Elle a failli tout plaquer. Elle s’est dit "peut-être qu’elle est morte et il faut l’accepter". C’était une soirée du mois d’août, près d’un mois après la fugue de sa fille de l’hôpital psychiatrique. L’enquête de gendarmerie n’avance pas et la jeune femme de 23 ans ne donne aucun signe de vie à ses proches. Alors, pendant une fraction de seconde, sa mère se dit qu’il faut abandonner. "C’est moi qui ai signé les papiers pour une hospitalisation sous contrainte, et elle m’en veut. Vous imaginez, ce qu’un parent peut ressentir ?"
Le parcours du combattantSylvie habite à Olliergues et comme plus de 5 millions de Français, elle est aidante d’un proche souffrant d’une pathologie psychique. Il y a huit ans, sa fille est diagnostiquée bipolaire après une première "crise". Sentiment de surpuissance, paroles et actes incohérents, délires et hallucinations, la jeune femme âgée de 16 ans est hospitalisée pour la première fois.
"À l’époque, on ne connaît rien à la psychiatrie. On découvre un monde dans lequel personne n’est prêt à mettre les pieds."
Vient ensuite le stress lié à la pathologie et à la lourdeur des soins, le labyrinthe administratif pour obtenir des aides, une vie de famille qui en pâtit… Quand la maladie se déclare, c’est le branle-bas de combat pour les proches. Si après sa première hospitalisation, la fille de Sylvie suit un traitement qui lui convient et parvient à intégrer un établissement scolaire spécialisé, obtenir son bac, puis un BTS, toutes les personnes souffrant de troubles psychiques ne trouvent pas l’équilibre. "Quand on est parent, on imagine une vie idéale pour nos enfants mais la maladie chamboule tout", confie Éric (*), âgé de 75 ans.
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De l'isolementCet habitant de Trézioux connaît bien le sujet. Son fils âgé de 46 ans souffre de schizophrénie. La maladie s’est déclarée lorsqu’il en avait 20, avec une première tentative de suicide. « C’est très violent pour les parents de voir débarquer le Samu et les pompiers. De passer le cap de l’hospitalisation et de celles qui suivront. Et de comprendre que son enfant devra prendre un traitement à vie. »Malgré un diplôme, son fils n’a jamais pu travailler à cause d’une pathologie qui complique les relations sociales. Et comme de nombreuses personnes touchées, il a perdu des amis.
"La difficulté avec les maladies psychiques, c’est qu’elles sont invisibles pour les autres. Même si les personnes atteintes réussissent à vivre avec, elles ne sont plus les mêmes, ça les change à vie."
Des rechutes fréquentesEt puis, il faut gérer les rechutes. Les enfants de Sylvie et Éric ont tous les deux réussi à se stabiliser pendant près de 10 ans grâce à un traitement adapté. Période durant laquelle ils ont pu habiter seuls et être indépendants. Mais statistiquement, on sait qu’un malade chronique qui doit suivre un traitement à vie a 80 % de chances de l’arrêter au moins une fois. "L’année dernière, avec sa mère, on devait lui rendre visite dans les Alpes là où il habite, mais il a refusé de nous recevoir. Il avait des propos incohérents. On a compris que ça recommençait", reprend Éric, qui aujourd’hui, garde le lien avec son fils grâce à l’équipe médicale qui le suit. "Il ne nous parle plus, mais on essaie de le ramener vers les soins."
Devenir aidant induit forcément de s’armer de patience et dans de nombreux cas, le besoin d’obtenir des clés pour comprendre les fonctionnements de la maladie, repérer les signes et apprendre à communiquer. "Avant d’être formé à sa pathologie, j’ai ressenti beaucoup de colère envers mon fils, ses réactions, ses incohérences." D’autres proches parlent de honte et de culpabilité.
Un accompagnement nécessairePour se faire accompagner, Éric et Sylvie ont tous les deux adhérer à l’Unafam (lire ci-dessous). Ils se sont formés, ont participé à des groupes de parole pour partager leurs expériences, ou juste discuter avec des psychologues. "On peut avoir du mal à en parler autour de nous car ces maladies sont associées à des stéréotypes. Mais je me suis rendu compte que j’étais loin d’être un cas isolé", rapporte Sylvie. Cette mère courage a renoué le contact avec sa fille depuis la fugue de l’hôpital. Ces derniers mois ont été dédiés à la recherche d’un équilibre fragile mais Sylvie n’a pas perdu de vue l’importance de prendre soin d’elle aussi.
(*) Le prénom a été modifié.
Angèle Broquère