Sur Internet ou dans certains guides touristiques, on peut parfois lire que la majestueuse statue de Notre-Dame des Miséricordes, au-dessus de Saint-Pierre-Eynac, fut posée en 1864. Pourtant, une plaque apposée à ses côtés mentionne la date de 1896. Qu’en est-il réellement ? Historien local, Richard Crespy, nous explique.
On ne peut pas la rater si on emprunte la route départementale 15 qui mène à Saint-Julien-Chapteuil. Sur un versant abrupt, elle domine la commune de Saint-Pierre-Eynac. Sa couleur blanche au milieu d’un environnement verdoyant attire tout de suite le regard. Et si on se rend sur place, l’effet est encore plus saisissant.
Une installation rocambolesque en 1864Elle, c’est Notre-Dame des Miséricordes. Une resplendissante statue de la Vierge qui, peut-on lire sur Internet, « fut posée en 1864 sur le rocher dominant le village au nord, prenant la suite de statues construites auparavant en bois. Un pèlerinage annuel y existe encore. La légende raconte que lors de l’érection de la statue, le prêtre de la paroisse voulait être présent. La personne chargée de faire monter la statue sur le surplomb au-dessus du village dirigea ses bœufs pour la montée, mais ceux-ci refusèrent d’avancer. On demanda au prêtre de s’en aller le temps de la montée. En effet, les bœufs n’étaient pas coopératifs car leur maître ne leur parlait comme il le faisait habituellement, ce dernier n’osant jurer devant le prêtre, chose qu’il put faire une fois ce dernier éloigné. La statue put ainsi être érigée ».
Des propos qui trouvent leur source dans l’ouvrage Saint-Pierre-Eynac, un peu de son histoire, de MM. Nicolas et Souchère, paru en 1979 et consultables aux Archives départementales. On y apprend également qu’en avril 1864, un nouveau prêtre avait été nommé sur la paroisse : l’abbé Barthélémy. Dès son intronisation, il avait proposé d’installer un monument dédié à la Vierge Marie sur le rocher de Montplot qui surplombe le village. C’est le vicaire Pierre Colly qui allait s’occuper du projet…
Des milliers de fidèles réunis en 1864Et le dimanche 2 octobre 1864, la cérémonie d’inauguration avait lieu en présence de Mgr Menard, vicaire général du diocèse qui représentait Mgr Lebreton, évêque du Puy. Dans la liturgie catholique, c’est alors le mois du Rosaire, consacré à la Vierge Marie. La messe du matin avait eu lieu en plein air sur le communal, animée par l’Orphéon d’Yssingeaux. L’après-midi, une foule très importante avait assisté à la procession - entre 8 et 10.000 fidèles. Outre les locaux, des habitants de Saint-Étienne-Lardeyrol, de Saint-Julien-Chapteuil, de Blavozy et de Saint-Germain-Laprade étaient présents pour l’évènement. La journée s’était terminée par une illumination en soirée du rocher accompagné d’un feu d’artifice.histoire de la Vierge - histoire de la Vierge
Mais la statue que l’on peut admirer encore aujourd’hui date-t-elle vraiment de 1864?? La question se pose, d’autant plus qu’une plaque est apposée sur le côté la statue, avec des inscriptions en latin. On peut y lire difficilement : « Saint-Pierre-Eynac, Gimbert, Vincent, Colly » et surtout, une année en chiffres romains : « 1896 ». La réponse se trouve dans La Semaine Religieuse du 9 octobre 1896, petit livret hebdomadaire du diocèse qui paraît à partir de 1880 : on y annonce l’inauguration d’une nouvelle statue de la Vierge à Saint-Pierre-Eynac. La paroisse est alors dirigée par Antoine Gimbert. À ses côtés, on trouvait un vicaire : l’abbé Vincent, nommé en 1894 et qui resta à ce poste 7 ans.
Dans son édition du 23 octobre 1896, La Semaine Religieuse publie le compte rendu de la cérémonie qui eut lieu le dimanche 11 octobre. On comprend alors le pourquoi de la nouvelle inauguration avec, notamment, des éléments historiques sur l’ancienne statue de 1864 : faite en ciment par un sculpteur du Puy, M. Vidal, elle s’était rapidement dégradée malgré plusieurs réparations rendues possibles par des dons des fidèles.
Faite en ciment, la statue de 1864 s’est vite dégradéeUne nouvelle statue fut donc commandée et c’est l’abbé Vincent qui se chargea du projet en organisant d’abord une souscription publique, puis en préparant la cérémonie d’inauguration. Il s’adressa à un marbrier très connu du Puy, la maison Sacreste établie rue Pannessac, afin d’avoir une statue en fonte de fer bronzé, beaucoup plus résistante. Le nom de Sacreste apparaît d’ailleurs encore aujourd’hui à l’arrière de la statue. Cet établissement est à l’origine, après la Première Guerre mondiale, de nombreuses plaques commémoratives dans les églises du département.
La statue a une certaine envergure mais pour limiter les frais, on conserva le soubassement précédent qui reproduit l’aspect d’une petite chapelle. Sur une ancienne carte postale, l’inscription « Ave Maria » figurait dans la niche oratoire. La veille de la cérémonie, des pluies abondantes n’ont pas permis de décorer le village comme on le souhaitait. Toutefois, grâce à l’action des sœurs de Sainte-Croix, de nombreuses décorations furent installées avec des guirlandes, des oriflammes et un arc de triomphe en genêts et sapin.
La messe du matin prévue sur le communal se déroula finalement dans l’église du village. Elle fut présidée par l’abbé Portal, missionnaire diocésain. L’ensemble du conseil municipal était présent. L’après-midi, une nouvelle célébration eut lieu en plein air avec une assistance importante et la présence de nombreux ecclésiastiques venant de Saint-Julien-Chapteuil ainsi que du Puy-en-Velay. La procession fut présidée par l’abbé Colly, curé de Retournac et frère de celui qui avait mené le premier projet. Le soir, une retraite aux flambeaux, l’illumination du rocher et un feu d’artifice clôturèrent cette journée de festivités.
Une Vierge qui fait des miraclesAinsi, la statue installée le 11 octobre 1896 a remplacé celle de 1864. On aurait tendance à croire que l’histoire s’arrête là. Mais non. On trouve mention dans le guide touristique du Petit Futé, que « la statue installée en 1864 en remplaça une autre, plus ancienne, en bois et de couleur noire. Notre-Dame des Miséricordes aurait la particularité de faire des miracles, selon la population locale. Auparavant, les enfants qui avaient des difficultés pour marcher y étaient conduits par leurs mères dans le but d’être guéris ».
Quant à la légende liée à la statue, il faudrait sans doute consulter la mémoire orale locale pour confirmer la croyance sur les miracles accolés à Notre-Dame des Miséricordes. L’histoire n’est donc pas finie…
1896 : une inauguration à replacer dans le contexte de l’époque
Pour comprendre l’installation de la statue de 1896, il faut d’abord rappeler la période dans laquelle cet évènement a eu lieu. En effet, le XIXe siècle est marqué par un essor sans précédent du culte marial. Les apparitions de la Salette en 1846, celle de Lourdes en 1858 ou celle de Pontmain en 1872 marquent l’histoire religieuse de la France de cette époque même si ce phénomène n’est pas propre à notre pays. La proclamation en 1854 du dogme de l’Immaculée Conception par le pape Pie IX, après des siècles de débats théologiques, est également un marqueur important. La construction de la statue Notre-Dame-de-France au Puy-en-Velay et son inauguration le 12 septembre 1860 en présence de dizaines de milliers de fidèles témoignent de cette piété mariale qui ne s’est pas démentie depuis.
L’installation de la statue de Saint-Pierre-Eynac en 1896 doit donc être replacée dans ce contexte. Cet évènement n’est d’ailleurs pas isolé dans un département où la Vierge Marie occupe une place particulière depuis longtemps.
Point de vue. L’ascension sur le promontoire n’est pas très difficile. La vue y est magnifique sur Saint-Julien-Chapteuil, sur les rochers d’Eynac et sur le plateau du Velay. Un aménagement original permet de mieux découvrir le paysage environnant avec le nom des montagnes ou des lieux habités. La statue est installée sur un piédestal avec un petit oratoire, est monumentale. Elle représente une Vierge couronnée, accueillante qui écrase le Mal représenté sous la forme d’un serpent. C’est une statue de l’Immaculée Conception comme on peut en trouver beaucoup.
