C’est un fait méconnu, mais Alan Stivell, le grand défenseur de la culture bretonne depuis plus de cinquante ans, est né… à Riom, au cœur de l’Auvergne.
Une singulière anomalie géographique qui ne l’a évidemment pas empêché de faire découvrir la musique celtique au grand public dans les années 70, grâce à une poignée d’albums fondateurs tout juste rééditées en vinyle.
Parallèlement, le barde sans frontières, qui fait voyager sa harpe dans le monde entier, se raconte pour la première fois dans un ouvrage très sincère, où il explique son parcours hors norme, guidé par l’amour d’un territoire qu’il a pleinement inscrit dans la grande Histoire du monde.À l’aube de vos 80 ans, vous publiez pour la première fois un ouvrage autobiographique. Pourquoi avoir attendu si longtemps ?Je suis toujours très pris, mais la pandémie m’a permis de prendre un peu de temps pour démarrer le processus. Et puis, quand on commence à prendre de l’âge, on pense plus facilement à écrire une autobiographie.Avez-vous songé à prendre votre retraite ?Ce serait presque un crime de s’arrêter. Quand on crée, on est face à un infini. La curiosité d’aller vers l’inconnu nous porte vers d’autres terres. Cette envie ne s’arrête jamais.
Comment expliquez-vous votre longévité ?Il y a une part de chance, certes, mais tout est parti de mon envie de défendre la Bretagne, et donc la diversité culturelle. Cela parle à tout le monde et dans tous les aspects : philosophiques, politiques… Tout ceci nous interpelle sur le respect des autres, l’égalité entre les cultures, les peuples… C’est la Bretagne, mais c’est aussi le monde.Les hasards de la vie vous ont fait naître à Riom. Vous a-t-il fallu plus de travail pour donner des preuves de vos origines bretonnes ?
C’est très complexe. On m’a parfois dit : “Tu n’es pas Breton”. Alors, si je réponds : “Je ne suis pas Auvergnat”, cela ne signifie pas que je n’aime pas l’Auvergne. C’est juste un fait. Cela va même plus loin : la Bretagne est-elle un simple lieu géographique ? Où est-ce que c’est autre chose ? J’ai quitté Riom à l’âge de 1 an et demi, donc l’influence de l’Auvergne sur ma vie est homéopathique. Mais il y a certaines coïncidences dans mes goûts. J’adore le type de montagnes auvergnates. Et je suis toujours ému quand j’y reviens
Comment concilier une identité forte et une ouverture au monde ?C’est une question de degrés. Il faut que l’humain puisse survivre. Il peut dire qu’il est l’égal d’un autre. Mais si cette même personne dit un jour : “Je suis supérieur à toi et je t’écrase”, ce n’est pas du tout la même chose.
Dans votre livre, on vous voit jouer de la harpe celtique dès le plus jeune âge. Étiez-vous une exception ?Je ne connais personne qui, à cette époque, baignait totalement dans les musiques celtiques. Je suis un cas unique. Peu après ma naissance, après la guerre, il y a eu la première renaissance bretonne. Mais ça n’intéressait qu’une minorité. Le reste du monde restait à convaincre. Puis à la fin des années 50, le rock’n’roll arrive. Ça me plaît et me donne l’idée de conjuguer la musique bretonne au présent.
Il y a toujours une tension entre ceux qui veulent préserver la musique traditionnelle et ceux qui veulent la faire évoluer.Je suis dans les deux camps ! Je suis, d’un côté, très puriste. Je suis très attaché à l’authenticité, aux musées vivants. Il faut être très ouvert, tout en connaissant les bases, nos racines.
Respecte-t-on plus la langue bretonne aujourd’hui en France ?
Il a fallu du temps. Il y avait un réflexe, en France, qui disait que tout ce qui venait de province ou de la campagne était réactionnaire, passéiste, voire royaliste. Il est important que tout le monde puisse apprendre le français, car il est indispensable que les gens qui vivent sur un même territoire puissent se comprendre. Mais cela ne veut pas dire qu’il faut faire disparaître des pans entiers de la culture et la créativité humaine. C’est le bien commun de l’Humanité.
Stivell par Alan, éditions Ouest France, 30 €. Réédition de Reflets, Renaissance de la harpe celtique, Chemins de terre et E Langonned, 25 € chacun (vinyle).
Rémi Bonnet