En fixant au 6 juin 2024 son délibéré, le tribunal correctionnel de Brive (Corrèze) s’est donné le temps de la réflexion dans un dossier compliqué, où deux thèses radicalement différentes s’affrontent.
D’un côté, partie civile et Parquet sont convaincus qu’il y a bien eu manœuvres frauduleuses, conduisant à un enrichissement personnel de deux des trois prévenus.
De l’autre, les trois avocats de la défense considèrent que le dossier a été instrumentalisé et que leurs clients ne sont que les victimes collatérales d’un conflit entre dirigeants.
Des anomalies comptables jugées douteusesTout démarre au printemps 2022 avec un signalement fait au bureau du procureur concernant la comptabilité d’une société spécialisée dans la vente de matériaux de construction, bien connue sur le bassin briviste.
Un commissaire aux comptes a repéré des anomalies, qui n’ont jamais mis en péril la santé financière de la société, mais qu’il juge douteuses.
Elles auraient conduit un salarié de l’entreprise corrézienne à se fournir, à des tarifs défiants toute concurrence, chez son employeur (*), pour construire le toit de sa maison, à hauteur de 15.600 euros.
En échange, le commercial d’un fabricant de tuiles aurait obtenu pour 5.500 euros de marchandises, puisées dans le stock du grossiste briviste, afin de terminer sa piscine. Le tout aurait été rendu possible par un "bidouillage comptable" couvert par le directeur général de l’enseigne briviste, sans que celui-ci en tire profit.
À la barre, les trois prévenus ont tous assuré qu’il n’y avait rien d’anormal, que la société n’a subi aucun préjudice et que tous les matériaux, obtenus gratuitement ou avec des remises "extraordinaires" ou "complémentaires" selon les versions, ont été "compensés" d’un point de vue comptable.
Un contexte particulier entre les dirigeantsEmboîtant le pas de la partie civile, le Parquet évoque au contraire des actes illégaux, un "détournement de pratiques commerciales entre deux sociétés au profit d’intérêts particuliers", avec, au bout, un "manque à gagner " pour l’entreprise briviste. De faux avoirs auraient permis de faire diminuer, voire d’annuler, des facturations.
"Des petits arrangements entre amis" niés en bloc par les avocats de la défense ; car le dossier éclate dans un contexte particulier. Mariés, les deux dirigeants du grossiste briviste ont divorcé et madame, héritière de l’entreprise familiale, cherchait à racheter ses parts à monsieur, directeur général.
La découverte d’anomalies comptables aurait donné un puissant moyen de pression à la première. "Ne vous laissez pas abuser", a rétorqué la partie civile, avocate de madame, en s’adressant au tribunal. "Ma cliente n’a fait que prendre la juste mesure de la situation et a voulu sauver l’entreprise."
Des amendes requises ; la relaxe plaidéeLes réquisitions semblent mineures, des amendes de plusieurs milliers d’euros couvertes en partie par du sursis.
Les avocats de la défense ont plaidé la relaxe, estimant que l’émission d’avoirs était légale et que rien n’était caché ni frauduleux. L’affaire a tout de même eu de graves conséquences : les deux prévenus, ceux qui auraient profité du système, ont été licenciés pour faute grave ; le directeur général a cédé ses parts en juillet 2023 ; la société briviste a été secouée par une série de démissions et de ruptures conventionnelles.
(*) Les salariés de la société briviste peuvent acheter des fournitures auprès de leur employeur grâce à une remise qui assure malgré tout une marge "d’au moins 5 %".