Une sortie tentante au bowling… Et des questions sans réponse, des regrets éternels qui les taraudent déjà. « Je ne sais pas pourquoi, j’ai voulu le regarder partir dans la voiture avec ses amis en me mettant à ma porte-fenêtre et lui dire de ne pas y aller », souffle, le regard dans le vide, Élodie Toutut. « Une fois qu’ils étaient partis, j’ai hésité à appeler Thibault pour lui dire qu’il demande au conducteur de conduire plus tranquillement. Il avait démarré sèchement devant la maison en partant… Mais avec des si… », enchaîne, jeudi 20 juin, son mari, François-Xavier. « On savait, nous comme Thibault, que le conducteur, un de ses amis depuis le collège, pouvait parfois se montrer imprudent. Mais l’envie de Thibault de sortir avec ses amis pour cette soirée bowling, alors qu’il ne faisait pas grand-chose depuis des mois, a pesé trop lourd dans la balance. »
Mardi soir, Élodie et François-Xavier Toutut, habitants de Blandainville, petite commune à quelques kilomètres d’Illiers-Combray, ont perdu leur fils de 19 ans dans le tragique accident de la circulation qui a fait, au total, sept victimes, des Euréliens, et deux blessés sur la RD 921, à Bailleau-le-Pin. Cinq jeunes, âgés de 17 à 19 ans, et un couple d’octogénaires.
« Il est remonté des frontières de la mort »Bon an mal an, fibre après fibre, le fil d’une vie normale venait pourtant tout juste de se retisser au sein de cette famille de deux enfants. Un fil promis à être plus solide que jamais dès l’automne. « La veille de l’accident, les médecins experts de Paris étaient venus chez nous voir Thibault. Ils étaient époustouflés par ses progrès magnifiques. De là où il revenait, ils étaient enthousiastes et ont salué ses énormes efforts pour retrouver toutes ses capacités motrices et cognitives. Ils lui ont dit qu’il était à l’aube de retrouver sa complète autonomie. Ils lui avaient même annoncé qu’il pourrait reprendre ses études après l’été. On avait des projets pour les vacances tous les quatre, plus sa copine de Tours. Thibault devait, ensuite, partir avec ses amis et participer à un rassemblement de voitures de marque Honda. »
Thibault Toutut avait 19 ans. Après un premier grave accident en septembre 2023, il était sur le point de reprendre ses études en BTS alternance banque au campus universitaire de Chartres. Photo famille Toutut
C’est désormais gravé. Dans la tête de ces parents, ce 18 juin restera comme le point final « de la continuité d’événements tragiques qui ont accablé » cette famille. « Thibault était clairement un miraculé. Le 24 septembre 2023, il avait été percuté par un chauffard alors qu’il était à pied sur la route (notre édition du 26 septembre 2023). Déjà sur cette RD 921. Cette route dangereuse aura eu la peau de notre fils deux fois. »
Dans la foulée de ce 24 septembre, suivent 48 heures durant lesquelles les chirurgiens de l’hôpital parisien de la Pitié Salpêtrière ne veulent se déterminer sur les chances de survie de ce jeune en BTS alternance banque, au campus universitaire de Chartres. « Son pronostic vital est resté engagé pendant quinze jours. On a vraiment eu peur de le perdre. On était terrorisé. Il est resté trois semaines dans le coma. Il est remonté des frontières de la mort. Il était déjà victime à ce moment-là. Et, de nouveau, il est victime. Car, dans la Honda Legend qui a provoqué l’accident, mardi, les quatre passagers sont victimes. Selon eux, « il n’y a qu’un responsable, c’est celui qui tenait le volant. »
« C’était un gamin aimant, bosseur, respectueux, prudent »Depuis le 24 septembre, Thibault Toutut avait subi trois mois d’hospitalisation complète à Paris, « puis deux mois à Beaurouvre, en rééducation fonctionnelle ». Depuis le début de l’année, il était en hôpital de jour au Coudray. « Le gamin vivait au rythme du taxi qui l’emmenait et le ramenait de ses trois séances de rééducation hebdomadaires. Forcément, il s’ennuyait. Il avait le blues, car lui qui adorait sortir, voir du monde, il n’avait le droit de rien faire. En plus, sa Honda Civic avait été détruite en septembre », rembobine le père. « Il était fan de voiture, il aimait la rendre belle. Il la voyait comme son bébé, c’était sa liberté. Depuis, il en avait racheté une à retaper », complète la mère, assistante médico-administrative à l’hôpital Henry-Ey de Bonneval.
Elle enchaîne : « Il avait hâte de reprendre les cours, une vie normale. Sa copine, de Tours, devait venir cette semaine à la maison pour profiter un peu de lui. Heureusement, il a été très entouré par ses amis durant toute cette période. Ne pas sortir de ce bocal, ça lui pesait vraiment. Il disait toujours que la première chose qu’il ferait quand il récupérerait son permis de conduire, ce serait d’aller chercher son ami Sofiane, à Dreux, lui aussi concerné dans l’accident du 24 septembre, pour refaire ensemble sans encombre jusqu’à la maison le même trajet parcouru ce jour-là, pour fermer la boucle. Il tenait beaucoup à cela. »
En parallèle de cette rééducation lourde, la petite dernière de la fratrie Toutut serre les dents. Laureen « a vécu sous le joug de la peur de perdre son frère pendant des semaines. Elle a été d’une force incroyable. Elle a continué à très bien travailler au collège. Mais, deux mois jour pour jour après l’accident de Thibault, elle a dû être héliportée à Tours, aux portes du coma. Elle avait perdu 10 kg en quelques semaines. Le choc post-traumatique lui a déclenché un diabète insulinodépendant. On se dit alors que c’est inconcevable d’être frappé comme cela avec un tel acharnement. »
43 pompiers étaient intervenus sur cet accident impliquant trois voitures sur la RD921, entre Illiers-Combray et Chartres.
Qu’importe, elle aussi se bat et remonte la pente. « Laureen vit avec une pompe. Elle a appris à bien se gérer toute seule grâce à sa force mentale impressionnante. Mais, aujourd’hui, à 15 ans, elle est détruite. Son frangin, c’était son frangin, elle l’aimait d’une force. »
Le frère, « gaillard aimant la bonne chère », était donc un fan d’auto. « Il a bossé au McDo dès ses 16 ans pour s’acheter sa voiture. Il l’a eue avant d’avoir son permis. C’était un gamin aimant, bosseur, respectueux, prudent, qui s’émancipait magnifiquement. Un gars sérieux, responsable, volontaire, qui ne nous demandait rien, vivait sa vie avec maturité. Il avait converti ses copains à sa passion des Honda Civic », parvient à sourire François-Xavier Toutut, prestataire comme technicien informatique chez Dior, également conseiller municipal de Blandainville. « C’était un amour de gamin », répète-t-il.
Le jeune, passionné d’auto, faisait son alternance au Crédit mutuel de Bonneval. Il aimait aussi les Lego, « très utiles durant sa rééducation motrice par rapport à ses problèmes cognitifs ».
« Faire aboutir son projet à sa place »Et le père de se questionner : « Je ne sais pas comment on va trouver la force d’avancer?? On a tellement enduré depuis septembre. On est sous traitement, on a développé des symptômes de stress post-traumatique. J’ai l’impression qu’on est au bout. Heureusement, il y a notre fille, elle donnera sûrement un sens à l’après. Et puis Thibault allait commencer à retaper sa nouvelle Honda Civic. Il avait commandé tout un tas de pièces. Les premières, un capot, sont arrivées le lendemain de l’accident et ça va continuer dans les jours qui viennent. On aimerait bien que cette voiture soit remise en état avec tout ce qu’il a acheté pour la garder pour lui. Mais je n’ai pas les compétences mécaniques. Et puis on est une famille modeste. Mais on aimerait bien faire aboutir son projet à sa place », s’étrangle, en larmes, François-Xavier Toutut.
« J’ai aussi de la peine pour les familles des autres victimes. Depuis mardi, Thibault nous manque terriblement, on aurait tellement voulu le voir reprendre une vie normale. Notre famille va devoir apprivoiser la compagnie de l’absence. »
Emmanuel Brun