« Sous son influence, le concept décrié de “djihad d’atmosphère” imprègne les débats. Expert de l’islam depuis les années 1980, Gilles Kepel fraye aujourd’hui avec les médias d’extrême droite et se dit chassé par les “wokistes” de l’université. Qu’est-il arrivé au brillant politologue ? » Ainsi est sous-titré un long article sur Gilles Kepel paru dans le Télérama n° 3873. En quelques mots, sournoisement, tout est dit. Les sous-entendus sont clairs : Gilles Kepel a été un brillant politologue mais maintenant c’est un suppôt de l’extrême droite un peu parano. Son tort ? Avoir travaillé pendant des décennies sur la religion coranique et être parvenu à la conclusion qu’un islam politique et radical, prosélyte, rigoureux et organisé, taraude notre société et met tout en œuvre pour voir advenir en France et en Europe un islam rigoriste via la charia.
L’article cite des chercheurs, d’anciens élèves, des collègues de Kepel dont nous ne saurons pas le nom. En effet, ces derniers, « craignant pour leur carrière, ont requis l’anonymat ». Inversion de la réalité : c’est la carrière de l’islamologue qui a été brisée. Ce dernier a d’abord vu sa chaire fermée par Richard Descoings à Sciences Po puis a été interdit d’enseignement à l’ENS fin 2022 sous des prétextes fallacieux dont celui d’un manque de financements pour sa chaire Moyen-Orient Méditerranée. Depuis, se désole le magazine télévisuel, « on lit davantage Kepel dans les colonnes du JDD sauce Bolloré ou chez les médias d’extrême droite Valeurs actuelles et Causeur ». S’il arrive à Kepel de préfacer des essais, ce sont des essais « prêtant à polémique », comme celui de « Florence Bergeaud-Blackler, une anthropologue prisée par l’extrême droite », laquelle a écrit un livre sur les Frères musulmans « à la méthodologie contestée ». Contestée par qui ? Mystère et boule gomme. On ne saura pas non plus qui se cache derrière « l’avis général » qui considère que Kepel « a déserté de longue date le champ de la recherche ». On ignorera de même qui est le brillant « chercheur » jugeant que le « djihadisme d’atmosphère » est un « concept au doigt mouillé, et surtout le marchepied parfait pour l’extrême droite ». En conclusion, Télérama note que Valeurs actuelles a déjà utilisé cette expression et que, nourris de la même sémantique supposément d’extrême droite, « le JDD évoque un “antisémitisme d’atmosphère” et la sociologue Nathalie Heinich dénonce désormais le wokisme comme un “totalitarisme d’atmosphère” ». Article écœurant de bout en bout.
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On savait Télérama imprégné d’idéologie progressiste, européiste et immigrationniste. On percevait de plus en plus l’influence woke dans nombre de ses articles. Mais on n’imaginait pas y lire un jour un article aussi bâclé et consternant, torché avec des bruits de couloir, regorgeant de ces tics de langage répétitifs, de ces anathèmes contre une « extrême droite » fantasmée qui sont la marque de fabrique de Libération ou de Mediapart. On ne pouvait pas prévoir que les journalistes de ce magazine télévisuel allaient être à ce point déconnectés de la réalité qu’ils ne seraient même plus fichus de réaliser que le « djihadisme d’atmosphère » dont parle Kepel est à nos portes, dans nos rues, dans nos écoles. Quotidiennement, des événements qui relèvent de ce phénomène secouent la France : agressions au couteau contre les kouffars ;irruptions dans les églises au cri d’Allah Akbar ; police des mœurs coraniques dans les écoles et dans de nombreuses villes ; tentatives d’imposition du voile islamique et difficulté de plus en plus grande pour les jeunes filles d’origine arabe de s’habiller « à l’européenne » ; menaces sur les professeurs, les proviseurs, les commerçants, les chercheurs, les maires, via les réseaux sociaux ; nécessité de recourir de plus en plus souvent à une protection policière pour ces gens menacés de mort ; comportements de plus en plus violents de la part d’élèves et de parents musulmans radicalisés dans les écoles ; etc. Télérama ne voit pas le rapport avec l’islamisme – comme Le Monde et Le Nouvel Obs, qui font partie du même groupe de presse. Craignant qu’une trop grande subtilité analytique rebute leur lectorat composé pour l’essentiel de néo-bourgeois soixante-huitards, ces journaux vont au plus simple : ceux qui sont à la droite du centre-droit macroniste sont tous réactionnaires ou d’extrême droite. Ceux qui réfléchissent sur l’entrisme de l’islamisme dans la société française sont tous d’extrême droite. Ceux qui analysent l’influence néfaste du frérisme, du salafisme, du wahhabisme en Europe sont tous d’extrême droite. Enfin, ceux qui se rendent sur les plateaux de CNews ou donnent des interviews au JDD ou à Valeurs actuelles afin d’avertir sur les dangers d’une immigration massive issue essentiellement de pays musulmans sont tous d’extrême droite. Il nous tarde de lire le prochain papier de Télérama sur… Boualem Sansal, par exemple.
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