"Avec ces conditions d’accueil, inacceptables, on est en dessous de tout… " A l’évocation de la situation du Centre départemental de l’enfance et de la famille (CDEF), Marianne Maximi (La France Insoumise) souffle, et souffre. Car le constat la renvoie, aussi, deux ans en arrière : avant de rejoindre les bancs de l’Assemblée nationale, la députée était éducatrice spécialisée… au CDEF de Chamalières.
Voilà pourquoi, dès son élection, elle avait fait de la protection de l’enfance la grande cause de son mandat. "Ça fait un an et demi que j’essaie de faire parler des droits des enfants placés, raconte-t-elle. C’est une vraie bataille car l’Assemblée nationale travaille très peu sur le sujet."
Elle avait, ces derniers mois, entamé un tour de France des départements pour évaluer la situation. Un travail de fond subitement mis en avant en janvier, lorsque le suicide de la jeune Lily, 15 ans, dans un hôtel d’Aubière où elle avait été placée, a mis en lumière un système à bout de souffle.
Une commission d'enquêteParce que le drame s’est joué dans son département mais surtout du fait de son expertise, Marianne Maximi s’est retrouvée en première ligne du groupe insoumis à l’Assemblée, où elle a interpellé le gouvernement sur la non-application de la loi Taquet puis poussé pour la mise en place d’une commission d’enquête "pour faire un état des lieux, comprendre qui est responsable de cet effondrement du secteur".
Une telle demande aurait pu rester lettre morte, mais elle a pu compter sur le groupe socialiste de l’Assemblée, qui a utilisé son "droit de tirage", un dispositif qui donne à chaque groupe d’opposition la possibilité de créer une commission d’enquête par an. Celle-ci doit donc voir le jour en avril, et Marianne Maximi en sera l’une des trente membres.
"Il y a une prise de conscience. Au-delà des politiques, les gens mesurent l’effondrement du secteur. Mais maintenant, il faut des décisions politiques", appelle l’élue, qui a rédigé un texte qui vise à interdire les placements en hôtel.
Le décret de la loi Taquet encadre un peu plus ce type de placement mais il ne les interdit pas. Et il manque encore des décrets d’application. C’est un indicateur du mépris vis-à-vis de la protection de l’enfance.
Et de s’interroger sur une recentralisation de la compétence. "Ce n’est pas un totem, mais la décentralisation a montré ses limites car il y a de vraies inégalités d’un département à un autre", défend-elle.
Rossignol, Taquet… Des lois trop peu appliquées ?Autre hémicycle, même combat, ou presque. La sénatrice Marion Canalès (Parti socialiste) n’est "pas très favorable à une recentralisation" mais, reconnaît-elle, "on ne peut pas avoir 101 protections de l’enfance en France. Il faut un plancher socle et que l’État aide les départements à rattraper leur retard."
Au Sénat, l’élue puydômoise s’est elle aussi emparée du dossier et veut s’inscrire "en complémentarité" des actions engagées à l’Assemblée. Via son président de groupe Patrick Kanner, elle a demandé au président du Sénat Gérard Larcher (LR) de saisir le Conseil économique, social et environnement (Cese) pour évaluer l’application des grandes lois qui encadrent la protection de l’enfance en France (celles de 2016 puis de 2022, dite loi Taquet). Une demande acceptée la semaine dernière.
Le vrai sujet est là : il faut évaluer leur mise en œuvre, il n’est pas utile de créer de nouvelles lois. On a la chance d’avoir deux lois votées presque à l’unanimité car elles faisaient avancer les choses.
Problème : elles sont parfois restées sans suite. "Plusieurs expérimentations ont été lancées ("santé protégée", "scolarité protégée", "programme Pegase"), mais on ne sait pas où elles en sont. Elisabeth Borne avait même annoncé en novembre la généralisation de “santé protégée” mais les CHU ne sont pas au courant !"
Marion Canalès a donc écrit à plusieurs reprises au gouvernement, et participé à l’audition de la nouvelle ministre dans le cadre de la commission des affaires sociales du Sénat. Enfin, elle s’est rapprochée de l’association des Oubliés de la République, qui a créé il y a quelques jours un "comité de vigilance des enfants placés", dont le but est d’appuyer la commission d’enquête de l’Assemblée. "Les lignes commencent à bouger", veut croire la sénatrice.
Arthur Cesbron
