Carmat développe le coeur artificiel le plus avancé au monde

Créée en 2008, la société française Carmat conçoit et fabrique des coeurs artificiels à destination de patients atteints d'insuffisance cardiaque. Après avoir transplanté 70 patients d'un coeur transitoire appelé 'pont à la transplantation', Carmat travaille à allonger la durée de vie de ses coeurs pour remplacer les greffes humaines. Un projet ambitieux et bénéfique.

" L'insuffisance cardiaque avancée est devenue il y a une dizaine d'années la première cause de mortalité dans le monde. Elle génère un peu plus de 200 000 morts par an, un nombre qui est rapidement appelé à doubler ", alerte Stéphane Piat, le directeur général de Carmat. Cette maladie est particulièrement douloureuse car elle entraine des difficultés à respirer, à bouger, exigeant des visites à l'hôpital de plus en plus fréquentes avec un coût social lourd pour le patient et son entourage, ainsi que des frais colossaux pour le système de santé. L'unique remède à cela aujourd'hui est l'implant d'un greffon humain, " mais le taux de succès n'est pas si élevé à cause des complications cliniques (rejets, maladies...), et du manque de donneurs. Ce n'est pas un parcours simple, déplore Stéphane Piat. Preuve en est, un seul coeur est transplanté par jour en France, pour des milliers de patients. "

Carmat réfléchit depuis des années à une solution pour ces patients de plus en plus nombreux. Pour le dirigeant, " c'est un problème mécanique, il faut donc une machine, pas un médicament ". Et cette machine, ce coeur artificiel, l'entreprise l'a mis au point : une sacrée prouesse technique ! Le dispositif très complexe fait appel à toutes les expertises en ingénierie possible, de la biologie à la mécanique en passant par l'électronique. " On utilise du péricarde bovin, des pompes utilisées dans l'aéronautique, une carte électronique... on fait de la mécanique de haute volée. " Le coeur artificiel est implanté par des chirurgiens ayant suivi une formation spécifique.

Le dispositif fonctionne grâce à une batterie externe reliée par un trou dans l'abdomen, que le patient doit porter avec lui. Un désagrément transitoire pour Stéphane Piat : " Demain, comme c'est le cas des pacemakers qui ont vu leur taille réduite à celle d'une pièce de monnaie, il n'y aura certainement plus de batterie externe. " Une autre bonne nouvelle ? L'absence de traitement médicamenteux, d'anti-rejets, contrairement au greffon humain qui nécessite, selon le dirigeant, " une trentaine de pilules par jour, entrainant moults problèmes d'estomac. " Quant aux battements de ce coeur artificiel, " leur rythme est basé sur le retour sanguin, donc sur l'activité physique, il n'y a pas de stimuli dû aux émotions, au stress ou à l'adrénaline. "

Ce coeur du futur signé Carmat a déjà été transplanté sur près de 70 patients du monde entier. Mais ces opérations n'ont pas eu vocation à remplacer les greffes humaines. En effet, les coeurs Carmat sont aujourd'hui utilisés comme 'ponts à la transplantation', ce qui signifie qu'ils permettent essentiellement de sauver des patients mourants, en attente d'un greffon qui ne vient pas. " Prenons l'exemple d'un malade de 40 ans, qui pourrait vivre encore très longtemps mais il n'y a pas de coeur disponible. La solution Carmat le sauve en attendant un greffon humain, qui reste aujourd'hui la seule solution sur le long-terme ", décrypte Stéphane Piat. Après avoir bénéficié d'une machine Carmat, le patient est remis en forme pour reconstruire sa musculature perdue et peut attendre de nouveau une greffe. " Aujourd'hui, l'expérience la plus longue avec le coeur Carmat était 25 mois, pour un pont à la transplantation ", chiffre le dirigeant.

Carmat a commencé par le pont mais sa vision est de fournir une thérapie de destination, c'est-à-dire un coeur valable pour toute la fin de vie, remplaçant le greffon humain. " Notre coeur dure de plus en plus longtemps, on pense que techniquement, d'ici fin 2024, il pourra résister plusieurs années. Sachant que la durée de vie moyenne d'un transplanté se trouve aux alentours de 8 ans, si on arrive à 6/7 ans, ce serait génial, et c'est notre objectif pour 2028 ", s'enthousiasme Stéphane Piat.

" Notre première implantation a été réalisée en 2013, et on est aujourd'hui au rythme d'une par semaine ", explique le PDG. Carmat a amorcé une première commercialisation en 2021 avant un lancement officiel en 2023. " Carmat commence à croitre et génère de l'argent. C'est rare, très peu de start-ups françaises en cardiologie réalisent des ventes. " La société fabrique ses coeurs sur son site de Bois-d'Arcy, dans les Yvelines, " une usine dont la capacité de production de 500 coeurs par an est la plus grande au monde ", selon le directeur.

Carmat est bien conscient que créer une nouvelle thérapie est un parcours du combattant, il faut concevoir un parcours patient, tout prend beaucoup de temps. " On pensait qu'en sauvant des vies les étapes allaient être plus rapides, mais on n'a pas échappé à l'inertie hospitalière ", déplore Stéphane Piat. Pour être établie, la thérapie a besoin d'études cliniques, de lignes guides. " Une fois qu'une étude positive est publiée, les sociétés savantes l'inscrivent dans le livre des lignes guides suivies par les médecins pour leurs prescriptions, explique Stéphane Piat, On a fait une étude clinique dans dix centres en France qui sera publiée l'année prochaine. "

Pour se lancer, une thérapie doit être sûre, efficace, mais aussi " bénéficier au compte de la sécurité sociale ", indique Stéphane Piat. " On pense que ce sera le cas pour Carmat. Notre coeur est probablement le dispositif le plus cher qui existe aujourd'hui pour les implants cardiaques, avec un coût d'environ 200.000 euros, mais il fait économiser de l'argent au système car les patients ne sont plus hospitalisés. "

Outre le fait de répondre à un problème de santé publique, Carmat est l'opportunité de créer un champion français en dispositif médical. " Aujourd'hui, il n'y a que trois créateurs de dispositif médical en France, qui font quelques 100 millions d'euros de chiffre d'affaires, ce qui est relativement peu. C'est dommage car c'est un gros marché de 600 milliards de dollars par an et la France a une balance commerciale négative de 28 milliards d'euros ", regrette le dirigeant. De plus, Carmat n'a presque pas de concurrent, même à travers le monde. " Notre technologie a au moins une dizaine d'années d'avance sur tous les autres projets qui pourraient être en développement. Aujourd'hui on est la seule technologie de coeur artificiel disponible en Europe ", se félicite Stéphane Piat.

Et qu'en est-il du profil des transplantés ? L'insuffisance cardiaque est ce qu'on pourrait appeler une maladie nouvelle. " Avant les années 80, les personnes âgées mouraient d'un infarctus. Avec l'invention des stents (dispositif placé à l'intérieur des artères si un rétrécissement localisé empêche le sang de passer, ndlr), puis en changeant les valves du coeur, on a augmenté l'espérance de vie jusqu'à 83 ans environ, un âge où le coeur peut s'arrêter, fatigué. " Mais probablement à cause du diabète et de la sédentarité, elle touche de plus en plus de jeunes. Les bénéficiaires des coeurs Carmat ont d'ailleurs en moyenne 50 ans et quelques.

Carmat, l'invention de deux visionnaires Carmat a été créée en 2008, par Alain Carpentier et Jean-Luc Lagardère. " Le premier a révolutionné la chirurgie moderne en inventant les valves cardiaques chirurgicales à partir de péricarde bovin (tissu qui entoure le coeur de boeuf, ndlr), et le second a créé Matra (Mécanique Aviation Traction), devenu Airbus Group ", explique Stéphane Piat. Carmat provient d'ailleurs de la contraction de CARpentier et de MATra. Cet article a été publié initialement sur Big Média Carmat développe le coeur artificiel le plus avancé au monde