Jean-François Chanet est professeur à l’Institut des Études Politiques de Paris. Il est l’auteur, entre autres, de Clémenceau, dans le chaudron des passions républicaines (Gallimard, 2021), qui a obtenu le prix Lucien Febvre 2023. Rencontre avec l’historien conférencier, président du Comité d’histoire de l’éducation nationale.
Pourquoi le choix de Jean Zay au poste de ministre de l’éducation nationale et des Beaux-Arts en 1936??
Il avait plusieurs atouts. Il représentait l’aile gauche du Parti radical-socialiste et la jeunesse - il avait 32 ans. Pour lui, le ministère de l’Éducation nationale devait inclure cette dimension de la jeunesse. Comme il avait de surcroît une forte appétence pour la culture, à une époque où il n’y avait pas de ministère ad hoc, son ministère en a, dans une large mesure, tenu lieu. Ce qui force l’admiration, c’est qu’il a réussi dans tous ces domaines, sinon à faire triompher les réformes qu’il portait, du moins à introduire des idées et des organes qui ont eu une longue postérité.
Quels sont les enjeux majeurs de l’éducation dans les années 30??
Il y a la question de l’école unique, qui est débattue depuis la fin de la Grande Guerre mais qu’on trouve déjà présente dans la réflexion de Ferdinand Buisson. Directeur de l’enseignement primaire au ministère de 1879 à 1896, il avait clairement conscience que la séparation entre deux ordres d’enseignement, le primaire, clos sur lui-même et s’arrêtant souvent au certificat d’études, pour les élèves qui arrivaient jusque-là, et le secondaire avec ses propres petites classes de lycée, n’était plus dans l’intérêt du pays.
« Jean Zay a semé des graines pour l’avenir. »
Jean Zay a grandement contribué à la disparition d’un tel système. L’allongement de la scolarité à 14 ans, qu’il a réalisée, a amené comme complément logique la création des classes de fin d’études primaires qui étaient des classes de transition vers la vie professionnelle. Il introduit aussi les classes d’orientation pour remplacer la sélection par examen à l’entrée en sixième. Il contribue ainsi à répandre l’idée que le parcours d’un élève ne doit pas être déterminé de façon rigide par sa naissance et son milieu.
Autre idée plus globale, qui va au-delà de la seule éducation nationale, c’est l’idée qu’il faut dégager du temps pour les congés payés et les activités qu’on appellera par la suite d’éveil.
Jean Zay travaille avec Léo Lagrange. C’est le temps des auberges de la jeunesse. Cette idée centrale de l’éducation nouvelle, qui est de diversifier l’éducation par d’autres types d’activités et de ne pas s’en tenir simplement aux enseignements fondamentaux traditionnels, est une idée à la fois hardie et très contestée.
Comment caractériser le style de Jean Zay comme ministre??
Son originalité tient à la fois à sa jeunesse et à sa manière d’animer la fonction, de l’incarner. Elle tient aussi à une réorganisation administrative, qui rend plus cohérente une politique qui était restée jusqu’à lui le reflet des héritages structurels de l’organisation du système non pas en degrés mais en ordres.
Qui était Jean Zay : jeune, juif, de gauche et franc-maçon?
Dans la méthode, il est soucieux d’expérimenter et de rechercher le lien avec les organisations syndicales, ce qui ne va pas de soi car les réformes introduites se heurtaient à des cultures professionnelles bien ancrées. Il possède une grande puissance de travail et peut compter sur une équipe soudée, qui lui permet de s’occuper aussi de politique culturelle. Celle-ci se traduit par la commande publique d’œuvres d’art tournées vers la modernité et les avant-gardes artistiques.
Comme on le sait, Jean Zay est à l’origine de la création du festival de Cannes. Il s’est aussi préoccupé de l’enseignement supérieur, en particulier dans sa dimension d’œuvres universitaires et sociales, à l’origine des CROUS. Pascal Ory, qui a bien étudié la période, souligne le côté laboratoire de son cabinet et l’effervescence intellectuelle et créative qu’il y avait en lui et autour de lui. C’est pourquoi il ne faut pas évaluer son action seulement aux mesures effectivement prises. Il a semé des graines pour l’avenir.
Conférence de Jean-François Chanet « Jean Zay, ministre réformateur », samedi 22 juin, 15h30 au théâtre de Cusset. Entrée libre. Organisé par le Comité en l’honneur des 80 parlementaires et des passagers du Massilia, et le Centre International d’Études et de Recherches de Vichy.