A quelques jours du premier tour des élections législatives, l’Etat français entérine sa politique de sécurisation d’actifs stratégiques. Il vient de s’offrir 80 % d’Alcatel Submarine Networks (ASN), l’ancienne division de câbles sous-marins d’Alcatel détenue depuis 2015 par le Finlandais Nokia.
Annoncé jeudi 27 juin par Bercy, le rachat d’une majorité de ce groupe, considéré comme un actif crucial pour la France et qui fabrique, pose et entretient les câbles sous-marins, "démontre la capacité de l’État à investir dans des sociétés françaises afin de soutenir et développer leurs activités stratégiques", a indiqué le ministère de l’Economie dans un communiqué.
Selon une estimation du cabinet de Bruno le Maire, l’Etat devrait débourser environ 100 millions d’euros pour acquérir cette entreprise, l’un des leaders mondiaux du secteur et valorisée à 350 millions d’euros. "C’est une activité stratégique essentielle pour la France puisqu’elle concerne l’approvisionnement en connexion internet avec l’étranger", indique-t-on au ministère, "dans un contexte où l’on voit que les infrastructures de câbles sous-marins peuvent faire l’objet d’attaques".
Jugés critiques, les câbles sous-marins assurent en effet 99 % des communications numériques mondiales et tout dommage leur étant causé peut donc avoir d’importantes conséquences en matière de communications.
"ASN a connu une transformation importante ces dernières années et occupe une position solide sur le marché", a commenté dans un autre communiqué Pekka Lundmark, PDG de Nokia. "Je suis heureux que nous ayons trouvé un propriétaire naturel pour l’entreprise", a-t-il ajouté.
Négocié depuis près d’un an, l’accord prévoit à terme la possibilité pour l’Etat d’acquérir 100 % du capital de l’entreprise et que Nokia garde une part minoritaire dans une première phase pour faciliter la transition. La transaction devrait être définitive d’ici à la fin de l’année, si les conditions suspensives sont levées.
Entré dans le giron de Nokia après la fusion avec Alcatel-Lucent en 2015, ASN avait fait l’objet de négociations en 2019 pour un rachat par l’équipementier français Ekinops mais le processus de vente a été interrompu et l’État disposait d’un droit de regard en cas de vente. "Nokia a présenté un certain nombre de repreneurs potentiels qui ne convenaient pas forcément", souligne le cabinet de Bruno le Maire, ce qui a poussé le ministère à se positionner.
En concurrence avec deux acteurs majeurs, l’américain TE SubCom et le japonais NEC, "la société est sur une trajectoire de croissance, et entre 2019 et aujourd’hui, le chiffre d’affaires a quasiment doublé", fait-on valoir à Bercy.
ASN, qui a réalisé un chiffre d’affaires de plus d’un milliard d’euros en 2023, compte environ 2 000 salariés, dont les deux tiers en France. Bien que rachetés par Nokia, le siège et l’usine principale de l’entreprise sont restés à Calais et son patron, Alain Biston, est aussi français.
L’annonce de cette acquisition est faite trois jours avant le premier tour d’élections législatives anticipées qui s’annoncent difficiles pour la majorité présidentielle. "C’est une décision qui est dans le périmètre de ce que le gouvernement a le droit de faire puisque nous ne sommes pas en période d’affaires courantes", assure le cabinet de Bruno Le Maire, qui fait valoir que "les crédits associés ont été votés en loi de finances".
Autre dossier majeur, la chute d’Atos, lourdement endetté et qui peine à trouver une voie pour sortir de la crise, mobilise également depuis plusieurs mois le gouvernement, soucieux de préserver les parties les plus sensibles pour sa souveraineté de cet ex-fleuron de l’informatique.
Mi-juin, l’État avait ainsi fait une offre de 700 millions d’euros pour acheter ses activités jugées stratégiques, dont les supercalculateurs, les contrats avec l’armée et les produits de cybersécurité, afin d’éviter qu’elles ne tombent entre les mains d’acteurs étrangers.
L’Etat a également octroyé un prêt de 50 millions d’euros à l’entreprise et acquis une "action de préférence" lui permettant de mettre son veto à certaines opérations au niveau de Bull, la filiale qui construit ces supercalculateurs.