La mort de Lily, une adolescente placée par l’aide sociale à l’enfance (ASE), le 25 janvier dans un hôtel à Aubière, a été une déflagration. En France, où la protection de l’enfance s’effondre en silence. Et dans le Puy-de-Dôme où 3.550 enfants sont confiés au Département, dont 2.020 placés en hébergement. Entre 2018 à 2024, les mesures de protection ont doublé.
Juge des enfants depuis cinq ans à Clermont-Ferrand, Laura Pupion voit arriver les situations pour lesquelles il n’y a pas l’adhésion de la famille et celles qui représentent un danger immédiat. "Notre rôle est de tisser une relation de confiance avec les parents susceptibles de générer de l’adhésion." Les dossiers qui lui échoient concernent des affaires de violences intrafamiliales, sexuelles, de carences éducatives, de précarité financière, de conflits parentaux avec des parents qui se séparent et se déchirent autour des enfants.
Placements non exécutés et des situations qui s'aggraventLes quatre juges des enfants du tribunal judiciaire de Clermont traitent 1.700 dossiers. Avec une tension particulière sur les actions éducatives en milieu ouvert (AEMO). Sur mandat du magistrat, des travailleurs sociaux doivent visiter régulièrement des mineurs et des familles. Une mission intrusive, mais précieuse. À condition qu’elle soit appliquée. "Il peut se passer parfois des mois sans accompagnement, avec des listes d’attente qui s’allongent, regrette la juge Laura Pupion. La mise en place tardive des mesures aggrave des situations et on arrive à des placements qu’on aurait pu éviter."
Dans le Puy-de-Dôme, la liste d’attente peut s’étirer jusqu’à neuf mois, provoquant un engorgement, comme à l’ADSEA 63, et une dégradation de certains conflits. Plusieurs observateurs attribuent cette saturation à des manques d’effectifs et de places. Un ralentissement qui freine le reste de la protection de l’enfance.
Au Centre de l'enfance, l'état d'urgenceCes dernières années, les signalements qui arrivent jusqu’aux magistrats font état de situations de plus en plus dégradées. Entraînant, de facto, une poussée des placements, malgré les difficultés d’exécution. Une trentaine de mesures de placement ne sont pas exécutées et les délais peuvent s’étirer jusqu’à huit mois.
À Chamalières, le centre départemental de l’enfance et de la famille (CDEF) ne connaît pas cette attente. Il reçoit en urgence des enfants de 0 à 18 ans dans le cadre d’ordonnances de placement provisoire (OPP) lorsqu’un danger imminent est constaté. Sur le terrain, les dysfonctionnements de chaque maillon engendrent des conséquences parfois terribles. Et un ressentiment immense, comme dans les rangs des professionnels :
"On a un devoir de protection, mais on ne peut pas y répondre à cause des conditions d’accueil. On a trop d’enfants, les conditions sont délétères."
Près d’un tiers des mineurs confiés à l’ASE relèvent de la maison départementale pour les personnes handicapées (MDPH). Des profils complexes auxquels des éducateurs du CDEF ne sont pas formés ou dont ils estiment ne pas avoir les ressources nécessaires pour les accompagner. Récemment, un adolescent autiste, pris pour cible et violenté par des jeunes de son âge, a dû être déplacé à l’extérieur. "On se retrouve avec des victimes d’agression sexuelle dans le même foyer que des auteurs, désespère un agent. Ce système produit cela. On parle de gamins qui ont des troubles du comportement, violents."
320 enfants pour 250 placesPhoto Thierry NicolasHabilité pour 250 places, le centre compte actuellement 320 mineurs dont le séjour ne doit pas excéder trois mois renouvelables une fois. "Sauf qu’il y a un tel manque de places dans le département que les gamins restent entre 12 et 18 mois, évalue la directrice de l’établissement Marie-Pierre Salaun. Ça s’aggrave d’année en année." Selon le Département, la moitié des enfants y sont depuis plus de six mois.
Ces défaillances en cascade génèrent frustration et ressentiment. Au CDEF, des éducateurs se sentent "maltraitants", s’épuisent, entraînant arrêts maladie, démissions et turnover.
"On ne cherche pas un coupable, souffle un éducateur qui envisage de quitter ses fonctions. Mais on abîme les enfants. On ne peut pas être à la hauteur, cela crée de la souffrance."
Le doute va jusqu’à gagner les magistrats. La lenteur de l’application des décisions travaillées avec les familles érode la confiance. "Il y a pour nous une forme de perte de sens et de crédibilité", s’inquiète Laura Pupion.
Arthur Cesbron et Malik Kebour