"Opération Mirror" : 80 ans après son arrière-grand-mère qui a vécu la Libération, Coralie Laye va rencontrer des vétérans américains

Quatre-vingts ans après son arrière-grand-mère Gilberte Laye, 98 ans, Coralie, 19 ans, va rencontrer des vétérans américains de la Seconde Guerre mondiale, en mai. La jeune femme fait partie des 44 ambassadeurs, dont quatre Euréliens, de l’opération Mirror qui doit porter la flamme de la Liberté de Paris aux États-Unis. En attendant le grand voyage, arrière-grand-mère et arrière-petite-fille ravivent la mémoire familiale.

« Hitler, c’est un salaud ! », s’emporte Gilberte Laye. Le juron vient des tripes de cette dame de 98 ans. Mais ce personnage, « mal absolu », provoque toujours en elle un haut-le-cœur qu’il lui faut évacuer ainsi. Les yeux en amande de son arrière-petite-fille se plissent malicieusement. L’une n’a pas seulement hérité des traits du visage de l’autre. À quatre générations d’intervalle, elles ont grandi à Bailleau-le-Pin, ont le même épi de blé chevillé au cœur. Et la même nostalgie de ceux qui furent et ne seront plus.

À la faveur d’un confinement, la plus âgée a raconté à la plus jeune, des fragments de vie sous la guerre. « La Libération, la liesse, les embrassades et le premier chewing-gum », qui arrachent à Gilberte, un sourire. Pas n’importe lequel. Celui du temps qui reprend de jolies couleurs, alors qu’on ne l’attendait plus après tant de saisons en enfer. « Le Débarquement nous a sauvé la vie. Oui, ils étaient beaux ces Américains. Et costauds », rigole-t-elle. 

Son arrière-petite-fille va, à son tour, rencontrer des vétérans, à l’occasion de l’anniversaire de la Libération. Il est question de remercier ces soldats d’ici et d’ailleurs qui ont libéré son pays et rendu le sourire à cette arrière-grand-mère. Coralie Laye, 19 ans, va pouvoir le faire, au mois de mai.

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Elle fait partie des 44 jeunes ambassadeurs, dont quatre Euréliens (*), sélectionnés pour l’opération Mirror, au cours de laquelle la flamme de la Liberté sera acheminée de la France aux États-Unis. « C’est une fierté, un honneur », s’émeut la jeune fille, dont l’éducation a donné du sens à ces mots. « Oh, je suis contente pour elle. À son âge, c’est beau », s’émerveille l’aïeule. Au même âge, Gilberte était mariée à Gilbert. « On a vécu soixante-deux ans, ensemble, une vie entière. »Coralie et Gilberte Laye, plongées devant l'album des photos de famille.

Cette dernière admire les Alliés qui ont précipité la fin des nazis en Eure-et-Loir, évoque avec respect la Voie de la Liberté, par laquelle est arrivée la 3e Armée américaine. Elle s’attendrit de savoir que Coralie va l’emprunter, 80 ans après, au côté de la flamme de la liberté, dans le cadre de cet hommage placé « sous le patronage de la présidence de la République ». 

Mais une jeunesse sous la guerre, ça ne s’oublie pas, ça ne se pardonne pas. Gilberte Laye, fille unique, a 13 ans quand la mobilisation générale a sonné le tocsin et vidé le village de ses hommes et chevaux, réquisitionnés aussi. Les uns et les autres ont manqué pour les travaux à la ferme, située dans le hameau d’Hauville. « On était cultivateurs. Et, on avait huit vaches, je vendais le lait, à la maison », souligne-t-elle. Quand le conflit prend fin, elle a 19 ans, un bébé dans les bras, et quelques disparus – dont l’oncle Arthur jamais revenu du front – à pleurer toute une vie.

Du haut de son siècle, la Beauceronne ne fait pas un récit précis et chronologique de ces années noires. Avec les ans, la mémoire ressemble un peu à ce carton perforé d’un orgue de Barbarie. Quand il commence à lui jouer ces airs anciens, il fait remonter des instantanés de souffrance. Ils disent à bas bruits ce qui a été enduré, la terreur qu’inspirait cet occupant. L’image de ces hommes aux uniformes vert-de-gris, dans les rues, le presbytère de Bailleau-le-Pin, la met toujours mal à l’aise.Dans son Ehpad de Chartres, Gilberte Laye apprécie la visite de celui qu'elle nomme spontanément "Pompon". " A la ferme, quand j'étais jeune, on avait des chevaux..."

Dans un pays marqué par les privations, Gilberte les revoit faire main basse sur la nourriture, tuer des bêtes de leur ferme et faire la fête autour du festin-butin, pendant qu’elle et ses parents, Ida et Paul, étaient tenus dans une pièce à côté, tentant sans doute de ne pas céder à la panique. Le fracas de fin du monde des bombardements est resté gravé. « Ah la, la, la?! Quand ils frappaient la gare et les trains en enfilade… Les anciens avaient construit une tranchée. Quand leurs avions arrivaient, on y filait quand on pouvait. Un jour, un obus a éclaté, il est passé à ça d’une gamine qui jouait dans la rue », souffle-t-elle, d’effroi. Comme nombre d’Euréliens, la famille a tenté l’exode. « On voulait traverser la Loire?! Sans savoir où aller. » Finalement, elle rebroussera chemin. 

Ces existences communes, à l’arrière des fronts, ont résisté à leur façon. « La vie était agréable entre voisins. » Et Gilberte d’évoquer les cuissons de pains, en cachette, distribués à la ronde, la nuit, en passant à travers champs. C’est par ces mêmes champs, que danseurs et musiciens disparaissaient, dans le noir, comme une volée d’oiseaux, après avoir dansé une partie de la nuit dans des bals clandestins qui se tenaient dans les granges amies. 

Parmi les moments heureux, son mariage, en 1942, avec Gilbert et la naissance de sa fille Nicole, en 1943. La famille s’agrandira en 1950, avec l’arrivée de Daniel, le grand-père de Coralie. Il est décédé à l’âge de 58 ans, laissant un trou béant dans la poitrine de la nonagénaire. L’arrière-petite-fille avait 4 ans.Depuis une vilaine chute, Gilberte a dû se résigner à s'installer dans un Ehpad, à Chartres. Les siens restent très présents. C'est pour cette aïeule adorée que Coralie participe à l'opération Mirror.

Quand, pour être au plus près de Gilberte, ses parents ont fait construire sur le terrain de la ferme, à Bailleau, où habitaient aussi les grands-parents et la grand-tante, Coralie a voulu la chambre avec vue sur la maison de sa mémé. « Je suis gâtée », dit cette dernière, de cette famille, qui se soude davantage à chaque nouvelle génération.

Coralie a retourné les albums photos, épluché les documents jaunis, farfouillé dans les greniers pour remonter le roman de cette parentèle, peu encline à s’épancher. À son époque, on pansait les blessures, en les enfouissant dans le silence, le plus profond.

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Si certains descendants d’enfants de la guerre se débattent avec un for intérieur entremêlé des pelotes de nœuds, hérités du passé familial, chez les Laye, la filiation ne s’est pas tissée sur les non-dits. Coralie, étudiante infirmière, s’est glissée naturellement, dans les pas de ses père, grand-père, arrière-grand-père et arrière-arrière-grand-père, en devenant sapeur-pompier volontaire, (et aspire à se professionnaliser). « C’est une mordue. Elle a ça dans le sang ! », vante l’arrière-grand-mère.

C’est par le service départemental d’incendie et de secours que Coralie a découvert l’opération Mirror. Recalée d’abord, elle est sélectionnée, à la suite d’un désistement. « Je suis venue lui annoncer tout de suite », papillonne-t-elle. En la voyant débouler avec un sourire béat, Gilberte est intriguée puis laisse éclater sa joie. « C’est important, pour moi, qu’elle soit encore là pour voir ça », confie la jeune fille.

Depuis quelques jours, sa voisine préférée a quitté sa maison, à la suite d’une chute, pour un Ehpad de Chartres. Un choc pour l’une comme pour l’autre. C’est pourquoi ce rôle d’ambassadrice est « sentimental », dit-elle, en jetant à cette aïeule, un regard plein d’adoration et de la mélancolie de ceux qui savent l’inéluctable. « Tu m’emmèneras avec toi par la pensée », l’encourage Gilberte. 

(*) Leelou Bellanger, 22 ans ; Aurore Denoue, 19 ans ; Vicente Sagaz, 27 ans.