RN dos à dos.Et là, ils semblent dire à leurs électeurs à propos des Insoumis : “Ils sont peut-être aussi dangereux que le RN mais comme ils n’ont aucune chance de gagner, je vous invite à voter pour eux pour priver le RN d’une majorité ».
Si cette stratégie fonctionne, Il restera à trouver un moyen de gouverner le pays avec 250 à 260 députés Rassemblement national et une majorité introuvable.Gaël Sliman se veut réaliste : « Il est impossible d’imaginer un gouvernement qui comprendrait à la fois des Insoumis, des communistes et des LR ».
Julien Rapegno