Le hall de l’IUT du Limousin, sur le campus de Tulle, est baigné de soleil. Samedi printanier, douceur presque estivale et pourtant, la concentration est à son comble. Du premier étage parviennent les voix étouffées d’un chœur en pleine répétition. Au rez-de-chaussée, les musiciens peaufinent les trois derniers mouvements d’une œuvre en pleine création.
Entre conseils très techniques et encouragements teintés d’humour, Marie-Catherine Voirpy entraînent ses jeunes musiciens, des lycéens élèves du conservatoire de Limoges, au niveau d’excellence que requiert cette œuvre originale. Le Requiem d’Oradour, une création du compositeur Michel Bosc (voir ci-contre). En juin prochain, elle dirigera la dizaine de musiciens, la quinzaine de chanteurs du chœur d’adultes Madrigal et les 55 collégiens des CHAM (classe à horaires aménagés musique) des collèges Clemenceau à Tulle et Limosin à Limoges.
Au moment de le jouer, on va être dans des paradoxes d’émotions.
Un ensemble de "bonnes énergies"« C’est une belle œuvre, résume-t-elle sobrement. Ça va être très agréable pour les auditeurs comme elle l’est pour les musiciens. Tenir la baguette de ce projet, c’est très excitant. » Ambivalent aussi. « L’anniversaire de juin 1944 est à la genèse du projet. Cela donne une grande responsabilité, parce qu’on n’a pas envie de se tromper par respect pour ce pour quoi on va le donner. Il y a donc de la joie et de l’excitation, un égrégore se met en place. Mais au moment de l’exécution, il y aura quelque chose de grave. Ça va être énorme. On va être dans des paradoxes d’émotion. »Répétition tutti sous la conduite de Marie-Catherine Woirpy.
Assis face aux choristes et aux musiciens, Michel Bosc est aux anges. « Ça commence à exister, tout prend sens, glisse-t-il. On est une famille. Les professionnels comprennent les jeunes, ils créent une complicité, les encouragent ; moi, je suis là pour les porter. Je reconnais mes goûts, mes couleurs ; j’adore les vents, je voulais donner un rôle prépondérant à la harpe. Ils sont comme des amphétamines pour moi. Quand je reviens de là, je vis plusieurs semaines sur de bonnes énergies. »
Il poursuit : « Il y a des moments où il faut exprimer une certaine colère ou de la douleur ; il y a un texte, qu’il faut défendre. À la fin, c’est la consolation et la douceur qui dominent, parce que j’ai composé aussi pour ceux qui vont venir écouter ; qu’on puisse laisser partir le passé. »
Ils sont comme des amphétamines pour moi. Quand je reviens de là, je vis plusieurs semaines sur de bonnes énergies.
Latin et contemporain à la fois« L’idée est géniale », confirme le chef de chœur Jean-Christophe Gauthier. À la tête du chœur Madrigal, associé au conservatoire de Limoges, il vient en renfort des jeunes chanteurs, encadrement « sécurisant et bienveillant » dans la construction d’une œuvre techniquement exigeante, symboliquement puissante. « C’est bien d’être dans un processus de création, avance-t-il et pas simplement dans la réédition d’une œuvre qui existe déjà. Là, on n’a pas d’exemple d’interprétation dans la tête, on découvre ? Pour les gamins, c’est surprenant de voir qu’on construit quelque chose. »Flûte, cor , basson et hautbois mènent l'orchestre du Requiem.
Il poursuit : « Michel Bosc a contemporanéisé un texte en latin pas si désuet que ça. Il y a mis beaucoup de cœur et ça se ressent. On espère que ça va marquer une borne pour l’avenir. Ce quatre-vingtième anniversaire, c’est le genre d’événement qui parle aussi du présent, alors qu’aujourd’hui, le climat est un peu turbulent. »
« Pour être sûre, à la 45, c’est toujours solo ou c’est tutti ? », s’interroge une choriste. « Presque partout, il met piano, il aime bien le côté un peu intimiste. Alors, quand il met forte, allez-y fort ! », mime la cheffe d’orchestre avec emphase.
« Ça prend forme, c’est agréable, apprécie Clémentine Haise, la prof de musique des CHAM corréziens. Les élèves sont encore en phase de décryptage, ils ne chantent pas encore pleinement. Il faudra les booster ! Mais déjà, on entend beaucoup de musicalité et de nuances, ça sonne très bien. On se rend compte de ce que ça va être. »
Le poids de l'histoireUn requiem, une œuvre sacrée, en latin, une prière pour les morts. « Ils sont dans la musicalité, le phrasé, l’intention qu’ils vont mettre plus que dans le texte religieux, très obscur pour eux, poursuit-elle. Ils vivent ça comme un hommage. Quand ils seront devant les familles, ça va être très émouvant. »
A nous, les jeunes, c’est important de nous faire prendre conscience de l’Histoire, de celle qui s’est passée dans la région en plus et de la transmettre.
Face aux hautbois, basson, flûte traversière ou trompettes, Camille tient la harpe. « C’est un projet magnifique, s’enthousiasme la lycéenne. On a eu la chance d’assister à une master class du compositeur, la musique a pris tout son sens. Il est parti des événements du 10 juin 1944, c’est très prenant. Quand on joue, vous voyez, on en a tous des frissons ; on prend une claque ! Le jouer, ça va être beaucoup d’émotions. »La harpe, instrument majeur dans la composition de Michel Bosc.
Elle reprend : « A nous, les jeunes, c’est important de nous faire prendre conscience de l’Histoire, de celle qui s’est passée dans la région en plus et de la transmettre. »
Les dernières notes du Kyrie éclatent dans le soleil qui frappe la verrière de l’IUT. Silence. Marie Catherine Voirpy se tourne vers Michel Bosc, saisi. « Ça va ? », glisse-t-elle. « Très bien », murmure le compositeur. « Il dit toujours “très bien” », sourit la cheffe d’orchestre. Face à elle, les musiciens et les choristes, jeunes ou professionnels, reprennent leur souffle.
Le Requiem d’Oradour sera donné le 2 juin, en l’église nouvelle d’Oradour, par le chœur Madrigal seul et uniquement pour les familles des victimes d’Oradour ; pour le grand public, le 11 juin, à 20 h 30, en la basilique Saint-Michel-des-Lions de Limoges (140 membres du Parlement européen des jeunes devraient y assister), puis le 12 juin, à 20 h 30, dans la salle de l’Auzelou à Tulle. Gratuit.
Blandine Hutin-Mercier
Photos Agnès Gaudin