La situation sécuritaire en Haïti ne peut pas attendre", avait annoncé, vendredi 24 mai, un porte-parole de l’exécutif américain, à la suite de l’annonce de l’homicide, à Haïti de trois personnes, dont deux missionnaires américains, dans une attaque de bandes armées. Dans la foulée, le président kenyan Willian Ruto, dont le pays s’apprête à diriger une force multinationale qui doit rétablir le calme sur l’île étranglée par les gangs, a annoncé dans un entretien à la BBC que ses troupes arriveraient "dans environ trois semaines". Le Kenya et les autres pays qui se déploieront en Haïti auront pour objectif de "sécuriser ce pays et de briser les gangs et les criminels qui ont infligé des souffrances indicibles à ce pays", a déclaré William Ruto.
Le président du Kenya a affirmé que des hauts gradés étaient déjà arrivés en Haïti en mission de reconnaissance. Il a également annoncé que la construction conjointe avec les Etats-Unis d’une base destinée à accueillir les soldats de la force et leurs équipements, avait été finalisée "à 70 %". La mission, soutenue par l'ONU, compte sur le soutien logistique très important des Etats-Unis - qui ne fournissent toutefois pas d’hommes.
Les spéculations étaient allées bon train sur le déploiement d’un premier contingent cette semaine, pour coïncider avec la visite d’Etat jeudi du président kényan, William Ruto, à Washington. Finalement, aucune annonce n’a été faite au cours de ce déplacement, probablement car le matériel nécessaire n’avait pas encore été livré, a précisé une source gouvernementale haïtienne à l’AFP, sous couvert de l’anonymat.
La force internationale doit épauler la police haïtienne dans la lutte contre les gangs qui terrorisent la population et contrôlent en grande partie la capitale, Port-au-Prince. En effet, depuis février, Haïti est en proie à un déchaînement de violences, alors que différents gangs concurrents ont décidé de se rassembler, parvenant à faire démissionner le Premier ministre, Ariel Henry. Selon les Nations unies, plus de 2 500 personnes ont été tuées ou blessées au cours des trois premiers mois de l’année 2024.
Un conseil présidentiel de transition a été nommé, mais il n’a toujours pas désigné de Premier ministre ni de gouvernement intérimaire en raison de luttes de pouvoir intestines. Selon les médias locaux, des dizaines de candidatures ont circulé pour le poste de Premier ministre et la liste a été récemment passée au tamis.
L’ambassade des Etats-Unis en Haïti s’est félicitée vendredi sur X que le conseil présidentiel "ait entamé le processus de sélection d’un Premier ministre". "Nous attendons avec impatience un processus transparent qui permettra à Haïti d’avoir un Premier ministre et un gouvernement de transition, sélectionnés sur la base du mérite technique et de l’impartialité", a-t-elle dit.
La mission de la force internationale est périlleuse, des inconnues demeurant sur la manière dont vont réagir les gangs. Ces derniers jours, la fréquence des attaques a diminué, ce qui pourrait signifier qu’ils se préservent en vue d’une attaque "assez impressionnante contre la force multinationale", estime Diego Da Rin, expert d’Haïti pour le centre de recherche International Crisis Group qui s’est entretenu avec l’AFP.
Ils peuvent aussi être simplement à court de munitions, ou alors suivre une "stratégie un peu double" selon laquelle ils continuent les attaques, mais ne dépassent pas "certaines lignes rouges, par exemple l’occupation du palais présidentiel, pour laisser la possibilité de négocier avec les autorités haïtiennes", a-t-il affirmé.
"Il semblerait que les gangs soient dans l’attente de voir à quoi va ressembler cette mission. D’une part, on voit qu’il y a une certaine retenue dans les attaques, mais il y a quand même des assauts assez spectaculaires", comme celui qui a récemment visé une prison, a encore dit à l’AFP M. Da Rin, interrogé avant la mort des trois missionnaires. Et lors de ces attaques, des membres de gangs filment des vidéos dans lesquelles ils lancent des avertissements aux "forces étrangères en montrant ce qu’ils sont capables de faire", a-t-il poursuivi.
Joe Biden a déclaré, lors d’une conférence de presse conjointe à la Maison Blanche avec le président du Kenya, que les Etats-Unis contribueraient financièrement, logistiquement et enverraient de l’équipement en Haïti pour soutenir la force internationale, mais que les troupes américaines n’y interviendraient pas directement, mentionnant les précédents difficiles liées aux interventions passées.
"L’histoire de l’implication américaine en Haïti est difficile et comprend une occupation de plusieurs décennies, de 1915 à 1934, qui a laissé de profonds ressentiments parmi la population de l’île. Les troupes américaines ont de nouveau débarqué en Haïti en 1994, à la suite d’un coup d’Etat militaire, une mission qui a rendu encore plus d’Haïtiens en colère", remarque à ce sujet le New York Times.
En proie à de nombreuses difficultés, Haïti est tristement habituée aux déploiements de forces étrangères : "Au cours des trente dernières années, les Nations Unies ont lancé au moins six missions de maintien de la paix en Haïti. Les soldats internationaux ont rétabli les présidents renversés, les ont libérés et ont aidé à former la police nationale haïtienne. Mais ils ont également laissé un sombre héritage d’exploitation sexuelle, de victimes civiles et de maladies mortelles", note encore le quotidien.
En 2007, l'ONU avait en effet annoncé avoir renvoyé chez eux une centaine de soldats sri-lankais impliqués dans de l’exploitation sexuelle de mineures. Une décennie plus tard, un nouveau scandale avait éclaboussé les casques bleus, pour leur responsabilité dans la diffusion d’une épidémie de choléra en raison du manque d’hygiène dans un camp de soldats népalais. Au moins 10 000 personnes seraient mortes de la maladie.
Le Kenya a donc la lourde tâche, sous la supervision des Etats-Unis, de mener à bien cette mission internationale. Haïti n’est pas le seul pays en crise où intervient le pays africain : le président William Ruto a mentionné "15 missions différentes dans le monde" dans lesquelles sont pays est impliqué, y compris dans la Somalie voisine et en République démocratique du Congo. William Ruto a indiqué qu’il était également en pourparlers avec les factions en guerre au Soudan.
La Maison Blanche a désigné jeudi le Kenya comme "un allié non-membre de l’Otan", un statut qui élève l’importance de la coopération sécuritaire entre Washington et Nairobi, et permettra à cette dernière de bénéficier des technologies militaires américaines. L’alliance vise également à renforcer les liens diplomatiques entre les deux pays, alors que la Russie et la Chine étendent leur influence sur le continent africain.