«Ambitieux », « colossal », « titanesque », voire même « pharaonique »: le projet de construction d'un tunnel ferroviaire sous-marin reliant l'Espagne et le Maroc, envisagé dès 1979, a été relancé récemment suite à l'amélioration des relations diplomatiques entre les deux pays. L’infrastructure devrait relier Algésiras, au sud de l’Espagne, à Tanger, du nord du Maroc, via le détroit de Gibraltar.
Depuis quelques jours, la presse des deux pays en parle, mais c’est le journal électronique espagnol El Independiente qui révélait la remise à l’ordre du jour de cet ouvrage, début mars, par le ministre des Transports espagnol, Óscar Puente, lors de sa visite à Rabat. Reçu par son homologue marocain, Mohamed Abdeljalil, le responsable socialiste espagnol avait alors promis d’organiser « dès que possible » des réunions de travail pour « réaliser les études nécessaires » en vue de la construction de cet édifice.
Selon El Independiente, le coût du projet pourrait monter jusqu'à 26 milliards d'euros, soit le double de la somme prévue à la fin des années 1980. Les racines de ce projet remontent à un accord de coopération entre l'Espagne et le Maroc scellé à cette époque, qui prévoyait la création d’entreprises d’État des deux côtés à cette fin.
Ce fut « la première pierre » d’un projet tombé plus de trente dans l’oubli, en partie à cause des relations tendues entre Rabat et Madrid. Ces relations étaient entravées, selon Rabat, par plusieurs sujets de discorde, comme le statut des enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla ou la question du Sahara occidental.
Mais le revirement de l’Espagne en 2022 sur la question du Sahara occidental, territoire contrôlé par Rabat dont le statut est discuté par une partie de la communauté internationale, a permis un rapprochement des deux pays. Les relations se sont encore améliorées en 2023, lorsque le Premier ministre espagnol Pedro Sánchez a apporté son soutien officiel au plan marocain d’autonomie du Sahara occidental.
S'il se concrétise, ce projet devrait grandement faciliter les échanges, « renforçant ainsi les liens économiques, sociaux et culturels entre les deux nations », décryptait en novembre dernier le site allemand Acte international. Il est également prévu que le tunnel soit opérationnel avant la Coupe du Monde de 2030, coorganisée par l'Espagne, le Portugal et le Maroc, relève le site spécialisé en transport international. L'objectif étant donc de lancer les travaux d'ici 2030.
Selon Acte international, ce projet bénéficie du soutien de plusieurs acteurs internationaux, dont l'Union européenne, le Royaume-Uni, les États-Unis, la Chine mais également le Japon, les Émirats arabes unis et l'Arabie saoudite. De plus, des institutions financières internationales, telles que la Banque mondiale, la Banque Africaine de Développement, et la Banque Islamique de Développement, ont exprimé leur soutien.
Aussi, ce projet pourrait-il marquer un « tournant significatif », si ce n’est une « révolution » pour le développement économique de la région méditerranéenne occidentale, s’emballe le site allemand, décidément très optimiste sur sa viabilité.
Un constat nuancé cependant par le magazine Géo le 13 juin, qui énumère les « défis techniques » de ce projet « au coût mirobolant ». Car même en cas de coopération multipartite importante, l'ampleur du projet « rend complexe sa réalisation », relevait le magazine arguant que sa position stratégique complexifiait tout projet d'infrastructure, étant un passage de milliers de navires dans cette zone de navigation.
D’autant plus que le projet, dans son tracé actuel, serait long de 38,5 kilomètres dont 28 kilomètres sous la mer, à en croire les informations révélées par El Independiente ; ce qui ne constituerait pas le chemin plus court, qui ne mesure que 13 kilomètres de long.
« Le tracé devrait descendre de 500 mètres en dessous du fond du détroit, puis remonter suivant une pente qui serait praticable par voie de chemin de fer », révélait encore le site espagnol citant un ingénieur au fait du projet.
A titre de comparaison, un projet antérieur de 1995 prévoyait 27,7 kilomètres de tunnel sous la mer, à environ 100 mètres en dessous du fond marin, permettant à des trains de passer à 120 kilomètres à l'heure au maximum.
Dans le monde, au moins deux projets similaires sont déjà opérationnels. Le tunnel sous la Manche, d'abord, qui compte 37,9 kilomètres sous-marins, descendant jusqu'à 75 mètres, selon Eurostar. Ensuite, le tunnel de Seikan au Japon qui comporte de son côté 23,3 kilomètres sous l'eau, permettant aux fameux Shinkansen de relier l'île principale japonaise d'Honshu à Hokkaidō, au nord du pays.
Deux « chefs d’œuvres d’ingénierie » qui font rêver Rabat et Madrid.