"Comme toutes les activités humaines, le sport a une empreinte carbone qu’il faut réduire", explique Isabelle Autissier

Plus de 60 % des Français de 15 ans et plus ont une activité sportive hebdomadaire. Football en tête. Sur l’ensemble des pratiquants réguliers, 32 % font de la course à pied ou de la marche, 12 % des sports de cycles ou motorisés, 11 % des sports aquatiques ou nautiques. Quelles adaptations au climat ? Quelles responsabilités ?

C’est une évidence. Que l’on pense à l’impact physiologique sur le sportif, que l’on s’inquiète des contraintes supplémentaires sur les animaux ou le matériel, ou, même, que l’on raisonne en termes d’espaces : les modifications du climat affectent les pratiques sportives dans le monde amateur aussi clairement que chez les pros. On estime que les Français pourraient perdre jusqu’à 2 mois d’activité sportive par an, dans un monde à +4 °C. Mais la pratique sportive a, aussi, un impact et des responsabilités au regard de l’évolution climatique. Voici, ce que l'on ne peut ignorer.

En 2015 déjà, le WWF France (que présidait alors la navigatrice et auteure Isabelle Autissier) et le ministère de la Jeunesse et des Sports avaient édité un Recueil des initiatives remarquables et innovantes du sport français dans la lutte contre le dérèglement climatique. Depuis, d’autres ambassadeurs ont posé les jalons de pratiques sportives plus responsables. Sport et climat, c’est tout ça.

Froid, chaud, terrains plus dangereux ou épisodes climatiques extrêmes, recul du trait de côte en plus des tempêtes pour les ports et les navigateurs… Où va-t-on ? Publié mi-juin, le rapport Rings of fire, (coécrit par l’ONG Climate Central, des climatologues britanniques et des athlètes olympiques) a mis des mots sur le feu qui couve. « Une chaleur intense au cours des Jeux olympiques de Paris […] pourrait entraîner l’effondrement de certains athlètes, voire leur décès ».

Les organisateurs de grandes compétitions estivales ont été invités à repenser leur calendrier et la réhydratation et le refroidissement des athlètes (et des supporters). Les autres feraient bien d’y penser. 

Les + 2 °C à + 4 °C en moyenne l’été, avec des pics de chaleurs extrêmes, ce n’est pas que pour les pros !

À l’entraînement toute l’année, et encore plus à la saison des rassemblements qui mobilisent des milliers de sportifs amateurs, la physiologie humaine finit toujours par parler. Surtout quand les pratiquants occasionnels sont tentés d’en demander beaucoup aux organismes mal préparés.

L’impact de la nouvelle donne climatique sur le sport amateur, ce sont aussi des conditions orageuses ou des pluies exceptionnelles à prendre en compte. Parmi ceux qui le savent bien : les nageurs et triathlètes privés d’eaux libres pour cause de pollutions ou de cyanobactéries ; les kayakistes qui veulent à tout prix profiter de rares créneaux entre deux eaux, la crue ou l’étiage ; les skieurs et alpinistes, privés d’une montagne qui s’effondre en été comme en hiver… On entend aussi le désarroi des sports collectifs dans ces salles que, ni les clubs, ni les municipalités n’ont les moyens de chauffer ou climatiser à la mesure des nouveaux écarts de température.

2 °C en plus, c’est 24 jours de pratique en moins chaque année

L’avertissement du président de l’Association internationale des fédérations d’athlétisme, Sebastian Coe, résonne pour tous, quand il estime que concourir dans des "conditions climatiques très dures" devient la "nouvelle norme".

Les fédérations - et dans leur foulée, des organisateurs variés - ont généralement pris en compte la nouvelle variable climatologique. Mais comment rafraîchir, par exemple, ces « opens » amateurs qui rassemblent plusieurs milliers de rugbymen de tous âge en été. Et sous le soleil pendant les tournois de sixte, décline-t-on vraiment le cahier des charges de la Fifa ? Il rend pourtant obligatoire des pauses « fraîcheur » pendant les deux mi-temps lorsqu’il fait plus de 32 °C.

Le risque principal, c’est le "coup de chaleur à l’effort", expliquent les médecins. Il doit être très sérieusement pris en compte à partir de 28 °C, surtout dans des conditions d’hygrométrie élevées. Or la barre des 30 °C est franchie de plus en plus tôt et de plus en plus tard dans la France hexagonale. Les journées à plus de 32 °C au printemps, ou bien après la rentrée scolaire et la reprise dans les clubs amateurs ne sont plus exceptionnelles.

En 2020, avec l’enthousiasme du déconfinement dans un été caniculaire, les clubs et fédérations ont pris la mesure du risque en population générale. La prévention a pris une nouvelle dimension pour l’activité physique à tous niveaux et à tout âge. Les athlètes de haut niveau, régulièrement sortis des stades en titubant ou sur des civières malgré leur préparation physique, donnent une idée de l’enjeu.

La pratique sportive par fortes chaleurs, c’est un risque "d’encéphalopathie d’effort dans un contexte hyperthermique" : un nom compliqué pour un risque mortel sans prise en charge adéquate (l’effort doit être immédiatement arrêté à l’apparition de signes neurologiques tels que des céphalées, des nausées ou vomissements, les convulsions, mais aussi le fait de tituber ou être soudain obnubilé par quelque chose d’insignifiant). Il faut ajouter un risque accru de déshydratation chez les pratiquants jeunes ou âgés, qui peuvent avoir plus de mal a en percevoir les signes de souffrance. Sans oublier le risque cardiovasculaire…

Il faut encore parler du rayonnement solaire plus important. En juin 2023, un congrès de cancérologie s’est intéressé au lien entre changement climatique et cancers de la peau aux États-Unis. La conclusion de Laurene Jane, doctorante à UCLA, est sans appel :

Nous avons constaté que pour le mélanome, les états les plus impactés par le changement climatique ont une plus forte augmentation de cas par rapport aux États les plus préservés face au changement climatique.

Le changement climatique, c’est donc aussi, sous nos latitudes, un rayonnement solaire et des températures qui impactent les animaux que l’on entraîne dans nos pratiques sportives.

La canicule de 2019 a amené la Fédération française d’équitation à éditer les "bons usages à prendre en compte pour le bien-être des poneys et chevaux". Mais au-delà, le bon sens veut que l’on sache annuler les épreuves ou les décaler aux heures fraîches expliquent les vétérinaires. Le fait-on vraiment ?

Le rayonnement solaire plus important, c’est aussi une usure prématurée du matériel, explique Isabelle Autissier. Quand la sécurité est en jeu, il faut le remplacer plus souvent, ce qui a un coût pour les clubs et les pratiquants individuels.

En 2015, le Recueil des initiatives remarquables et innovantes du sport français dans la lutte contre le dérèglement climatique avait déjà mis la pagaie dans le bouillon. Parmi ces actions à valoriser, il citait l’exemple des Eco-Games, concept d’évènement sportif alternatif plus respectueux de la planète. Mais aussi la réutilisation d’équipement, l’engagement écoresponsable des organisateurs de compétitions, la piste en pneus recyclés de l’Association sportive montferrandaise (ASM), une filière de gobelets réutilisables, ou encore « un label vert dédié au monde de la glisse ». Et bien sûr, le bois et les matériaux recyclés comme matière première d’objets sportifs.

Dix ans plus tard, la navigatrice aux trois Vendée Globe (plus un Boc challenge et un New York - San Francisco) est toujours aussi convaincue de la nécessité de responsabiliser les pratiques sportives à tous les niveaux.

La première grande responsabilité incombe aux sociétés qui organisent les épreuves. On peut par exemple agir en pleine nature sur des parcours guidés, sur les déplacements des compétiteurs, agir sur les déchets, sur l’alimentation… Une alimentation moins carnée est bonne aussi pour les sportifs… 

Son discours s’adresse aux grands comme aux petits événements, dont la somme finit par réunir des dizaines de milliers de pratiquants. Plutôt que de censurer les applications qui amènent "à faire n’importe quoi", elle invite "les fédérations et les compétiteurs à poster eux-mêmes des pratiques et des conseils vertueux".

"Ça veut dire acheter du matériel sportif d’occasion par exemple : c’est aussi bon pour le porte-monnaie. Choisir une gourde plutôt que les microparticules d’une bouteille en plastique. Covoiturer pour se rendre  sur un événement sportif, limiter ses déchets, recycler des équipements sportifs…"

Ce que l’on ne peut pas réutiliser sur l’ensemble des équipements sportifs sportifs est marginal ! 

La pratique amateur a un rôle à tenir dans la réduction de l’empreinte carbone quand il s’agit de lutter contre le gaspillage d’équipements sportifs. "On a une espèce de frénésie d’achat, et comme on n’a pas d’armoire assez grande on finit par jeter. Ne vous précipitez pas parce que vous avez l’impression que c’est dix fois mieux que l’année dernière. On n’a pas assez de ressources sur la planète pour satisfaire la frénésie de 9 milliards d’humains ! Vêtements, équipements : sauf pour les matériels de sécurité dont les normes changent." 

Isabelle Autissier invite à recycler tous équipements dont on ne se sert plus. "Quelques marques commencent à avoir de la revente de matos d’occasion, mais on a aussi les sites de revente, et même son club sportif !".

Quelles précautions par forte chaleur ? • Décaler si possible les entraînements et pratiques sportives aux heures les plus fraîches. • Prévoir de quoi s’hydrater suffisamment et éventuellement de quoi s’arroser la tête ou la nuque. • Se couvrir la tête et protéger ses yeux du soleil. • Choisir des vêtements clairs et favorisent la transpiration • Raisonner son apport hydrique et alimentaire pour conserver un bon équilibre en minéraux. • Mettre de la crème solaire sur les parties exposées. • Prévoir des pauses fraîches ou de quoi faire descendre sa température centrale. • En vue d’une compétition dans des conditions climatiques extrêmes, prévoir une acclimatation physique (2 à 3 semaines aux conditions attendues, mais avec des efforts modérés). • Et s’assurer d’un état de santé compatible avec l’effort prévu !

Anne Bourgesanne.bourges@centrefrance.com