Céline Masquelier a travaillé pendant 18 mois pour un laboratoire spécialisé dans les produits homéopathiques. Diplômée de neurosciences, passée par plusieurs entreprises pharmaceutiques où elle dirigeait des essais cliniques, cette trentenaire n’a jamais vraiment cru aux vertus des petits granules blancs. Ce poste lui a en revanche permis d’observer de près les arrière-cuisines peu ragoûtantes de l’homéopathie. Elle tient aujourd’hui à dénoncer la légèreté de son encadrement réglementaire, et s’indigne que ces produits continuent à bénéficier de l’appellation "médicament" alors qu’ils "n’en présentent aucune des caractéristiques". Entretien.
L’Express : Vous êtes spécialiste de la gestion des essais cliniques. Pourquoi une scientifique comme vous a-t-elle accepté un poste au sein d’un fabricant de produits homéopathiques ?
Céline Masquelier : Mon embauche était liée à la stratégie de diversification de cet industriel, qui souhaitait développer une nouvelle ligne de médicaments sans rapport avec l’homéopathie. Je devais mettre en place des essais pour ces traitements, mais cela n’a finalement pas été possible. A cette occasion, j’ai découvert à quel point il était facile pour les fabricants de produits homéopathiques d’obtenir des autorisations de mise sur le marché. Leurs granules sont présentés comme sûrs et efficaces, alors qu’ils n’en ont jamais fait la moindre démonstration. Récemment, l’appellation "steak végétal" a été remise en question pour les préparations culinaires ne comportant pas de protéines animales, afin de ne pas tromper le consommateur. En santé publique en revanche, cela ne dérange visiblement personne que l’on continue de parler de "médicaments homéopathiques" alors que ces produits ne sont en rien des "médicaments".
Les règles d’autorisation de mise sur le marché pour l’homéopathie sont-elles très différentes des procédures habituelles ?
Elles n’ont rien à voir ! Lors du développement d’un médicament, celui-ci est testé sur des cellules et/ou des animaux en fonction de ses propriétés. S’il satisfait aux exigences réglementaires, il est autorisé à la recherche clinique, c’est-à-dire à des essais sur des sujets humains. Cette recherche se découpe en trois phases où la molécule évaluée doit à chaque fois faire ses preuves sous peine de ne pas passer à l’étape suivante. La phase I permet de déterminer si le produit est sans danger pour l’homme. La phase II vise à confirmer sa tolérance et son activité clinique. La phase III vient apporter la preuve de l’efficacité du produit, en le comparant à un placebo ou à un traitement standard. C’est seulement si ce dernier résultat est positif que le médicament peut obtenir une autorisation de mise sur le marché.
Pour commercialiser des produits homéopathiques, les fabricants doivent juste présenter un dossier dans lequel ils montrent qu’il en existe un "usage traditionnel". Le plus souvent, il s’agit simplement de faire référence aux écrits de l’inventeur de l’homéopathie, Samuel Hahnemann, qui vécut de 1755 à 1843. L’autorisation de mise sur le marché des produits homéopathiques n’est donc malheureusement en aucune façon liée à la démonstration de leur efficacité et n’a rien de scientifique.
Les laboratoires ne réalisent donc pas d’essais cliniques ?
C’est pire que cela. L’homéopathie étant en perte de vitesse, leurs fabricants font des essais cliniques, dans l’espoir d’apporter la preuve que leurs produits fonctionnent. Il y a aussi des organismes de recherche publics, en France ou à l’étranger, qui continuent les études sur l’homéopathie. Mais les résultats de tous ces protocoles sont systématiquement négatifs. Les produits homéopathiques restent donc sur le marché avec l’appellation "médicament" alors qu’ils n’ont pas apporté la preuve scientifique de leur efficacité !
Quand je vois combien de thérapies prometteuses peinent à trouver des financements pour les essais cliniques alors qu’il y a un réel intérêt pour les patients, je trouve dommage ce deux poids deux mesures. De plus, en France, une partie de ces recherches sont faites avec nos impôts, grâce au crédit impôt recherche. Il est temps d’arrêter l’hémorragie financière, et aussi de cesser tout abus des patients qui sont intégrés dans ces essais destinés à tenter de prouver l’improuvable.
Quelles devraient en être les conséquences, selon vous ?
Le minimum serait d’arrêter de parler de médicament. En 2019, le déremboursement est intervenu car l’Etat s’est rendu compte qu’il consacrait un budget conséquent à la prise en charge d’une solution inefficace. En 2024, il faut aller plus loin. Si les laboratoires homéopathiques veulent une appellation de "médicament homéopathique", ils devraient, comme pour tous les médicaments, mener des études de phase I, II et III et obtenir des résultats positifs leur permettant d’accéder au marché avec cette appellation. Mais une telle perspective est bien sûr totalement irréaliste. Dès lors, il vaudrait mieux conserver les procédures actuelles, avec des dossiers d’enregistrement spécifiques, mais il conviendrait alors de parler de "produits homéopathiques" et non de médicaments. Le but serait bien sûr de ne pas méprendre les patients.
Aujourd’hui, l’obtention d’une AMM, la vente en officine et l’appellation de médicament ne peuvent qu’être trompeuses, en laissant croire que les preuves d’efficacité sont là. Je me demande d’ailleurs si les pharmaciens, qui continuent à vendre ces produits, ont conscience que leur efficacité n’a jamais été démontrée. Quand bien même nous serions dans la croyance et dans un effet placebo, cela ne justifie pas la vente en pharmacie. Aux Etats-Unis d’ailleurs, les industriels sont obligés de mentionner que ces produits n'ont pas prouvé leur efficacité, sous peine d’être sanctionnés par la répression des fraudes. A quand cette règle en Europe ?
On imagine aisément que ces entreprises connaissent de grandes difficultés depuis le déremboursement de l’homéopathie…
Si vous regardez les campagnes de pub de ces laboratoires, ils essaient de surfer sur la vague du naturel et de promouvoir les plantes avec lesquelles ils travaillent pour constituer leurs produits. Là encore, cela berne le patient. Il faut savoir que les souches peuvent être également d’origine animale, chimique, minérale ou même humaine. Par exemple des poumons de cobaye, du foie de canard, ou encore de l’arsenic. Mais le pire de tout, c’est medorrhinum, préparé à partir de sécrétions purulentes de blennorragie (une infection sexuellement transmissible) et qui est indiqué pour les irritations fessières, les otites et l’asthme du nourrisson. Heureusement les hautes dilutions font qu’il n’en reste rien (ou presque rien comme ils le laissent entendre).
Côté salarié, faut-il croire en l’homéopathie pour travailler dans ce type d’entreprise ?
Heureusement que non, sinon personne n’y travaillerait ! Il y a des croyants bien sûr, et puis il y a ceux qui y restent comme je l’ai fait pour l’opportunité. Il y a aussi un effet générationnel : les plus jeunes sont plus informés et moins "croyants" dans les vertus de l’homéopathie justement, ils veulent des preuves. D’ailleurs, depuis mon départ, j’ai eu vent d’une succession de démissions, particulièrement des profils scientifiques, et en parallèle de grosses difficultés de recrutement sur ces profils.