Daniel Bruquel est expert et chef du service prévention du commerce illicite chez Philip Morris France, groupe s'est constituée partie civile dans le procès qui a débuté ce jeudi 2 mai.
Quel est votre rôle ?
"C’est travailler à la réduction des trafics en France, notamment la contrefaçon de cigarettes, de cerner les phénomènes, de les comprendre, de les quantifier, et d’apporter un support technique aux enquêteurs, sur l’identification des produits. Et être partie civile sur les procès, comme celui de Cusset."
Ce procès concerne une grosse saisie, avec 68.000 cartouches ?
"Le volume n’est effectivement pas anodin. Cela représente 18 tonnes de tabacs de contrefaçon selon le calcul des douanes. Douanes qui en ont saisi 521 tonnes en 2023, et 640 tonnes en 2022. Quand les douanes parlent de 521 tonnes, ce sont à la fois les cigarettes, les cigarettes de contrefaçon, le tabac à narguilé…"
Au-delà de cette saisie intéressante, c’est surtout le démantèlement d’un réseau de grossistes qui alimentaient la région Auvergne Rhône-Alpes.
Un réseau qui sera peut-être remplacé par un autre ?
"C’est une sorte de jeu du chat et de la souris. Aujourd’hui, le prix des cigarettes est très élevé en France, un paquet, c’est entre 12 et 12,50 euros. Avec une forte proportion de taxes qui augmentent régulièrement tous les ans, et la perspective de dissuader les fumeurs de continuer, ce qui ne fonctionne pas au final.
Aujourd’hui, on est toujours à environ 25 % de consommateurs de tabac, ce qui fait que la France est toujours en tête de la consommation de cigarettes. Malgré les augmentations répétées, en 5 ans le prix du paquet de cigarettes a pris un peu plus de 60 % d’augmentation, on a toujours autant de fumeurs."
Et pourquoi a-t-on toujours autant de fumeurs ?
Parce qu’il y a ces réseaux de contrefaçon de cigarettes qui proposent des produits entre 3 et 5 euros, ce qui offre une solution de contournement qui est à portée de main.
"Ces produits sont distribués dans les points de deal que vous avez dans les rues de Lyon, Saint-Étienne, Grenoble, Clermont-Ferrand, dans les épiceries de nuit, et sur les réseaux sociaux."
La saisie sur Vichy faisait partie du réseau qui alimente Lyon et Saint-Étienne ?
"L’audience éclaircira certains points, mais il est à peu près clair que les protagonistes sont basés sur Lyon et ils ont pris Vichy et la zone industrielle où ils ont été appréhendés comme base arrière, car en 2022, il y a eu un certain nombre d’opérations des douanes qui ont démantelé un grand nombre de réseaux et de gros stocks sur Lyon, d’où cette prise de recul pour s’éloigner des zones un peu chaudes en termes de contrôle."
Il se consomme combien de tabac en France chaque année ?
"50 milliards d’unités de cigarettes sont fumées chaque année. Dont 40 % qui ne sortent pas de chez un buraliste français. Et la moitié de ces 40 % qui sont de la contrefaçon."
Qu’est-ce qu'une cigarette de contrefaçon ?
"C’est une fausse cigarette. C’est une cigarette avec du tabac, mais fabriquée en dehors de tout contrôle sanitaire. Une cigarette légale, c’est nocif pour la santé, c’est clair pour tout le monde, mais, elle respecte un certain nombre de normes en ce qu’elle délivre en termes de nicotine, goudrons, monoxyde de carbone…
Pour la contrefaçon, aucune de ces normes et pas d’hygiène non plus dans les usines clandestines."
Dans les fabriques clandestines, les machines sont remplies à la pelle avec du tabac stocké à même le sol. Ça ramasse poussière, ciment, excréments de rongeurs comme le montrent les analyses faites par les douanes.
"Les contrefaçons ont pour objectif de tromper le consommateur. Les paquets ressemblent à ceux des duty-free pour rassurer le fumeur. Car 3 à 5 euros, ça correspond au prix duty free sur l’ensemble de la planète. On a eu 400 millions de paquets contrefaits qui ont été consommés en 2022."
Est-ce que vous avez une solution à proposer contre ce fléau ?
"L’objectif de santé publique et de Philip Morris, c’est d’arrêter la consommation de cigarettes. Ça peut paraître bizarre, mais c’est notre stratégie depuis plus de 10 ans : transférer le consommateur de cigarettes vers d’autres produits alternatifs comme la e-cigarette ou le tabac à chauffer."
La problématique avec ces trafics et les contrefaçons, c’est que les fumeurs ne se posent pas la question d’arrêter.
"Et les chiffres le montrent, on a toujours autant de fumeurs en France. On a un problème qui va bien au-delà de la protection d’une marque, c’est un problème de santé publique liée à ces trafics. Il y a bien sûr une perte fiscale pour l’État estimée à 3 milliards d’euros."
"La France, c’est 62 % des cigarettes de la contrefaçon consommées en Europe. Les 400 millions de paquets contrefaits fumés en 2022 ont généré 2 milliards d’euros pour ces structures criminelles. Il faut un système curatif en multipliant les enquêtes judiciaires pour démanteler les réseaux, il faut des sanctions pénales qui soient fortes et un côté préventif, en expliquant aux consommateurs que ce qu’ils achètent à la Guillotière à Lyon ou au marché aux puces à Clermont-Ferrand, ce sont des paquets de contrefaçons qui sont impropres à la consommation. Et il faut proposer d’un autre côté des solutions pour qu’ils puissent sortir de la cigarette."
Être partie civile dans ce genre de procès, c’est important ?
"Oui, c’est une affaire emblématique. Ça se passe à Vichy, ce qui montre que ce n’est pas seulement un phénomène urbain. Nous réclamons une indemnité de 450.000 euros qui est basée sur les 68.000 cartouches. Mais le plus important, c’est que le réseau soit mis hors d’état de nuire."
Propos recueillis par Denis Lorut