À genou, auprès des étudiants assis dans l’herbe, Mourad Chouaki pose le décor : un couple se promène dans le Cantal, madame tombe et se brise le fémur. La situation n’est pas rare dans le département mais est toujours sensible et, dans ces cas-là, un médecin du Smur est automatiquement dépêché sur place. Deux urgentistes internes prennent le relais pour gérer cette intervention simulée.
Ils sont en fin de cursus, ont déjà suivi plusieurs stages à travers l’ex-région Auvergne, de Moulins au Puy-en-Velay en passant par Aurillac, Clermont-Ferrand ou Montluçon. Mourad Chouaki, inusable urgentiste des sommets cantaliens, n’en rajoute pas dans la difficulté, laisse l’intervention se dérouler, donne un conseil ici ou là. L’enjeu est ailleurs.Mardi 28 mai, 34 internes urgentistes sont venus se former sur les pentes du puy Griou, répondant à l’invitation de l’hôpital Henri-Mondor d’Aurillac. Au programme de la journée, en plus de la simulation de fracture du fémur : gestion du stress avec Anne Fourié, coach mentale installée au Lioran qui compte parmi ses clients le gratin du trail français, mais aussi un parcours en falaise avec le peloton de gendarmerie de haute montagne de Murat ou une initiation à la toxicité des plantes auvergnates.
Un programme varié, allant du très technique au plus ludique, car « faire un enseignement à l’extérieur n’empêche pas de faire de l’enseignement de qualité, répète Mathieu Deloy, responsable du Smur à Aurillac. Cela fait sortir les étudiants de leur zone de confort, c’est un aspect pédagogique positif. Il ne faut pas oublier que les urgences, c’est à l’intérieur de l’hôpital, mais aussi à l’extérieur ».
À Aurillac, les urgences fonctionnent en mode dégradé jusqu'à la fin de l'été (2023)
Le programme est apprécié. Tout ne servira pas à tout le monde : si les urgences d’Aurillac disposent d’une spécialité de secours en montagne, ce n’est pas le cas à Moulins ou Vichy. Pour certains internes, cela aura été un moment de détente. Mais la question de la gestion du stress en intervention n’avait jamais été abordée dans leur long cursus.
C’est complètement tabou, indique Léa, une des étudiantes. On n’en parle pas du tout. On est dans le registre du “On est tous passé par là à un moment”.
Derrière cette formation, les urgences aurillacoises ont une autre idée. « Le but, c’est de les attirer, enchaîne rapidement Agathe Pancher, qui gère le Centre d’enseignement des soins d’urgence (Cesu), à Aurillac. La chasse à l’étudiant est dure ! » Aux urgences d’Aurillac, 25 postes de médecins sont financés et pourraient être comblés si les candidats étaient là.
Mais le chiffre fait doucement rêver ceux qui sont en place : il n’a jamais été concret. Sept postes ne sont pas pourvus aujourd’hui, sans compter les absences des uns et des autres. Les urgences fonctionnent plutôt avec quinze praticiens, voire moins. Un gouffre qui provoque des moments de tension dans les plannings toute l’année : le service tourne grâce à un équilibre précaire fait d’heures supplémentaires, de dépassement de fonction, d’intérim. Un équilibre qui ne tolère aucun grain de sable. Fragile.
« Pas uniquement cloîtré au fond d’un hôpital »Il est 13 heures et Agathe Pancher retire muguet en pot et gentianes de la grande table de la Vacherie du Griou. Les étudiants arrivent à vélo et, avec Mathieu Deloy, elle bénit la météo. Il fait beau. Sous le dôme de phonolite, c’est toute la vallée de la Cère qui s’ouvre sur Saint-Jacques-des-Blats en bas, Les Gardes et l’Arpon du Diable en face.
C’est cette image que le centre hospitalier veut montrer aux étudiants. « Cette formation met en lumière les atouts du département : ses grands espaces, la beauté de ses paysages, la diversité des sports de plein air que l’on peut y pratiquer… tout en valorisant la qualité des équipes d’urgentistes y exerçant, estime Lydie Rivaldi, directrice des affaires médicales. Il s’agit d’une action majeure pour soutenir notre politique de recrutement. »Agathe Pancher
Agathe Pancher ne connaissait pas grand-chose du Cantal quand elle y est arrivée en stage il y a une dizaine d’années. Aujourd’hui, elle y élève sa famille, est tombée amoureuse de la vue, du cadre de vie. Et de la chance de travailler dans un petit hôpital « à taille humaine, doté d’équipes médicales et paramédicales engagées et solidaires », vante Lydie Rivaldi. Longtemps, l’hôpital a beaucoup insisté sur la présence d’un hélicoptère, du bloc, de l’imagerie médicale.
Séduits, mais...Mais les arguments se tournent aujourd’hui, également, vers l’épanouissement au travail et le cadre de vie en dehors des gardes. « Si on arrive à leur montrer que le travail d’urgentiste ce n’est pas uniquement être cloîtré au fond d’un hôpital, on aura gagné, enchaîne Agathe Pancher. Le CHU a un côté intéressant dans les perspectives offertes, mais c’est très hiérarchisé. Ici, on a de la liberté tout en gardant le soutien du CHU. »
Tous les internes recrutés ces dernières années et qui ont permis de compenser plusieurs départs aux urgences sont passés en stage par Aurillac pendant leurs études. Et les stagiaires d’aujourd’hui confirment : entre la cité géraldienne et le CHU de Clermont, ils préfèrent la première. « On touche à plus de choses, on voit potentiellement des cas plus graves », explique Fanny. « On est un médecin pour quatre patients à Aurillac, contre un pour douze à Clermont-Ferrand », enchaîne Maëlig, tandis que Pierre loue la souplesse des discussions entre les différents services à Henri-Mondor, ce qui permet de trouver plus facilement un lit à un patient arrivé aux urgences et qui doit être hospitalisé.
« Le frein principal est l’inconnue »On se prendrait à rêver, en entendant cette joyeuse classe de futurs praticiens, que le Cantal fera recette à la fin de leur internat, que, sur les 34, plusieurs feront le choix d’aller vivre à Aurillac. Ce n’est pas le cas. Un seul l’envisage et garde le conditionnel. « L’avantage, c’est que c’est le Cantal, mais le problème, c’est aussi que c’est le Cantal, souffle Fanny. Il n’y a rien d’autre. Je viens de Marseille, je n’ai pas de famille ici et il faut 1 h 45 pour arriver à la première autoroute. C’est isolé, c’est sa force et sa faiblesse. »
Beaucoup soulèvent aussi la question du conjoint. Les couples de médecins sont nombreux à Henri-Mondor. Le compagnon de Maëlig est un futur urologue et il n’envisage pas d’entamer sa carrière à Aurillac. Même chose pour Pierre : « Il faudrait envisager une mobilité commune ».Enfin, « je me vois quand même continuer à vivre trois, quatre ans dans une grande ville, conclut Maëlig. Là, tout de suite, on s’y sent bien. Ensuite, on verra au moment de s’installer, de fonder une famille. »
Ces arguments, Lydie Rivaldi les entend régulièrement : c’est elle qui fait passer les entretiens d’embauche. « Le frein principal est l’inconnue, via la méconnaissance de notre territoire, considère-t-elle. Les étudiants en médecine réalisent la majeure partie de leur cursus jusqu’à la sixième année d’étude dans des villes universitaires sièges des facultés. »
Faire venir des étudiants en stage est une première étape. Leur proposer une formation d’une journée au cœur des monts du Cantal, c’est enfoncer le clou, à un moment charnière de leur jeune carrière.
« Il y a de plus en plus d’internes qui se posent la question de s’installer ailleurs qu’au CHU qui les aura formés. Faire une formation dans ce cadre, sous le puy Griou, c’est leur montrer que les enseignants d’aujourd’hui pourront être les collègues de demain. »
Aujourd’hui, avec l’Association de médecin d’urgence du Cantal (AMU15) et Mary, petite peluche salers qu’il photographie pour les réseaux sociaux au gré des interventions en hélicoptère, il est l’un des ambassadeurs des urgences aurillacoises en Auvergne. Un travail discret qui vient s’ajouter aux longues gardes du Samu et au travail à accomplir pour que les urgences tournent. Mais un travail indispensable pour maintenir le niveau des soins d’urgence dans le Cantal.
Pierre Chambaud
