À Chasteaux (Corrèze), la légalité des cabanes du Sorpt, construites sur des terres agricoles, est actuellement étudiée par la justice. Leur propriétaire a été jugé ce mardi 4 juin.
C’est l’histoire d’un combat d’avant-garde face à l’État de droit. Depuis 2019 (et même avant cette date), à Chasteaux, près de Brive, des cabanes érigées, au lieu-dit du Sorpt, sont au cœur d’une bataille juridique opposant leurs habitants à la municipalité.
Par ce mode d’habitats légers construits sur des terrains non exploités et non constructibles, une poignée d’habitants revendiquaient leur droit de vivre au plus près de la nature. Cette illégalité consciente dans laquelle ils se trouvaient avait notamment été théorisée par les défenseurs de la « désobéissance fertile ».
L'utopie du prévenuCe mardi 4 juin, François Fleury, le propriétaire du terrain sur lequel s’est développée cette mouvance, avait rendez-vous devant le tribunal correctionnel de Brive. Il lui était reproché l’exécution de travaux non autorisés par un permis de construire entre 2019 et 2023, et l’aménagement de terrain sur une zone interdite par le plan de prévention des risques, et le non-respect du code de l’urbanisme. La mairie de Chasteaux s’est constituée partie civile.
Au Sorpt, en contrebas d’une route départementale, François Fleury a commencé à bâtir son utopie dans les années 90, en achetant plusieurs parcelles agricoles. « J’étais éco angoissé. Je voulais être en harmonie avec la nature. Je ne me suis pas trop posé de question sur les autorisations avec l’ancien maire. En vivant dans les cabanes, on voit la flore se développer. On voit les renards venir aux fenêtres, les chevreuils venir manger les fraisiers », a détaillé le prévenu à l’audience.
"La mairie a eu peur des zadistes"Aujourd’hui sur ses parcelles, ils sont quatre à vivre de manière permanente ou intermittente. On y trouve trois cabanes, un atelier, des toilettes sèches, un mirador en bois et des cabanes de méditation, au milieu des serres et des potagers. « La cabane de méditation est une simple boule de foin surmontée d’un toit en bambou », a précisé le propriétaire des lieux, qui accueille à l’occasion des groupes pour expliquer la sobriété de son mode de vie.Pour la mairie et le ministère public, les cabanes de Chasteaux sont illégales. Que dira le tribunal ?
À partir de 2019, les cabanes du Sorpt ont gagné en fréquentation, au point que certaines structures débordent sur les terrains voisins. C’est alors que la mairie décide de s’emparer du problème. « Quand d’autres personnes, plus jeunes, sont arrivées, la mairie a eu peur des zadistes. Ne faisons pas peser sur François Fleury l’emballement médiatique dont il n’est pas responsable », a plaidé son avocat Me Paul Jouty.
Plusieurs irrégularités soulevéesPlus qu’un mode de vie, plus qu'un rapport à l'écologie, c’est un ensemble d’irrégularités qui étaient pointées du doigt à l’audience. Les cabanes en question sont en effet construites dans une zone classée « orange 2 » sur le plan de prévention des risques liés aux mouvements de terrain. Ils situent sur des terrains agricoles et en dehors d’une zone urbanisée. « Au-delà de 20 m² de construction, on doit faire une déclaration. Concernant les risques de mouvement de terrain, une étude géologique doit être réalisée avant toute construction. Rien de cela n’a été fait », a plaidé Me Éric Dias pour les intérêts de la mairie de Chasteaux, qui ne voit pas comment la situation pourrait être régularisée. « Le prévenu a fait prévaloir son mode de vie sur la loi. Cela soulève des problèmes de sécurité. Si un incendie se déclare par exemple, la responsabilité du maire pourrait être engagée, car il n’y a aucun moyen d’accès pour les pompiers », a renchéri Frédérique Suquet pour le parquet.
Un problème d'équité dans la communeQuant au maire, Jean-Paul Fronty, la question des cabanes du Sorpt a également créé un précédent dans la commune, voire un problème d’équité. « Des habitants sont venus à la mairie pour des permis de construire. C’est parfois difficile. La réponse qu’on nous faisait était “Fleury et ses amis font bien ce qu’ils veulent eux…” », a déploré l’élu.
Le parquet a requis contre François Fleury une amende de 2.000 euros avec sursis et la remise en état du terrain dans un délai de huit mois. La décision sera rendue le 4 juillet prochain.
Pierre Vignaud