Mohamed Amra, le détenu échappé lors de l'attaque sanglante d'un fourgon pénitentiaire au péage d'Incarville (Eure) le 14 mai, est devenu l'homme le plus recherché de France. Alors que 350 enquêteurs et Interpol sont sur ses traces, Le Parisien révèle que celui qui se fait appeler "La Mouche", gérait depuis sa cellule de la prison de La Santé ses activités illicites grâce à des téléphones portables régulièrement livrés par des complices.
Dans un rapport d'enquête sénatoriale sur le narcotrafic, rendu public le jour même de l'évasion de Mohamed Amra, cette question de la présence de téléphones portables en milieu carcéral a été soulevée.
"Présence massive de téléphones portables"Les auteurs du rapport regrettent notamment que "notre système d’incarcération ne prévoie pas un traitement spécifique pour les narcotrafiquants de haut vol afin de les empêcher de continuer à gérer leur trafic en prison ; ils profitent aujourd’hui de la présence massive de téléphones portables" en cellule et des "imperfections des dispositifs de brouillage" de ces téléphones.
Sur ce sujet, la commission d'enquête a déploré "l’insuffisance des informations qui lui ont été transmises, laissant sans réponse plusieurs questions : arrive-t-il que l’administration pénitentiaire tolère la présence de téléphones portables pour ménager ses relations avec les riverains, pour pouvoir écouter les conversations de détenus restés en lien avec leurs complices, voire pour acheter la paix civile ?"
Comment expliquer que le brouillage ne paraisse pas complètement opérationnel dans des établissements pourtant équipés de matériels fixes ? Il est urgent que la lumière soit faite sur ces sujets et que l’incarcération redevienne capable de mettre les narcotrafiquants hors d’état de nuire.
Une véritable émotion dans l'opinion publique"Il est possible, même si l'on est en détention, de continuer à piloter un réseau de trafic, de commanditer un homicide ou de faire circuler des stupéfiants ou des téléphones dans les établissements pénitentiaires, s'est ému Etienne Blanc, le sénateur du Rhône et rapporteur de la commission d'enquête. Cette situation suscite une véritable émotion, chacun le comprendra, parmi les magistrats, les forces de l'ordre et parmi l'opinion publique."
"Les drones livrent presque à la fenêtre"Interrogée dans le cadre de la commission d'enquête, la procureure adjointe de Marseille, Isabelle Fort, estime que "les nouvelles technologies" posent un réel problème : "Les drones livrent presque à la fenêtre des détenus stupéfiants, téléphones et autres objets inquiétants."
Une situation également décrite par le procureur de Marseille, Nicolas Bessone, qui regrette les complicités dont peuvent bénéficier les détenus : "La bataille contre la corruption de basse intensité est perdue avec l'administration pénitentiaire. Drogues et téléphones mobiles entrent très facilement en prison."
Parmi ses nombreuses recommandations, la commission d'enquête propose ainsi d’adapter les modalités de détention des narcotrafiquants, "ce qui suppose d’assurer l’interdiction effective des téléphones portables via un brouillage généralisé de tels appareils " et la mise en place de dispositifs anti-drones.
Des sites en cours d'équipementInterrogé par la commission d'enquête, le Garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti a donné quelques précisions sur les moyens de lutte engagés par l'administration pénitentiaire : "Le brouillage a commencé en 2017. Quelque 19 établissements sont équipés. Cela représente un budget de 15 millions d'euros par an. En 2024, 33 dispositifs supplémentaires ont été commandés. Quelque 45 sites sont dotés d'outils anti-drones. Fin 2024, 60 sites seront équipés, pour un budget de 3 à 4 millions d'euros."
Tanguy Ollivier